mercredi 20 novembre 2024

Noirceur et Kintsugi

Je ne sais pas très bien où va aller ce billet, à vrai dire. Tout n'est pas bien rangé à l'intérieur de ma tête (l'essentiel y est rarement bien rangé) et plein de pensées différentes se croisent ces derniers jours. Envie de les poser là pour les regarder de plus haut. On verra bien.


***

J'avais envie de parler de noirceur, de zones sombres. Mes goûts, en littérature, en musique, par exemple, me portent souvent sur des œuvres qui m'amènent à explorer ma propre part d'ombre. Sans doute parce que j'ai la chance d'avoir un instinct qui me pousse vers la vie, vers la joie assez facilement, ça ne me fait pas peur d'aller contempler les sujets moins légers (la joie est-elle légère ? Pas si sûre). Je crois qu'il n'existe pas de vie qui ne soit confrontée à la peur, à la douleur, physique ou morale. Et qu'il est important de savoir naviguer dans ses propres tourments. Qu'il y aura un après, quel qu'il soit. Que ça aussi, c'est vivre. Ou alors c'est la fin et on y peut pas grand chose.

Bien sûr il n'est pas question d'aller mal et de tout faire pour que ça dure, mais de prendre conscience que ça existe et que c'est ok. Il faut de l'aide parfois, souvent, ça dépend de vous. Il y a des moments qui paraissent insurmontables. Dans mon cas, ça s'assortit souvent d'une impression globale qu'il est inutile de casser les pieds du monde avec et de planquer ça sous de grands sourires et des blagues pas très brillantes. Pas ma stratégie la plus maline. Mais hey. Il existe des gens plus intelligents que moi qui savent briser barrages et défenses. Merci à eux. Il y a des périodes où on ne peut pas en prendre plus et il faut évidemment se préserver. Trouver tout ce qui peut nous soutenir pour faire ce chemin, que ça soit en nous, ou pas.

J'ai une collègue qui s'assied souvent en face de moi. Elle se vante souvent de n'être que positivité. Je sais bien qu'elle est plus complexe que ça mais le discours ambiant sur le mental, l'injonction à être positif, me dépasse beaucoup. Ca me paraît tellement plus dur de lutter contre une douleur en voulant s'obliger à être positif que d'accepter de se laisser traverser. Et bien sûr qu'on peut relativiser, mettre à distance ou en perspective. Bien sûr qu'on est rien du tout dans l'univers et que tout ceci n'est que poussière d'étoile à l'échelle globale. A la notre, c'est parfois un drame qui se joue, parfois tellement moins grave. Qu'on a le droit d'accueillir. Et avec un peu de chance, de laisser partir, un peu plus tard.

J'aime accueillir la joie, la pulsion de vie, qui éclabousse nos existences de lumière. J'aime aussi que les ombres vécues où à venir lui donnent de la saveur en plus. Caravagisme ? Peut-être.

Depuis quelques semaines je me sens enfin vraiment dans l'après de deux années difficiles. Je commence à me retourner et à mesurer tout ce que j'ai appris au passage. De ma relation avec ma mère, notamment. De ma relation avec moi. J'ai l'impression d'avoir plus grandi en 24 mois que pendant les dix années précédentes. Je ne sais pas si, sans ce bout de route chaotique, j'en serais là aujourd'hui ; mon "là" d'aujourd'hui me plaît pas mal.

Ces morceaux de moi, qui ont volé en éclats après les chocs successifs, se regroupent et se rassemblent, nettoyés de leurs scories. C'est bon.


***

La semaine dernière a été un peu folle. Trois concerts, une soirée avec une amie, un ciné avec Lomalarchovitch.

J'y ai constaté que j'étais à nouveau capable de sentir des nuances dans la fatigue. Yeah. Ca va mieux.

Dans l'un des concerts j'ai pris une bouffée d'énergie folle. Dans l'autre la douceur d'un cocon intime, d'une qui écrit ses chansons avec de tout petits bouts de sa vie, des instants qu'on pourrait juger futiles, et en fait des histoires qui touchent. Du troisième des émotions que je n'ai pas fini de trier. J'ai m'y suis retenue de pleurer. Des larmes qui ne sont pas négatives, ce genre d'émotions qui arrivent quand l'art nous rend plus grands que nous, nous ouvre un univers immense dans lequel on reconnaît, néanmoins, des morceaux de soi. Pas envie de partager ce bout-là avec 19 999 autres personnes. Je prends mon temps pour ressentir ce qui s'est joué (littéralement, figurativement).

Puissance de la musique qui, depuis la nuit des temps, nous rassemble, nous fait toucher du doigt des choses puissantes, à nous, tout petits morceaux d'humains.

A la fin de ce dernier concert, parmi plein de pensées qui tourbillonnaient en moi, il y avait cette idée que nos morceaux qui se rassemblent, après les chocs, les moments durs, se ressoudent, c'était un peu du Kintsugi humain. Qu'on se répare et que les traces de nos brisures nous rendent plus beaux que les objets initiaux.

Ca n'est pas une idée d'une originalité folle mais je l'aime quand même, cette image. Je me suis retrouvée et les traces qui me restent de ces deux dernières années rendent l'ensemble mieux que son état initial. Enfin, vu de l'extérieur, je n'en sais rien. Mais de l'intérieur, oui, vraiment.

lundi 18 novembre 2024

La zone de transit

Il y a, sur le bureau de ma maison, une "zone de transit".

J'y pose les choses que je doit apporter quelque part, ou à quelqu'un, sous mon nez et presque donc impossible à oublier, en attendant le jour J.

Il se trouve que cette zone fonctionne comme un triangle des Bermudes à l'envers. J'ai souvent à peine livré le dernier "colis" que d'autres choses surgissent, prêtes à être offertes.

Ça contrarie beaucoup ma femme de ménage. Un jour où j'étais là en même temps qu'elle, j'étais en train de bosser, j'espérais qu'elle aussi, quand elle s'est plantée à côté de moi.

"Et ça, on ne peut pas le ranger ?"

Mais en fait, c'est rangé. Je lui explique vaguement que ce sont des choses à donner à des gens, en attendant de les voir.

Un air d'incompréhension totale se lit sur son visage.

"Mais c'est moche".

J'ai prétexté une réunion qui commençait (jamais été aussi contente de commencer une réunion) pour ne pas lui répondre sur ce point esthétique, mais moi, dans cet assemblage, je vois la promesse de retrouvailles, d'un moment partagé, de plaisir d'offrir, de joie de recevoir et toutes ces sortes de choses. Donc je ne vois pas ça "moche". Et après tout c'est moi qui vit ici, j'ai bien droit à mes zones de goûts douteux si je veux, enfin.

Il est rare que je sois à la maison quand elle y vient, contrairement à Cro-Mi qui s'épuise à essayer de comprendre son fonctionnement. Je m'en réjouis plutôt, j'aime sa gentillesse et son attention mais son ingérence m'horripile un peu trop souvent pour une vie sereine.

Ce week-end, je me demandais si, quand je n'y suis pas, elle range les objets en partance pour son bien-être à elle, avant de les remettre en place juste avant de partir[1] ?

(Et ma zone de transit, tu l'aimes, ma zone de transit ?)

Note

[1] Elle en est parfaitement capable.

jeudi 14 novembre 2024

Et puis la vie

"C'est bizarre, d'aller à un concert un 13 novembre", je crois que c'est à peu près ce que j'ai pensé en prenant ma place pour aller voir Fontaines D.C, il y a quelques mois. Et de fait, hier, j'ai pensé à l'autre 13 novembre, j'ai profité en mémoire de celles et ceux qui ne peuvent plus.

Il y a un truc fantastique à aller voir un concert seule : on fait comme on sent, comme on veut. Je suis arrivée pour l'ouverture des portes, une liseuse dans la poche. Quand on est, comme moi, challengé(e) de la verticalité, la place stratégique n'est pas un aspect anodin et j'adore les blasés parisiens qui daignent se pointer après la première partie, ça me permet de faire ma niche. Hier soir : premier rang, sur la droite de la scène. Accoudée aux barrières : bien calée, pas mal aux pieds à la fin, de quoi stabiliser les photos, juste à côté de là où ça s'ambiance fort mais dans un coin plus tranquille. Bon, le corollaire c'est que c'est plus compliqué d'aller se chercher une bière sans perdre sa place mais j'avais anticipé. Watch me enlever blouson, pull, écharpe et les fourrer dans mon sac à dos en toile, le tout sans verser une goutte de bière par terre. "Not your first rodeo, girl", me glisse un voisin. Certainly not, sir.

Une bière dans une main, donc, la liseuse dans l'autre, je me suis expédié un bouquin avant la première partie. Et fait connaissance dudit voisin admiratif de ma technique. Dublinois, il me raconte fièrement qu'il a vu le premier concert du groupe, dans un pub, devant 25 personnes. Il doit avoir une dizaine d'années de plus que moi et a gardé un sourire réjoui tout du long, à me faire signe régulièrement pour savoir si j'aimais autant que lui. Oui.

Le concert a filé en un éclair. Vue imprenable sur les dizaines de gens qui se sont fait escorter par la sécurité après avoir joué les saute-barrière. Et sur les jets de petites culottes en direction de Grian Chatten, chanteur charismatique de la bande dublinoise. J'ai gardé la mienne jusqu'au panier à linge sale, de retour à la maison, au cas où quelqu'un se demande. A un moment j'ai trié des gens par taille, j'avais une voisine encore plus petite que moi qui s'était fait passer devant par un type, il a bien fait mine de ne pas entendre ce que je disais mais à force de gestes expressifs, il a fini par comprendre qu'il verrait tout aussi bien par-dessus la tête de ma nouvelle voisine. On devrait toujours classer les gens par taille, dans les concerts.

Ils ont été excellents, on a chanté, dansé[1], crié, applaudi. Je me suis sentie heureuse, en vie, vibrante, c'était bon. Et puis le concert fini on s'est pris dans les bras avec quelques voisines bien émues, j'ai daronné un peu des demoiselles en plein débordement émotionnel. On s'est claqué la bise avec mon acolyte irlandais, comme si on allait se revoir demain - alors que non, mais c'est pas grave. C'était chouette de se croiser quelque part dans l'univers.

Rassurez-vous, je ne vais pas me transformer en chroniqueuse concerts, il y a des tas de gens qui font ça sérieusement avec des mots d'experts inspirés.

C'est juste que j'aime ça chez moi : même dans les périodes difficiles, même quand ça ne va pas très fort, il y a la vie qui m'appelle et me tient debout. Alors quand ça va plutôt bien, imaginez. C'est quelque chose à quoi je tiens très fort et j'espère que ça restera le plus longtemps possible. Et que c'était pile ça que ces quelques heures hier soir ont mis en lumière dans ma tête et dans mon cœur. Oui, j'ai profité, oui j'ai savouré.

Note

[1] Même moi qui ne danse que quand il n'y a pas d'autre humain autour, c'est vous dire.

mercredi 13 novembre 2024

La mort en face

Dans toutes les vies il y a un, des moments où on doit regarder la mort en face. Parfois c'est un instant brutal, un accident. Parfois ça dure plus longtemps, le temps d'une maladie et de son évolution. Plein d'autres façons. Mais il y a cette trouille fondamentale qui nous saisit, ce "ça va s'arrêter comme ça ?" sidéré qui résonne en nous. Sauf quand on l'a voulu, peut-être ? Cet instinct de survie qui nous hurle que faut pas déconner, on a encore le temps. Parfois ça marche, parfois pas. Si on est encore là pour en parler, c'est plutôt une bonne nouvelle.

Moi, c'était à 30 ans, que je l'ai regardée la première fois en face. Puis à 38 dans des circonstances similaires. L'accumulation des "si" est toujours un peu vaine mais voilà, sans la médecine moderne, la compétence des médecins sur ma route, le matos dispo immédiatement, c'était fini, pour moi et mes enfants en cours de naissance. Le moment où tu vois l'inquiétude monter dans l'œil de ton toubib, c'est pas terrible, je déconseille. Et la scène de série médicale où médecin et anesthésiste marchent à grand pas à tes côtés vers la salle d'opération, c'est mieux quand ça se passe dans la télé que dans la vraie vie.

Manège infernal, la chute du moment "le plus heureux de ta vie" vers le danger immédiat. Puis la remontée. Comme si c'était si simple que ça. Quelques heures à me remettre en état, la première fois, quelques minutes dans l'autre. Ca tient à rien, à l'épaisseur d'une feuille de papier.

Je crois que je n'ai raconté à personne, surtout pas aux pères de mes enfants, l'intégralité des événements et comment, à quelques "si" près, ils auraient tout aussi bien pu rentrer avec leurs bébés sous le bras et sans moi. Les deux fois, les médecins m'ont dit : on a eu chaud, mais tout va bien maintenant. Un truc un peu bizarre à entendre.

Ca fait longtemps maintenant et je ricane avec toute la noirceur dont mon humour est capable. Mourir en mettant au monde, en France, au 21e siècle, ça aurait été con, quand même. Imagine y a Phil Barney à la radio dans la salle d'op (réf de vieux).

Bref, je suis bien contente de ne plus avoir à accoucher. Vous connaissez la devise : jamais deux sans trois.

Sans rapport avec les joies de la maternité, il y a un troisième épisode un peu chelou que je suis en train de mettre derrière moi.

Au détour d'un examen pour "cartographier" mon japonais (une thyroïdite d'Hashimoto, pour celles et ceux dont je n'ai pas encore rebattu les oreilles avec ça), j'ai passé une écho, qui a montré qu'un nodule squattait ma thyroïde. Sulfate de mépris par dessus, je ne sais plus quel est le pourcentage de gens de plus de 40 ans qui ont des nodules quelque part, absolument bénins et en toute ignorance, mais c'est élevé. Rien à signaler, donc, sauf à le surveiller car le japonais majore les risques de cancer de la thyroïde, cet enfoiré. Et on se demande pourquoi je n'ai pas tellement d'attirance pour le japon...

Donc on le surveille, pépouze. Jusqu'au jour où un type en blouse blanche me regarde, en état de stress avancé et me dit que je ne semble pas comprendre et que ce machin est "énorme" et qu'il le classe illico dans la catégorie "craint un peu du boudin quand même", que je dois voire mon médecin en urgence et faire une ponction etc.

Légère montée d'anxiété.

Je vais donc me prêter à cet examen charmant qu'est la cytoponction de ma thyroïde, après avoir avalé des tonnes de pages sur internet. Ne croyez pas google quand il vous dit que cet examen n'est pas douloureux. C'est seulement vrai quand il est bien fait et de mon expérience, c'est rarement le cas.

Je vais donc voir l'un des spécialistes du sujet numéro conseillés par ma toubib, au hasard, le plus proche de chez moi. Qui me maltraite, je reste deux jours comme si j'avais pris un coup de poing dans la gorge en plus de la trouille au ventre d'avoir un cancer au même endroit. Mauvais cocktail, je ne recommande pas.

Le résultat revient : pas de cellules analysables. Merde, faut recommencer.

Je change de praticien car je suis inquiète mais pas maso, les résultats arrivent, pas de cellules analysables. Je me rassure comme je pense (pas de cellules analysables, mais du coup pas de cellules cancéreuses dans deux échantillons de suite, donc prenons ça, même si c'est un mauvais calcul, comme un bon présage, ok ?) Pendant ce temps ma toubib roumègue que je ne suis pas allée chez un type de sa liste et que c'est pour ça. Elle m'expédie en tarif urgent chez LE ponte.

Le ponte ressemble à Elie Chouraqui en plus petit et exerce du côté de Denfert, ce qui me vaut la joie de poser une demi-journée de congés à chaque fois que je le vois. Il a plein de qualités dont une immense gentillesse, un calme qui semble imperturbable, une voix basse, lente et posée, d'hypnotiseur. Et il pratique la cytoponction sans douleur. Bon il faut prendre ses rendez-vous un an à l'avance mais vous pouvez parfois l'avoir au charme, j'ai testé pour vous.

Le ponte me ponctionne, les résultats reviennent : pas de cellules analysables ! Ha ! C'te bonne blague. Son avis du moment : c'est juste un vieux nodule qui a gonflé et se dégonfle. On ne s'endort pas sur ces paroles apaisantes et on le surveille comme un connard de nodule qu'il est (il ne dirait jamais connard mais vous voyez l'idée). Mais on peut raisonnablement respirer un peu.

On s'est revus à intervalles réguliers, depuis 2019 et à chaque fois il me fait une visite guidée de ma thyroïde et m'explique l'évolution de ma maladie. Il y a un peu plus d'un an, on a commencé à espacer les contrôles. Je l'ai vu il y a quinze jours, il m'a dit qu'il le déclassait définitivement du rang de "craint du boudin" et qu'on se revoyait dans quatre ans. Je lui ai dit qu'il allait me manquer et qu'on allait devoir s'envoyer des cartes de voeux. Ca l'a beaucoup fait rire. Il est très bien élevé mais il a un faible pour les mauvaises filles dans mon genre qui font de l'humour bizarre, allongées dans son cabinet.

Il m'a aussi dit que ma thyroïde avait diminué de taille (c'est le principe de cette maladie auto-immune) et que ça expliquait le changement de dosage de ces derniers mois. Ca fait toujours du bien de savoir qu'il y a une raison aux choses chiantes, je trouve. Mais que c'était une sorte de bonnes nouvelles car moins de cellules = moins d'endroit où se fixer pour des cellules cancéreuses = dans 4 ans, on se dira sans doute au revoir pour toujours, je serai très probablement sortie des risques majorés blablabla.

Et qu'il voyait l'inflammation mais que ma thyroïde allait atteindre une taille "pallier" dont elle ne bougerait plus. Qui selon lui est assez proche pour moi. Donc le jour où on a le bon dosage pour cette taille pallier, ça ne bougera plus jusqu'à la fin de ma vie que je souhaite lointaine, si possible. Un scoop dont personne ne m'avait parlé avant mais qui avait un goût de cadeau de Noël avant l'heure.

On ne va pas se mentir. C'est impossible de vivre 6 ans avec, en permanence, la trouille au ventre d'avoir un truc potentiellement chiant, mais si ça se trouve pas grave, à l'intérieur de soi. Mais quand même, il y a quelques jours sur ce parcours pendant lesquels j'ai pas fait la fière (merci à Eric et Elisabeth d'avoir été là pour me raconter médicalement ce qui pourrait se passer ou pas, vous êtes précieux).

Le fait de savoir que ce cancer de Schrödinger va probablement cesser d'habiter dans ma tête, ça m'a fait prendre conscience que même quand je n'y pensais pas, il était là, quelque part, à travailler en arrière-plan. Petit à petit sa présence s'allège et je ne m'attendais pas à ce que mettre les mots dessus me fasse un si grand effet. Ce qui est complètement con, d'ailleurs, je pourrais aussi bien passer sous un bus ou mourir d'un infarctus demain, on serait bien contents, tiens, de savoir que je n'ai pas de cancer de la thyroïde. L'humain n'est pas rationnel. Il se réjouit de choses absurdes.

Voilà. Souvent, maintenant, j'ai plus peur pour les autres que pour moi. Je sais qu'il y aura sans doute d'autres fois. J'espère que j'aurai surtout des trouilles pour des choses qui ne se produiront finalement pas, jusqu'à la grande sortie, de celles et ceux que j'aime, de la mienne. On y peut tellement rien mais ça teinte quand même le regard sur la vie.

Jusqu'ici, tout va bien, comme disait l'autre en tombant de son gratte-ciel.

mardi 12 novembre 2024

Who's bad ?

Je dis souvent que je me mets dans une bulle, loin de l'actualité, ce qui n'est pas exactement vrai.

Disons que je la subis un peu moins au sens où je ne regarde ni n'écoute les JT, je vais consulter des titres choisis, sur des sujets choisis. En choisissant mon moment, également. Ca évite une submersion par le spectacle qu'est devenu chaque événement, une agressive lecture qui facilite la haine et la colère plutôt que la pensée.

Pour autant, je ne suis pas coupée du monde et ça ne me rend pas optimiste.

Comment en est-on arrivé là ? Comme quand il nous arrive une tuile, l'explication facile serait la faute à l'autre. Une tasse fracassée ? La faute au chat qui m'a zigzagué entre les jambes. Un machine en panne ? La faute à la douce moitié qui devait vérifier les conditions de son bon fonctionnement. C'est facile, on sait qui est le méchant ; l'autre, immanquablement. Tellement plus confortable.

Or, d'un point de vue national, international, climatique, je ne sais pas toujours dire qui est le bad guy. Je sais dire parfois avec qui je suis OK pour être d'accord, sur certains points dans certaines circonstances. Ceux avec qui je refuse de l'être. Je ne suis pas experte de 7.000 ans d'histoire au Proche Orient ou des théories économiques les plus pointues pour dire qui a raison ou à tort, dans une immense majorité de cas.

Je déteste, de façon tout à fait naïve, les morts inutiles, qu'elles soient dues au terrorisme, à la faim, à des maladies qu'on sait soigner dans une autre partie du monde. Mais je suis consciente qu'avec l'envie de faire bien, on peut aussi faire mal, sans trop le faire exprès, ou en priorisant selon ses propres grilles de lecture. Est-ce qu'un bébé riche qui meurt c'est moins grave qu'un bébé pauvre ? Ah oui, ça se complique. Je rêve, comme une enfant, d'un monde plus équitable où chacun trouverait une place en paix, serait nourri et à l'abri, mais est-ce seulement possible ?

Ce que je sais, c'est que j'ai eu du bol. Je n'ai jamais eu faim. Je me plains de mon budget serré mais un peu de fromage en moins au marché du samedi, ou alors revendre la voiture, et même sans : c'est vivable, on est loin de la précarité. Je n'ai jamais douté que mon prochain repas serait dans quelques heures. Je n'ai jamais eu peur de me prendre une bombe sur la gueule, d'être massacrée pour un oui ou pour un non. Je n'ai jamais été détestée pour ce que je suis, enfin si, en tant que meuf, dans un pays où tout est loin d'être parfait mais où je risque beaucoup moins ma peau en tant que femme que dans d'autres coins du monde.

Et tous ces gens, qui ont vécu ou vivent avec ces très réelles trouilles dans leurs tripes, tous les jours, à chaque instant, on ne les entend pas beaucoup. Ou on les entend, sans les écouter. On a un avis sur ce qu'ils vivent, sur comment ils feraient mieux de faire. Sur toutes les raisons pour lesquelles ils ont quand même un peu mérité ce qui leur arrive. La faute à l'autre, encore. Ou on les oublie commodément au profit d'un intérêt supérieur (surtout s'il ne nous coûte rien, à nous).

Il suffit de décréter n'importe quoi et de le marteler à la télé pour que ça devienne "vrai". Les faits sont commodément niés au profit d'une phrase choc qui claque. Il est impossible de ne pas savoir, il faut avoir une idée tranchée de qui est le con et qui est l'autre. Là, tout de suite, sur la foi de la gueule du dernier qui a parlé, qu'il ait raison ou tort, on s'en fout. Au milieu ? Rien.

Pourquoi les gens font ce qu'ils font ? Que sont leurs vies ? Leurs besoins, leurs rêves ? Les électeurs des grands méchants sont-ils tous de grands méchants ?

Trop dur, de se poser des questions, d'accepter de ne pas avoir toutes les réponses, toutes les certitudes.

Alors je reste dans ma bulle et je filtre ce qui y entre. Hurlez-vous dessus tant que vous voulez. Faites vos grimaces outrées dans la télé que je n'allumerai pas. Moi ? J'essaie juste de résister à la haine.

vendredi 8 novembre 2024

Histoires de chats. Et de chiens. Et d'amour.

Voilà. Je suis officiellement une mémère à chats qui poste des histoires de chats. Comme ça c'est clair. Et puis c'est à la demande générale d'au moins deux personnes sans compter celles qui ne savent pas qu'elles auraient adoré me réclamer cette histoire. En plus le truc que j'ai en tête pour le couvent n'est pas encore passé de mes rêveries à mes doigts, donc : pourquoi pas ?

Je tiens d'ailleurs à rétablir des faits à l'attention des ennemis des chats. Beaucoup d'entre vous pensent que les chats sont indifférents et qu'ils nous haïssent. C'est évidemment complètement faux (écrit-elle avec les bras de part et d'autre d'une créature noire comme l'enfer installée entre le clavier et la femme, obligée, par un lever de tête, de déposer un bisou entre ses oreilles velues toutes les 7 à 9 secondes). Je tiens, à l'origine, de Moukmouk, un grand faux ennemi des chats à qui je pense toujours beaucoup[1], que les chats ont inventé un langage pour nous parler.

En effet, les chats ne miaulent pas entre eux, dans la nature. Ils miaulent exclusivement à destination des humains, dans une tentative parfaitement loupée d'imiter notre langage. Certes, vous pourriez me dire qu'ils ont inventé le miaulement pour nous insulter et nous menacer, mais sérieusement, qui se donnerait la peine de développer un langage entier et sa grammaire uniquement pour ça ? Ecoutez-les, leurs miaulements, leurs modulations, ceux qui montent, ceux qui descendent, les petits, les rauques, les miaulements pépiements du chat qui vous raconte sa journée quand vous rentrez le soir, vous verrez, ils nous imitent. Mal, mais ils nous imitent.

Bref.

J'ai dit que je raconterais l'histoire de la chatte et du terre-neuve. Pour ceux qui ne connaissent pas ces chiens merveilleux, ce sont de grosses bestioles très poilues qui sentent le suint et bavent 10 litres par jour et pèsent facilement 60, 70, voire 80 kilos. Ils adorent nager, être copains avec nous. Ils sont furieusement têtus, ont une dignité majestueuse (jusqu'au moment de plonger dans une flaque de boue), sont extrêmement gentils et fidèles ; ceux que j'ai fréquentés ont été les meilleurs amis chiens de ma vie.

Quand j'étais ado, on en avait un avec qui la chatte de la maison s'entendait très bien. Ils vivaient en paix, en harmonie et en duo de malfaiteurs associés pour ce qui concerne le vol de bouffe. Ils se partageaient sereinement l'affection de leurs humains ; la vie nous était paisible et tendre.

Un jour, la chatte s'est relevée enceinte (pas du chien). Et comme son copain énorme était l'être en qui elle avait le plus confiance sur la Terre entière, elle a mis bas entre les énormes papattes du clébard. Qui n'a pas bronché pendant des heures. Il a bien fallu déménager les chatons (sous l'escalier qui menait au deuxième étage, un lieu sombre et calme, idéal pour la veille attentive de sa portée). Je ne sais combien de fois par jour, on trouvait le chien tête sous l'escalier, à vérifier que les chatons allaient bien, prenant son tour de veille pendant que la chatte allait manger, faire ses besoins et autres activités de mère chat.

En arrivant sur le palier on voyait seulement le corps du chien, son énorme cul et sa queue remuant de fierté d'avoir de si mignons enfants. Car oui, il était manifeste que le chien, défiant toutes les lois de la biologie, se considérait comme le père des chatons. C'est contreuh-naturinh ? Rien à foutre.

A ce jour je suis toujours émue par ce pacte d'amour total entre ces deux-là.

Bref again.

Ce n'est pas du tout l'histoire que j'avais promis de raconter.

Quelques années plus tard, nous avons adopté une chatonne mi angora, mi chatte des rues. Une magnifique écaille de tortue, d'allure un peu précieuse. Le chien, le même, s'est tout de suite proposé comme père d'adoption. La chatonne a dit oui. Le chien était sur ses vieux jours, elle lui a survécu longtemps mais a détesté avec constance les chiens suivants de mes parents : ils n'étaient pas Lui. Et toute sa vie, cette adorable demoiselle au poil long et doux a marché en roulant des épaules comme un vieux docker. Comme son papa chien.

Ces souvenirs me font monter le sourire aux lèvres et la larme à l'œil.

Alors bon, que vous aimiez ou pas les chats, les chiens, vous faites bien comme vous voulez. Mais ne vous mêlez pas d'essayer de savoir ce qu'ils ont dans le cœur, vous vous y perdriez. Après tout, c'est peut-être la meilleure chose qui pourrait vous arriver ?

Note

[1] Les derniers billets de son blog ont été écrits par une de ses amies pétillantes, merci à elle de ces récits qui le font vivre encore un peu.

lundi 4 novembre 2024

Mon chat est donc un génie du trollage

Or donc, après avoir mis des mois à apprendre à passer par la chatière, mais à avoir compris très vite comment tirer un tiroir pour y pêcher le jouet convoité (et le sachet de friandises), ObiWan a un nouveau tour qu'il réalise de papatte de maître.

Il a compris comment, à coups de pattes toniques et répétés, sortir la partie qui ferme la chatière quand je veux maintenir ma chambre hermétiquement fermée.

Le hic c'est qu'en forçant comme un tordu, il peut entrer (ladite partie est alors bloquée du haut mais pas du bas), mais pas ressortir.

C'est ainsi que je l'ai trouvé, allongé sur mon lit, triomphant, en rentrant chez moi (et oui je l'avais bien enfermé HORS de la chambre en partant).

La bonne nouvelle c'est qu'il n'en a pas profité pour pisser sur mon lit.

La mauvaise c'est qu'il va falloir que j'upgrade le dispositif.

C'était reposant, ces vacances, à ne pas lutter contre cet escroc de haut vol.

vendredi 1 novembre 2024

Le ridicule ne tue pas, il donne juste l'air con

J'ai, au chapitre de mes nombreuses névroses, la crainte à peu près quasi constante de tomber. Il faut dire je prends la gravité très au sérieux et que mon sens de l'équilibre n'est pas tellement un allié. Dans toute situation, donc, j'imagine le million de possibilités de contempler mon cerveau répandu sur le sol.

On apprend à vivre avec. Il faut, sinon on ne sortirait pas de chez soi, que dis-je de son lit.

Mais dans le cadre hors quotidien, ça peut être un peu chiant. Surtout quand on aime à la folie certaines choses (être en bateau) mais que pour être SUR le bateau il faut passer PAR une étape qui craint et que la majorité de l'humanité fait sans même y pense : passer du quai au bateau. Vous la voyez, ma tête écrabouillée entre la coque et le quai, prête à être dévorée par la faune aquatique ? Non, hein ? Moi oui. A chaque putain de fois.

Parfois c'est facile à surmonter, parfois pas du tout.

Ajoutons à ça un genou gauche qui a pris un sale coup il y a dix ans. Malheureusement mon médecin de l'époque était plus occupé à me reprocher les gâteaux (que je ne mangeais pas) qu'à soigner mon genou (qui douille toujours au pliage). Résultat des courses, j'ai mal en descente, parfois en montée et je ne peux plus sauter. Et oui, j'ai changé de médecin, qu'il aille se faire cuire le cul en enfer ce bâtard.

Additionnons : peur irrationnelle de la chute + motricité et équilibre contestables + mal au genoux et historique lourd d'entorses aux chevilles = dès qu'il faut monter quelque part, et pire encore en descendre, j'ai un gros coup d'arrêt mental. Non ma vieille, ça n'en vaut pas la peine.

Fort heureusement, je suis plus têtue que moi et dans l'immense majorité des cas, je me fais une raison et j'y vais (mais j'ai peur, mais j'y vais). Et la nette conscience qu'il y a des choses que je ne ferai jamais. J'ai définitivement assumé que non, le saut à l'élastique, c'est pas pour moi et que je n'ai aucune envie de tenter le dépassement de moi par ce biais-là. Tant pis.

Il me reste alors à en découdre avec l'image que je me fais de moi, vieille grosse dame qui bouge comme un pachyderme bourré un peu ridicule, beaucoup pathétique. Grosses conversations avec ma saboteuse intérieure pour lui dire que si ça fait marrer quelqu'un, ben tant mieux, un rire n'est jamais vain. Et que celles et ceux qui me jugeraient n'ont qu'à enfiler à ma place cette liste de contraintes chiantes, on en reparle à la sortie.[1]

Un vrai boulot de déminage, presque à chaque fois.

Mais aussi un petit moment de célébration quand ça a valu la peine.

Note

[1] Ce poids de l'injonction paradoxale dans notre vie d'enfants : on est pas supposé tenir compte de l'avis des autres mais "ma pauvre, tu es vraiment ridicule". Allez vous faire foutre, les fantômes.