Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

jeudi 7 août 2025

Carte postale #2

Si j'étais un arbre, je serais probablement un pin parasol.

Je vous l'accorde, c'est un arbre chiant : ses racines déforment les sols, ses épines, sèches, tombées au sol, piquent les pieds et ne se laissent pas ratisser facilement. Quand il est malade il pleure une substance collante, si vous avez de la chance, ses pignes recèlent des trésors qui vous laisseront les doigts - et tout ce que vous toucherez - noirs.

Mais ce sont mes arbres amis. J'ai passé tous mes étés en leur compagnie. Le vent les rend frémissants comme des amoureux. Même taillés en brocolis, ils sont majestueux. Leurs branches forment des sculptures envoûtantes. "Un bonsaï géant !" s'est exclamé quelqu'une de ma connaissance en les voyant, c'est exactement ça.

Quand j'étais petite, je passais des heures, dans le jardin, à collecter les pignons. Combien de doigts meurtris entre la pierre et la marche de la terrasse pour ouvrir leurs coques et recueillir, en masse, les précieux. Dommage, je n'en étais pas folle, mais la quête et l'air gourmand des autres étaient mes récompenses.

Maintenant on n'en trouve presque plus. Même les pâtisseries locales sont faites avec des pignons chinois.

On parle, dans la région, de la maladie qui s'abat sur eux, depuis quelques années. Qui y va de son traitement, qui de ses larves de coccinelles, onéreuses, mais miraculeuses, paraît-il. Je constate qu'ils sont redevenus verts, cette année, plus de zones roussies. On surveille, la chienne et moi, du fond de nos fauteuils, sur la terrasse.

Surtout, on les abat. Une dizaine de moins dans ce qui fut une pinède, du temps de l'enfance de mon père. Ils gênent la vue sur la mer. Ce n'est pas comme s'il suffisait d'aller jusqu'à la rue pour regarder la mer, 150 mètres plus bas. Et mon syndrome d'Idéfix pleure devant ces copains bicentenaires abattus.

Et vraiment, si vous n'êtes sensibles à rien de tout ça, dites-vous que ces arbres sont formidables : ils donnent l'heure de l'apéro, quand la lumière dorée vient frapper leurs troncs.

Alors voilà, si je devais être un arbre, même un peu encombrant, oui, c'est sûr, je serais un pin parasol au bord de la Méditerranée.

Des pins parasol dans la lumière dorée de fin de journée.

dimanche 3 août 2025

Carte postale

Il y a quelque chose d'inhabituel dans l'air, cet été. Ou plutôt, il ressemble plus aux étés d'antan. Après dix ou quinze ans de températures écrasantes, de taux d'humidité effarants, c'est une douce chaleur sèche qui nous entoure ces jours-ci. On est bien, peau à l'air, offerte au soleil et au vent, et pas affalés, transpirants à l'idée de se lever pour aller chercher un verre d'eau.

La température de la mer est accordée à celle de l'air : autour de 25, ni bouillon trop chaud, ni lendemain de mistral (encore qu''on soit un lendemain de mistral, étrange, lui aussi, mais l'eau était accueillante ce matin).

Pour la première fois depuis... toujours ? Très longtemps, en tout cas, j'ai dépensé des sous dans un maillot de bains de qualité, j'aurais dû commencer avant, ça change tout. J'ai le mix parfait entre un décolleté vertigineux - et des voisins de plage soudain très bavards et courtois - et la possibilité de nager, même, de loin en loin, un peu sportivement, tout reste à sa place. Les bouts de moi, le maillot. Révélation.

La plage, justement, est assez peu peuplée. Peut-être que les aoûtiens ne sont pas encore installés, peut-être qu'on arrive enfin à faire comme j'aime : y descendre tôt, 9 heures à peine passées, remonter avant la descente de ceux qui supportent le soleil de midi. Moi, à midi, douchée de frais, je commence à parler apéro, on déjeune, pas tôt, on sieste au plus chaud de la journée.

À une exception près (une jeune mère qui est littéralement venue s'installer au milieu de mes affaires, sans bonjour ni merde ni quoi que ce soit d'autre), nos voisins de serviette sont donc matinaux et courtois. L'une ce matin est venue plaisanter de mes mésaventures d'occupation illicite de mes tongs, on a ri, d'autres demandent d'où on vient, si on connaît la région, partagent leurs découvertes, restaurants ou beaux cailloux pêchés au fond de l'eau. Le décolleté, vous dis-je.

Assise sur la terrasse en compagnie de ma petite soeur (la chienne de la maison, gâtée pourrie comme une petite dernière) on flaire la ratatouille qui embaume, les bourdons en vadrouille, on paresse et on baille, l'une après l'autre, à s'en décrocher la mâchoire. On est bien, toutes les deux. On sait que la foule (familiale) va surgir, les uns d'une quête de pain, les autres d'un jeu, d'un livre, d'un moment à l'ombre. La vie va s'agiter de nouveau. Un peu. Elle sera moins sereine, parfois Alors on profite du calme et de la chaleur douce.

La plage des Cigales, dont je connais depuis toujours le moindre grain de sable, mon endroit refuge, douceur, ma maison de sable, de sel et d'eau.
La plage des Cigales, dont je connais depuis toujours le moindre grain de sable, mon endroit refuge, douceur, ma maison de sable, de sel et d'eau., août 2025

lundi 28 juillet 2025

Libres mais pas trop

Cette idée de liberté, à laquelle on aspire plus ou moins toutes et tous, qui figure même dans notre devise, elle est quand même fort relative. En fonction de l'endroit du monde où l'on vit, de ses lois. De l'assouvissement de nos besoins primaires ou pas. Et rassurez-vous, je n'ai pas fait de longues et onéreuses études de philosophie pour en arriver à cette conclusion tarte à la crème.

C'est d'ailleurs curieux qu'on emploie le même mot pour parler d'une personne célibataire et d'un prisonnier qu'on relâche. (Le couple est-il une prison ? Vous avez deux heures et probablement un billet à lire sur le couvent d'ici peu).

Et même, la plupart d'entre nous tiennent à leur(s) liberté(s) mais pas d'une façon jusqu'au-boutiste. Si on parle d'ici et de maintenant, que faudrait-il pour être absolument libre ? Ne pas avoir d'identité reconnue. Ne pas payer d'impôts, donc ne jamais déclarer de revenus. Donc avoir une activité qui peut se payer en liquide, ou en services rendus. Ne se soumettre à aucune forme d'autorité. Echapper au système bancaire. La vie devient tout de suite très compliquée. Enfin trop pour moi.

Alors voilà, on veut être libre, jusqu'à un certain point, pour la plupart des gens. Dans la limite des règles établies par l'endroit où l'on vit, plus ou moins (et cette nuance a de l'importance) et de nos attaches affectives.

Le soleil aperçu dans une couche de nuages furieux, le ciel plus dégagé en dessous, les faites des toits parisiens, en bas.

Et ensuite ?

Arg. Là aussi, il y a des limites à ce que la plupart d'entre nous est prêt(e) à accepter.

Par exemple : la semaine dernière j'ai vu quatre films différents [1], aux horaires à peu près choisis (avec comme contraintes : mes horaires de boulot, ceux des cinémas et, pour celui que j'ai vu accompagnée, les contraintes de l'autre personne concernée). Pas tellement besoin de me soucier de transports, de météo, d'heure à laquelle rentrer, de dépenses impossibles à assumer. Pas non plus besoin de m'inquiéter de mon droit à circuler - à part l'arrivée du Tour de France qui a légèrement et ponctuellement impacté les transports en commun parisiens hier, de la façon de m'habiller (résolument trop optimiste hier).

De la bonne liberté comme on aime, facile, légère.

Impossible dans d'autres régions du monde, néanmoins.

Et plus compliquée pour un certain nombre de personnes qui vivent au même endroit que moi, au même moment.

Savourons.

Le corollaire le plus violent de l'envie absolue de liberté, c'est la solitude. Faire ce qu'on veut, quand on le veut, sans tenir compte de quiconque, ça ramène assez vite à être seul(e) le plus souvent. Je ne suis pas sûre que de vivre en absolu(e) solitaire tout au long de sa vie soit quelque chose de bénéfique. Nous sommes des animaux sociaux, nous affranchir de contacts, de connivence, de codes partagés, de chaleur humaine, c'est quand même s'amputer d'une bonne part de ce qui rend la vie vivable.

Pour autant, on se la fait grignoter, notre liberté, depuis des années. Sans trop de sursauts. Je veux dire : il y a des gens pour protester, s'indigner. Heureusement. Mais globalement nos territoires de liberté sont rétrécis, insidieusement. Pas encore de façon très sensible, pour beaucoup de gens.

J'ai peur, pour les décennies à venir, que le réveil ne soit brutal. Si un réveil est encore possible. Qu'il ne s'agira plus de liberté de se divertir, mais de sujets beaucoup plus fondamentaux, qui form(ai)ent la société dans laquelle nous avons grandi.

Tout ça pour dire que trop de liberté, c'est sans doute difficile à vivre. Nous avons trop besoin des liens que nous créons pour ne pas accepter les contraintes qui vont avec. Mais pas assez, c'est invivable. Même abruti(e)s de divertissements et de vie facilitée par le progrès.

Est-ce qu'on est sûr(e)s de ce qu'on veut sacrifier ?

Note

[1] Dont, je ne me lasse pas d'en rire, Eddington, qui se passe sur fond de Covid et de complotisme, et figurez-vous que je suis sortie du ciné avec la 5G alors que j'y étais entrée en 4G. Il se trouve que c'était un upgrade gratuit de mon cher opérateur de téléphone mobile, qui, coup de bol, a été déployé au bon moment pour me faire rigoler. Pensez, dans 20 ans, quand je ne me souviendrai plus du pourquoi de cette note, à me rappeler les blagues sur les vaccins et la 5G, merci, bisous.

jeudi 24 juillet 2025

Saisons

Normalement c'est sur le dernier tiers d'août que je remarque que la longueur des jours a pris un coup dans l'aile, à la fin des vacances, quand il ne fait plus clair jusqu'à plus d'heure, quand la fenêtre ouverte laisse entrer, le matin, vers 6 heures, une petite lumière pâle plutôt qu'orangée.

Cette année c'est particulier. La première moitié de juillet était étouffante, puis orageuse, à tour de rôle. Volets baissés pour tenter de garder un peu de fraîcheur, puis pour se protéger des grosses pluies, la nuit. Un demi mois un peu obscur ou alors sous une chaleur d'enfer. Et depuis ? Il pleut, bruine, déluge, brumise, météo grise, un peu moite malgré sa fraîcheur.

La Tour Eiffel sous la grisaille de juillet 2025.

Ces derniers jours ça m'a frappé, que déjà la lumière des petits matins insomniaques commençait plus tard. Mais je ne suis pas encore partie en vacances ! Qu'on me rende mon été ! Qu'on me rende la lumière !

Juillet, c'était aussi un mois de grande liberté : Lomalarchovitch aux bons soins de son père, Cro-Mi vivant dans sa batcave, j'ai parfois mené une vie trépidante, parfois très calme, me suis nourrie principalement de tomates et de fromage (la vie la vraie), j'ai mangé avec des ami(e)s et bu des coups avec d'autres, parfois les deux, dîné d'une bière et de pop corn, un soir, pris du temps pour ne rien faire, passé du temps à lire, à écouter de la musique, vu trois concerts, quelques films.

Personne pour me gonfler, me pousser quand je n'ai pas envie ou me tirer en arrière quand j'ai très envie.

(Ça ne change rien à l'absence de qualité de mon sommeil).

J'adore mes enfants.

J'aime aussi très fort mes moments solitaire.

Même quand ils sont entrecoupés de moments de tristesse, à me dire que j'aimerais bien que quelqu'un ait envie de me prendre dans ses bras, quelque part (et même : dans ses bras, donc).

Bref, encore quelques jours et je retrouve mon géant miniature, les vacances commenceront avec leur lot de bonheurs mais aussi d'agacements. Et puis nous rentrerons et les jours seront vraiment plus courts. Et ça sera reparti pour un tour de la boucle de l'année, de sa fatigue insoutenable, de ses emmerdes à deux balles dont on se passerait.

Bon. Tentons de profiter de tout, des derniers jours quasi seule, du retour de l'enfant hilarant-épuisant, des jours paisibles, de l'eau de mer et toutes ces sortes de choses.

lundi 21 juillet 2025

La logistique des derniers mètres

J'ai la chance, immense, d'avoir un gardien dans mon immeuble, et un gardien avec lequel je m'entends bien. C'est important pour la suite.

Car il a ses têtes.

Et selon, il prend, ou ne prend pas, les colis.

Or, nous avons un flux solide de produits entrants.

De très gros cartons sur la table à manger.

Bien contente quand il les attrape au vol.

Surtout quand ce sont les croquettes des chats qui arrivent, in extremis, et que l'étudiant ne sait plus répondre au téléphone, réagir à l'interphone, ouvrir une porte.

Là, se met en place la logistique des derniers mètres : je lui demande s'il a mon colis, ou il me demande si je suis là. Et puis il met le carton dans l'ascenseur, je réceptionne à la sortie et paf. Aussi simple que ça.

J'aime bien mon gardien.

(J'aime bien, aussi, les colis furtifs qui se faufilent, sans lui, jusque dans ma boîte aux lettres, par surprise et que je vais chercher, le coeur étonné, à des heures étranges).