Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

mercredi 11 juin 2025

Dans ma rétine

Ces derniers jours j'ai remis le nez dehors et fait quelques photos, la plupart, bof, quelques unes ok et deux ou trois dont je me disais en les prenant que j'avais hâte de les redécouvrir un peu plus tard, de retour à la maison, avec la lumière qui va bien, la taille d'écran aussi.

Un jeune homme, de dos, très élégant promène un chien minuscule à l'ombre des arbres dans le bois de Boulogne

Il y en a même deux ou trois qui ont tenu leurs promesses. Entendez : en les découvrant en grand, je les ai trouvé chouettes. Pas forcément de grandes photos, mais des images que j'ai été contente d'attraper.

Un homme à vélo semble se tourner vers un jeune couple de pique-niqueurs. En réalité il appelle son chien qui n'a jamais accepté d'être dans le cadre, mais il n'y a que moi qui le sait !

Je dois dire que ça n'était pas un contexte très favorable à l'auto indulgence puisque Llu et moi avons eu le plaisir de visiter ensemble l'expo Richard Avedon (allez-y !!!) avant d'aller voir le dernier Wes Anderson : on les pose là, comme experts en images, quand même. Et le lendemain, dans un genre très différent, Hockney avec Fred à la Fondation "Foufoune" Louis Vuitton (ceux qui voient comme moi savent).

Un homme un peu hagard promène son chien devant la vitrine d'un fleuriste, dans une rue de Paris. LE chien est magnifique (oui, chez les hommes, je mate pas mal le chien, kestuvafer ?)

Et puis hier. J'étais dans le bus qui m'aidait à raccourcir les dernières centaines de mètres avant la maison. Coup de bol, assise dans un bus bondé. Et mon œil est happé par la vision de deux très jeunes femmes, l'une triste ou malade, affaiblie, tête posée contre celle de l'autre qui regardait au loin. Une image de sororité, d'abandon, d'intimité, de confiance, de soutien. C'était beau à voir, ça m'a fait du bien à la vie.

Fun fact, Llu est sur cette photo. Je ne m'en suis rendu compte qu'après, alors même que je marchais vers elle ! Bref, un homme noir, réclamait des sourires aux passantes et aux passants. Surtout aux passantes.

J'ai hésité quelques secondes, c'était au bord du voyeurisme, et puis j'ai sorti mon téléphone très vite, sans cadrage ou presque, juste en étant sûre que je pourrais retailler dedans et avoir ce que je voyais : des mains de voyageurs accrochées aux barres du bus et ces deux visages. Je suis rentrée à la maison et j'ai oublié la photo : pâtes à laminer, consignes à distribuer, pain à couper et à surgeler, un bouquin qui m'appelait.

Ce n'est que peu avant de m'endormir que j'ai repensé à l'émotion que m'avaient procuré ces filles. Ce sentiment que j'aimerais résoudre en abandonnant ma tête sur l'épaule d'une personne en particulier.

J'ai attrapé mon téléphone, recadré un peu, moins que ce que je pensais. J'ai trois versions de cette photo, maintenant, la version juste recadrée, une avec un tout petit peu de flou à l'arrière-plan et une en noir et blanc, et les trois me submergent. Je crois que j'ai réussi à capter ce avec quoi elles m'ont touchée. Peut-être qu'il y a des gens qui sont contents d'une grande partie de leur production, je n'en suis pas là du tout, mais l'histoire que raconte cette photo, ce qu'elle me donne, comme si elle avait été prise par quelqu'un d'autre, j'en suis heureuse.

Et, pas de bol pour vous, je crois que j'ai attrapé quelque chose de tellement intime que je ne vais pas la mettre en ligne (sur demande, on peut s'arranger, quitte à ce que vous vous demandiez pourquoi j'en fait tout un plat, de cette photo. Mais je crois que même sans la voir, quelques uns d'entre vous peuvent comprendre).

dimanche 8 juin 2025

Pas Venise sans Daniel Michon

Ceux qui me connaissent bien savent que je suis le fruit de mes parents et de leur éducation, mais aussi, en très grande partie, d'histoires, de livres, de films. De musique aussi. Les livres construisent des treillis auxquels s'attachent les branches de nos vies et en ce qui concerne, ça a commencé très tôt.

C'est ainsi que la raison pour laquelle je n'ai jamais mis les pieds à Venise, malgré une envie qui doit avoir plus de 40 ans, c'est l'absence dans ma vie de Daniel Michon. Ou plutôt de mon Daniel Michon. Pas la peine de retourner les réseaux sociaux pour savoir qui est ce mystérieux type qui me fait défaut ; il n'est fait que de mots. Ceux qui savent savent.

Et oui, bien sûr, je pourrais dire que je n'ai pas eu l'occasion, pas de sous au bon moment, que la ville s'enfonce et que c'est une démarche écologique et de préservation, n'importe quelle raison rationnelle que vous pourrez trouver, moi, je le sais, au fond de mon coeur, la seule raison qui tienne c'est l'absence d'un mec qui n'existe même pas (ni en vrai, ni déclaré comme tel dans ma vie).

Alors, peut-être que je finirai par céder à l'envie, à un moment où ma conjoncture économique sera plus favorable. Seule avec mes mille mots d'italien, avec une ou un ami, mes enfants, que sais-je. Mais pour le moment, ce cap n'est pas passé.

Ce que j'aime, dans l'idée du voyage, c'est ce lâcher-prise à la fois terrifiant et excitant de se retrouver à un endroit où on est plus tout à fait soi, faute de repères familiers. On ne comprend plus rien parce que la langue est étrangère, ou moins bien que dans sa langue maternelle telle qu'on la pratique. Les codes, les gens, les habitudes sont différents ; on se retrouve dans une sorte de shaker géant qui nous force à tout considérer d'un oeil neuf, obligé de travailler dur pour tenter de comprendre l'essence de l'endroit où on est et des gens qui le peuplent. Des situations nouvelles naissent des idées, des envies, des inspirations nouvelles.

J'ai appris à mon corps défendant que cette façon de voir les choses n'était pas universelle. Les quelques fois où on est partis en voyage, avec mes anciens compagnons, j'espérais que chacun allait nourrir de sa curiosité l'envie de surmonter les petites peurs de dépaysement de l'autre, qu'on verrait la même chose, en une sorte de cercle vertueux, de compagnonnage renforcé par l'inconnu.

Triste erreur.

J'ai souvenir du père de Cro-Mi, à Londres, on avait un appareil photo numérique du début de ces temps nouveaux en photographie, il effaçait mes photos pour prendre les siennes, la mémoire du bouzin étant trop étriquée pour en contenir plus d'une cinquantaine. Sentiment d'agression total. Il a d'ailleurs (toujours) une spécialité de se (faire) prendre en photo devant les points d'intérêt de son voyage, histoire de bien montrer qu'il y était. Autant vous dire que ce détail photographique était une preuve en image du gouffre qui nous séparait.

Le père de Lomalarchovitch a du mal avec les changements d'environnement et se transforme, quand déplacé à l'étranger, en enfant timide qu'il faut entraîner, pas par mauvaise volonté, notez bien, mais il est difficile de s'intéresser à ce qui s'offre à nous quand on a une tribu à remorquer, plus ou moins morose, plus ou moins intéressée, plus ou moins blasée, plus ou moins heureuse d'être là.

Aucun des deux n'a montré le moindre signe d'intérêt pour les gens, là où nous étions, leurs étranges coutumes, leurs façons de vivre. Et le bout de moi aventurier s'est doucement fait asphyxier, pendant que le morceau un peu inhibé par tant de nouveauté se renforçait de ce que leurs manières d'être rendait, chez moi, inapte à profiter vraiment. J'ai détesté voyager avec eux.

Ne pas prendre l'avion est presque plus un héritage de cette répulsion à partir avec eux, alourdie par ces expériences, qu'une démarche écologique (lapidez-moi, rien à foutre).

Pendant quelques jours, ces derniers temps, je me suis fustigée sur mes choix de vie, paresseux et dilettantes. En fait non, tout est la faute de Daniel Michon.Un couple d'amoureux assis sur un pont et vus d'un bateau sur le canal, à Bruges.

mercredi 4 juin 2025

Des effets indésirables du Covid

Passage à vide long et noir.

Pas la faute au Covid lui-même (encore qu'il tabasse bien), mais à ce qu'il a mis en lumière.

La solitude de l'extrême quand on est plus vulnérable que d'habitude.

J'ai pas aimé. Ni la sensation, ni l'attitude dégueu de mon aîné ces deux dernières semaines - ok, il digère une sale nouvelle mais quand même. Ni la fondamentale tristesse qui tarde à se dissiper.

Le burn-out existentiel, la perte d'appétit pour le simple fait de continuer à m'acharner sur des trucs dont la terre entière se fout.

C'était moche. Ca n'est pas fou-fou non plus ce matin mais c'est un peu mieux. Moins pire.

Moins de larmes qui montent à l'idée de tout ce qu'il faut gravir chaque matin, le job qui se délite, les effets collatéraux d'avoir des enfants, le budget à zéro ce mois-ci, ah non, les prévisions sont déjà en négatif, Lomalarchovitch a perdu son livre de maths, il faut le remplacer, les repas à enchaîner, les trucs à réparer, les courses à faire, les agendas à synchroniser. La lutte, sur tout, tout le temps.

Encore un peu des larmes, on ne va pas se mentir.

J'envie tellement les gens qui ont trouvé "leur" bonne personne, qui ont au moins des bras ouverts, pas que virtuellement, dans lesquels venir se blottir quelques minutes. Et à qui ouvrir les bras en retour.

Et pourtant je ne regrette rien : on se sent au moins aussi seul(e) avec une personne à qui on ne fait plus confiance pour prendre un peu soin de nous.

C'est juste que je me sens comme une enfant à qui on apprend que le père Noël n'existe pas. Ou pire : il existe, bien sûr, je suis juste exclue de sa tournée.

Et ingrate vis-à-vis de ce que je reçois d'affection, de soutien, d'attention, d'indulgence, en plus.

Ca ira mieux, je ne sais pas encore trop sur quel bouton appuyer pour ça mais ça ira mieux.

L'ombre d'une mère et de son enfant, sous une passerelle, la nuit, près de la Philarmonie de Paris. Au fond, un bâtiment illuminé.

mardi 27 mai 2025

Relativisons, bordel

J'ai attrapé un Covid, un vrai, comme en 2O2O, trois jours horribles de forte fièvre, toux, maux de tête, les premiers informés (mes "cas contact", comme on disait alors) hilares, moi seule à la maison, personne pour compatir à travers la porte, pour faciliter quoi que ce soit.

Je me suis sentie seule à en crever, je vous le dis.

Et puis les suivants ont été plus compatissants (oui, il y a des cas en ce moment et le variant du moment tabasse, malgré la contamination précédente et les souvenirs de vaccins), la fièvre en moins, la toux plus légère. J'ai même pu lire, aujourd'hui (imaginez-vous : ne pas lire, ou pas plus de quelques pages, pendant trois jours, TROIS JOURS de suite, et étonnez-vous de mes pensées obscures).

J'ai bingé les premières saisons d'Urgences, pas revues depuis 3O ans, pour occuper les longues heures gémissantes.

Et bien croyez-moi, la vie dans la fiction n'est pas une chose facile.

Non parce que nous, on est là, à se lamenter, à savoir qu'on va crever de chaud et du fascisme à la fois, que le pire est à venir et que l'espèce humaine nous désespère - ainsi que l'amour.

Mais pendant ce temps-là, figurez-vous qu'il y a un pauvre mec qui a été à la fois l'interne du Dr Benton et le souffre-douleur de Dr House. Mais oui. Et ça m'avait totalement échappé lors des premiers visionnages de chaque.

Alors voilà, relativisons, bordel.

Mon test, positif au Covid, avec un joli trait apparu en quelques secondes pour me dire : "hey, how fucked you are, baby"

samedi 24 mai 2025

On dit aussi gabian

L'état dans lequel les riches et puissants de ce monde a mis les réseaux sociaux, la fatigue militante, l'épuisement lié à l'exposition constante du pire du café du commerce, la dispersion des pensées qu'on aime lire/écouter a au moins un effet fort positif : des blogs ouvrent.

Parmi eux, j'attire votre attention sur l'un qui vient d'émerger (enfin vu la quantité de lecteurs qu'on a en commun, vous savez sans doute déjà, mais si vous ne saviez pas, ça serait dommage) : Le cri du goéland le soir au dessus des jonques.

Alain Korkos est de retour parmi les blogueurs, youpi ! Ceci est la bannière de son blog,  Il s'agit de la partie droite d'une peinture de Pu Ru : Un atelier dans les montagnes verdoyantes. Il représente, sans grande surprise, des montages verdoyantes et il faut aller lire son blog pour en savoir plus.

Pour les non sudistes, on dit aussi gabian (pour goéland, pas pour jonque), et le gabian-goéland, on le sait, a un cri doux et mélodieux (arf) ce qui ne m'empêchera pas de vous assurer avec certitude que nous allons passer, avec ce blog, de bien belles heures de lectures érudites, jolies, drôles et pédagogues.

La fin du billet inaugural, si je n'ai pas réussi à vous inciter à cliquer, dit ceci : "Comme quoi il faut toujours faire attention : une image peut en cacher une autre."

C'est bon ? Convaincus ?

Méfiez-vous un peu quand même, je crains que ce blog ne déclenche de la connaissance supplémentaire, de la rêverie, de l'ouverture à des mondes lointains. Par les temps que nous vivons, ça risque de faire de vous des gens dangereux.

Bonne lecture !