J'ai grandi dans le confort d'une maison de petite bourgeoisie. On avait ce qu'il nous fallait et le petit peu plus qui permettait les loisirs et quelques plaisirs sans réfléchir. Pas assez pour ne pas avoir à compter. On ne parlait pas d'argent aux enfants sauf quand ils grandissaient et qu'il fallait leur en apprendre la valeur.
C'est ainsi que dans un grand élan de pédagogie, mon père m'a attribué une somme mensuelle basée sur mes besoins, pour laquelle je devais, si je voulais l'augmenter, argumenter et négocier (une seule ouverture annuelle des discussions était possible).
Sauf que, comment tu dis d'une main "on ne parle pas d'argent, c'est vulgaire" et de l'autre "argumente tes besoins" ? Et puis, vous l'aurez deviné, devoir expliquer ce que je faisais avec mes sous et discuter le bout de gras, c'était pas mon truc. D'ailleurs ça m'a duré longtemps, j'ai cru naïvement pendant de longues années que mon mérite, s'il existait, serait naturellement reconnu, au boulot. Ahaha. Fin de la blague.
C'est ainsi que j'ai survécu à l'université avec le trésor clinquant de 500 balles (de francs, 75 euros de maintenant) tous les mois pour payer mes transports, ma bouffe, mes loisirs. Et mes clopes. Sauf que le budget clopes n'était pas déclaré aux autorités financeuses, et même si à l'époque le paquet devait coûter moins de 2 euros (pleurez, fumeurs modernes !), ça venait sacrément taper dans le pécule.
Bref, j'ai passé mes années fac à me nourrir d'un café avec deux sucres le midi et à gruger le bus pour pouvoir financer mon vice. A se débrouiller entre potes pour quelques plans immanquables, à servir des pintes pendant quelques heures dans un pub irlandais pour financer les miennes.
J'ai pris 25 kilos ; la pédagogie, c'est vraiment utile que si on ne s'en sert pas.
Et on se demande pourquoi ça m'a frappée comme si c'était moi qui la chantais, cette chanson.