La vie et toutes ces sortes de choses

jeudi 14 mars 2024

Quand est-ce qu'on se voit ?

Je suis le fruit de parents extrêmement sociables et d'une époque dont les codes et les outils étaient différents. Il n'était pas rare qu'enfant, en rentrant d'une course avec mon père, le samedi matin, on s'arrête taper au carreau de copains, et que selon la fortune qui était la nôtre, on les trouve chez eux, on y prenne un café, puis un apéro, puis qu'on appelle ma mère pour qu'elle nous rejoigne avec mon petit frère. On en repartait un ou deux repas plus tard[1]. Ca fonctionnait dans l'autre sens aussi, avec une particularité marrante : le salon de notre maison donnait directement sur la rue et il arrivait souvent que les copains enfants ou ados et les plus sportifs des adultes méprisent la porte et passent directement par la fenêtre pour entrer chez nous (une fois cette dernière ouverte, évidemment).

J'ai un souvenir d'une période un peu longue et chiante de travaux à la maison - il s'agissait de déplacer la cuisine - dont mes parents ont fait l'essentiel, sacrifiant leurs week-ends à la cause. Ils ont été tellement frustrés de ces mois de pause dans leur intense vie sociale qu'il n'était pas rare, par la suite, qu'ils aient des invitations pour tous les repas du week-end et qu'on ne les voit qu'à peine au petit-déj.

Je suis plus calme qu'eux, de ce point de vue. Les grands rassemblements ne sont pas mes amis, il faut de sérieux arguments pour m'attirer dans un endroit où on dépasse la dizaine. Mais quand même, j'aime ça, passer du temps avec les gens qui me sont chers. Il se trouve que j'ai partagé les quasi 25 dernières années de ma vie avec des hommes qui ont assez peu cette fibre tribale au cœur. J'ai adoré la puissance d'internet, des blogs et réseaux sociaux, pour rencontrer des gens fantastiques, du bout de la rue ou du bout du monde. C'était une époque formidable : on ne se voyait pas forcément beaucoup mais on se parlait. Dans les commentaires des blogs, des statuts. Par email. Les conversations occupaient le terrain et de très beaux liens se sont créés, renforcés avec les années.

Et maintenant... plus tellement.

A quel moment on est devenus tellement débordés ? A quel moment on a arrêté de papoter ?

Alors OK, il y a l'éloignement géographique avec plein de gens qui vivent loin de Paris. Ok les enfants, le quotidien, le boulot.

Ok je sors d'une douzaine d'années de vie avec quelqu'un dont les horaires décalés ont compliqué la gestion de la vie amicale. Où les rencontres étaient liées à l'annulation ou pas d'une représentation.

OK, je suis en ce moment très avide de me changer les idées. Peut-être que ça me fait ressentir plus fort que d'habitude le fait que la table du salon ne reçoit pas tellement d'invités[2]. Je ne sais pas si je suis devenue sauvage et que le reste du monde vit une vie sociale épanouie, finalement. Ou si juste c'est plus compliqué et moins spontané qu'un avant que je fantasme un peu, de se voir.

Je fais le lien, peut-être à tort, avec notre e-vie sociale. On est passés de discussions endiablées à un like, si vraiment, on veut faire un effort. De ping pong de réponses en commentaires fleuves, on est arrivé à une sorte d'indifférence, où le scroll des nouveautés, plus ou moins algorithmiquement favorisées, prend le dessus sur l'échange.

(Je me sens tellement vieille conne)

Bref. J'ai dit mille fois que j'adorais les blogs parce que ça me permettait de concilier deux choses que j'aime faire : discuter et écrire. Petit à petit les rebonds en commentaire se sont déplacés sur les réseaux sociaux. C'était différent, mais chouette aussi. Et puis les grands patrons des réseaux sociaux ont cassé nos jouets. Ou on s'est blasés. Bref, ça bande mou, un peu, l'internet des bavardages entre copains, je trouve.

Mais putain, quand est-ce qu'on se voit, bordel ?

Notes

[1] J'ai appris par la suite que ma mère détestait ça, s'imposer chez les autres, mais hey. Personne n'avait l'air maltraité.

[2] Il faut dire qu'en plus, le chien ne rend pas les choses faciles mais c'est encore un autre sujet

vendredi 8 mars 2024

La fabrique du joli

J'allais commencer en disant : "Quand la vie ne va pas complètement comme on voudrait". Mais non. Cette recette peut être utilisée absolument tout le temps, même quand tout vous sourit [1]. Il est possible toutefois qu'on en ait encore plus besoin dans certains moments que dans d'autres alors... rêvons.

Que faudrait-il pour fabriquer du joli ?

Si le soleil se pointait, ça serait bien. Pas totalement indispensable, on ferait quand même, sans lui. Mais sa présence insolente et, n'ayons pas peur des lieux communs, lumineuse, pile au bon moment, serait un plus. Surtout en sortie d'hiver, quand on a bien fait le plein de sombre, de nuances de gris et d'humide.

Il faut du beau, aussi. Du paysage, de l'architecture. De l'art. Que l'œil puisse se poser dessus et s'illuminer de joie, s'interroger, râler, s'enthousiasmer.

Dans mon cas, et je comprends absolument les gens qui n'éprouvent pas cette nécessité, c'est bien s'il y a des gens (pas BEAUCOUP de gens, souvent, à l'unité). Ils peuvent être de nature un peu étrange, comme ceux dont on retient dès le début des choses inaccoutumées, ou pas, comme vous voulez. Pour moi, c'est plutôt oui. Pour fabriquer du joli, il faut des sourires, des rires. De la curiosité, quelque chose de l'ordre de l'addition de nos énergies qui donne une atmosphère dont on ressort avec le sourire et qui flotte un peu autour pendant un moment.

Du bon manger (oh que je vous plains, gens pas gourmands), du bon boire.

Des bêtises qui resteront longtemps accrochées à un souvenir, des choses plus ou moins sérieuses qui prendront du temps, sans doute, à être racontées au moins en partie.

Et puis, comme je suis une sauvage rebelle qui ne s'ignore pas tout le temps, ça serait bien de piquer un peu de temps à la productivité capitaliste. D'être l'artisan d'un morceau de liberté dans un bout de semaine habituellement peu dédié au plaisir. Fabriquer un bout de week-end au milieu de la semaine, en somme. Quelques heures de vacances piquées au sens du devoir.

Un peu d'arpentage, des endroits qu'on aime. Ou à découvrir, je ne suis pas chiante (pas sur ça).

Ça ne serait pas bien, de se fabriquer un coin de joli au nez et à la barbe des gens sérieux ?

Note

[1] ça arrive combien d'heures dans une vie, finalement, que TOUT aille bien en même temps, d'ailleurs ?

mercredi 6 mars 2024

Quelqu'un est mort

Quelqu'un est mort et ça me laisse stupéfaite.

Oui, je sais bien que des centaines de milliers d'humains meurent chaque jour. Mais celui-ci me touchait d'un peu plus près. Juste un peu.

On se connaissait, on ne se connaissait pas. J'aimais le lire, en grand ou en petit.

Il avait du talent. Il avait des gros soucis. Il n'était pas le premier dans ma vie avec des problèmes d'addiction.

Alors quoi ?

On aide un tout petit peu, comme on peut. En se doutant bien qu'on se fait couillonner, au moins un peu. En se demandant si on ne finance pas le truc en trop, qui fera tout basculer.

Mais parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, on aide. Un tout petit peu. On parle, aussi. On soutient.

On ne s'est jamais vus. Pas eu le temps. Grand projet 2024 à oublier dès mars. Allez vous demander pourquoi j'ai tant d'impatience à voir celles et ceux qui comptent : la seule garantie c'est maintenant. Alors voyez, écoutez, embrassez, aimez, vivez, faites ce que vous voulez, mais faites-le avant le grand trop tard, bordel.

On s'est échangé des confidences, entre membres de la famille des grands sensibles accros aux mots et au rock'n'roll.

On s'est recommandé des bouquins. On s'est dit du bien de son mec. On s'est dit du bien de quelques gens qu'on avait en commun.

Et là il n'y a plus rien que quelques messages, quelques élans.

Je n'ai pas de mots pour dire ce qu'on était : copains ? C'est beaucoup ou pas pour quelqu'un qu'on a jamais vu ? Mettons, tous les deux membres de la grande famille des beautiful freaks.

Et malgré cette petite amertume en forme de point d'interrogation, et même si, finalement, c'était une possibilité tellement forte que je ne devrais pas en être si surprise, je suis sidérée par la tristesse de sa mort.

Salut Alexandre. Je suis debout.

lundi 4 mars 2024

Les affreux

Il y a une joie irremplaçable dans ma vie, un monstre à cinq têtes qui rugit de rire régulièrement, c'est ma bande de collègues. Et encore, on en a perdu quelques uns avec le temps... mais qui restent présent, à défaut du quotidien, au moins régulièrement.

On est le gang de bisounours de l'open space, à l'humour aussi acide que notre tendresse est velours. Pas un pour rattraper l'autre en termes d'humour. (Et en plus on bosse bien, ensemble). Que ce soit un moment où les journées sont chouettes ou par gros temps, le plaisir de se retrouver, c'est notre moteur à nous. Celui de faire hausser un sourcil ou éclater de rire les collègues d'autres équipes vient en deuxième. Les affreux.

Amis du politiquement incorrect, des câlins et du marketing digital, c'est nous.

Pour preuve ? Echantillon de ce qui fuse entre deux réunions. Ou en plein milieu. Enfin juste un lundi matin plutôt calme.

Esprits sensibles s'abstenir de lire.

"Ah non mais c'est un crush qui va rester un crush. C'est bien dommage mais au moins, s'il embrasse comme un labrador, je ne le saurai jamais !"

"J'ai testé le form, ça a marché, j'ai bien reçu le doc." "Ah, c'est toi my submissive ?"

"Je crois que c'est foutu pour moi, j'ai perdu le pouvoir des nichons. Je suis restée une heure en face de lui, je ne l'ai même pas vu checker mes boobs une seule fois." "Ah non mais ça c'est pas toi, c'est MeToo"

Mon autocorrect a changé "Si j'ai besoin de sucre à 3 heures du mat" en "si j'ai besoin de suc e r à 3 heures du mat, j'ai trop honte" (et pour celles et ceux qui savent à quel point je déteste me relire et combien de fois je me suis fait piéger par l'autocorrect : NON ça n'est pas moi !!)

Ouah les meufs, vous êtes habillées pour ne pas le rester longtemps !! Canon !!

"Non mais le mot gros, il a une connotation à géométrie variable. Un gros chien, un gros gâteau, une grosse b1te, tout le monde trouve ça super. Une grosse daronne, par contre..."

Voilà, c'est nous l'élite de la nation, les dieux du digital. Ajoutons notre sale manie de jouer à "titre" toute la journée. Il se peut qu'on soit légèrement insupportables. Mais qu'est-ce qu'on s'aime.

lundi 26 février 2024

Deux virgule huit mètres carrés

Petit à petit l'espace se réduit.

La cuisine est devenue hors limites il y a de nombreux mois déjà. Jamais propre, jamais accessible. Toujours à se marcher dessus, les rares moments à y exister ensemble. Une grande cuisine, pourtant, mais des normes d'hygiène et des attentes sur le rangement drastiquement différentes. Et ce renoncement qui devait être fait pour faire réagir : "tant que c'est comme ça, je n'y entre pas". Grosse maline. Plus de cuisine.

La salle de bains : envahie de piles de linges, le sale d'un côté, les panières pleines de propre jamais rangé de l'autre. C'était une bonne idée, pourtant, semblait-il. Une panière par habitant, à poser dans la chambre concernée une fois par semaine. Chacun range sa part. Jamais fait. Trop compliqué, encore. Et le linge sale des garçons qui surgit par sacs entiers, d'un coup, qui bloque tout le temps d'évacuer la corvée. La faute d'un gosse qui n'est même pas le mien qui trouve le couloir trop long. Sans parler de l'irracontable dégueulasserie.

Le salon devenu lieu de sommeil, aussi, abandonné. Il semblait humain de laisser à l'autre "son" espace qui ne redevient commun qu'au moment des repas partagés, comme si de rien n'était. Envie de vomir plutôt que de manger, souvent, devant le spectacle du déni.

Même ma chambre. Occupée cinq jours par semaine de 9 heures à 18 heures au moins. Sans aucun scrupule à s'attarder. Pièce dans laquelle, si la porte n'est pas fermée, on regarde, on entre sans prévenir, on interrompt.

Reste le lit. Même s'il a fallu batailler pour le déclarer zone interdite, à mon usage exclusif réservé. A part les chats. 2,8 mètres carrés où planquer le peu qui reste de ma vie intime. Enfin intime, calmons-nous. Hors de question d'en faire quoi que ça soit d'autre que ma retraite. Pas de changement d'agencement possible, non plus, pour le moment.

Litanie de la relativisation : c'est pas grave, c'est que du matériel, c'est à durée limitée, ok ça paraît long, pourquoi s'infliger ça, pourquoi être la seule à s'obstiner à considérer les autres, j'en rirai plus tard, déjà trois mois, tiens bon, c'est rien, il y aura un après.

Mais ne pas avoir envie d'en rire. Du tout. Rentrer parce que les enfants sont là, enfin au moins un, l'autre, une semaine sur deux. Rentrer parce que c'est le seul endroit possible. Rentrer parce que quand même, c'est chez moi, bordel. Mais n'avoir qu'une envie, à de rares moments près, quand j'y suis : être ailleurs. Tant que je ne peux pas refaire mon nid, m'y planquer.

2,8 m². C'est pas lourd, sauf dans ma tête et mes tripes.