Je suis le fruit de parents extrêmement sociables et d'une époque dont les codes et les outils étaient différents. Il n'était pas rare qu'enfant, en rentrant d'une course avec mon père, le samedi matin, on s'arrête taper au carreau de copains, et que selon la fortune qui était la nôtre, on les trouve chez eux, on y prenne un café, puis un apéro, puis qu'on appelle ma mère pour qu'elle nous rejoigne avec mon petit frère. On en repartait un ou deux repas plus tard[1]. Ca fonctionnait dans l'autre sens aussi, avec une particularité marrante : le salon de notre maison donnait directement sur la rue et il arrivait souvent que les copains enfants ou ados et les plus sportifs des adultes méprisent la porte et passent directement par la fenêtre pour entrer chez nous (une fois cette dernière ouverte, évidemment).
J'ai un souvenir d'une période un peu longue et chiante de travaux à la maison - il s'agissait de déplacer la cuisine - dont mes parents ont fait l'essentiel, sacrifiant leurs week-ends à la cause. Ils ont été tellement frustrés de ces mois de pause dans leur intense vie sociale qu'il n'était pas rare, par la suite, qu'ils aient des invitations pour tous les repas du week-end et qu'on ne les voit qu'à peine au petit-déj.
Je suis plus calme qu'eux, de ce point de vue. Les grands rassemblements ne sont pas mes amis, il faut de sérieux arguments pour m'attirer dans un endroit où on dépasse la dizaine. Mais quand même, j'aime ça, passer du temps avec les gens qui me sont chers. Il se trouve que j'ai partagé les quasi 25 dernières années de ma vie avec des hommes qui ont assez peu cette fibre tribale au cœur. J'ai adoré la puissance d'internet, des blogs et réseaux sociaux, pour rencontrer des gens fantastiques, du bout de la rue ou du bout du monde. C'était une époque formidable : on ne se voyait pas forcément beaucoup mais on se parlait. Dans les commentaires des blogs, des statuts. Par email. Les conversations occupaient le terrain et de très beaux liens se sont créés, renforcés avec les années.
Et maintenant... plus tellement.
A quel moment on est devenus tellement débordés ? A quel moment on a arrêté de papoter ?
Alors OK, il y a l'éloignement géographique avec plein de gens qui vivent loin de Paris. Ok les enfants, le quotidien, le boulot.
Ok je sors d'une douzaine d'années de vie avec quelqu'un dont les horaires décalés ont compliqué la gestion de la vie amicale. Où les rencontres étaient liées à l'annulation ou pas d'une représentation.
OK, je suis en ce moment très avide de me changer les idées. Peut-être que ça me fait ressentir plus fort que d'habitude le fait que la table du salon ne reçoit pas tellement d'invités[2]. Je ne sais pas si je suis devenue sauvage et que le reste du monde vit une vie sociale épanouie, finalement. Ou si juste c'est plus compliqué et moins spontané qu'un avant que je fantasme un peu, de se voir.
Je fais le lien, peut-être à tort, avec notre e-vie sociale. On est passés de discussions endiablées à un like, si vraiment, on veut faire un effort. De ping pong de réponses en commentaires fleuves, on est arrivé à une sorte d'indifférence, où le scroll des nouveautés, plus ou moins algorithmiquement favorisées, prend le dessus sur l'échange.
(Je me sens tellement vieille conne)
Bref. J'ai dit mille fois que j'adorais les blogs parce que ça me permettait de concilier deux choses que j'aime faire : discuter et écrire. Petit à petit les rebonds en commentaire se sont déplacés sur les réseaux sociaux. C'était différent, mais chouette aussi. Et puis les grands patrons des réseaux sociaux ont cassé nos jouets. Ou on s'est blasés. Bref, ça bande mou, un peu, l'internet des bavardages entre copains, je trouve.
Mais putain, quand est-ce qu'on se voit, bordel ?