La vie et toutes ces sortes de choses

vendredi 2 mai 2025

Des gens

Il fait, depuis quelques jours — et jusqu’à l’orage prévu dans quelques heures — un temps d’été à Paris.

Ajoutons à la météo un jour férié, et l’ambiance de la ville devient digne d’une station balnéaire. Les filles et les femmes portent des tenues plus joyeuses, plus virevoltantes ou plus courtes, la démarche légère de celles qui peuvent enfin offrir un peu de peau au soleil. Les garçons et hommes sont heureux de les contempler, car tout le monde — enfin, tout le monde qui en vaut la peine — le sait : c’est la joie des femmes qui les rend belles. (Sans parler des femmes qui contemplaient les femmes, les hommes qui s'enjaillaient à mater les hommes et tout ce que l'arc-en-ciel propose).

En tout cas, c’est une jolie façon de raconter cette atmosphère légère et détendue qui flottait sur la capitale hier.

Si seulement on arrivait à s’en souvenir le reste de l’année…

Paris et sa proche banlieue, peuplées de trop de gens, de trop de stress : on y est bousculés ou bousculants, maltraités ou maltraitants. Bref, on s’en prend plein la figure dès qu’on met le nez dehors. Et c’est bien compréhensible : chacun, chacune, protège un petit bout d’espace vital, court après le temps qui manque.

Impossible de faire taire le oumpf grognon et la pensée désagréable à l’égard de notre congénère, bien appuyé sur notre épaule dans le métro, ou pesant de tout son honnête poids sur nos orteils. Ou puant — du corps ou de l’âme.

Presque tous les jours, je laisse passer ces pensées peu aimables, et me contrains ensuite à formuler in petto : « Allez, il/elle fait comme il peut. »

Pas par angélisme, mais parce que si on commence à considérer que tous les autres sont l’ennemi, c’est mal barré.

Et puis l’éducation, les codes, ne sont pas si universels que ça. L’attention à l’autre varie d’un individu à l’autre. Les dernières décennies nous ont installés dans un individualisme féroce. C’est pénible pour tout le monde — et que celui ou celle qui est irréprochable en toutes circonstances me jette la première pierre. Pour un véridique et ultime connard, il y a une immense majorité de gens qui font ce qu’ils peuvent avec qui ils sont, et voilà. Curieusement, ça rend la vie plus simple de ne pas monter dans les tours à chaque micro-agression urbaine.

Et pour récompense, si on regarde attentivement, tous les jours, on voit des gens qui montent le niveau. Qui disent bonjour au chauffeur du bus, retiennent le coude d’une dame vacillante sous la force du freinage, aident à porter une valise, à soulever une poussette plus ou moins garnie. Alors c’est comme tout : on retient surtout ce qui va mal — ce retard épouvantable à cause d’un arrêt interminable dans une rame bondée entre deux stations, ce chauffard qui nous aurait écrasé plutôt que de ralentir… Mais je vous jure, il y en a plein, des chouettes gens, dans cette foule. C’est doux de les regarder. Et c’est pas mal d’essayer de les imiter, une fois de temps en temps.

Ça, et savourer les journées de grâce — comme hier. Voir une belle expo en bonne compagnie, partager Paris et sa banlieue avec des gens de bonne humeur, sourire au beau temps et à la lumière. Ce genre de journée où la principale préoccupation est de savoir si on se prend ou non un casse-croûte au caviar (non, je rigole).

Sans naïveté ni candeur, sans œillères, mais ouverts à l’idée que ce n’est pas toujours l’enfer. Loin de là.

lundi 28 avril 2025

La propriété, c'est le vol

Non, ceci n'est pas un billet anarchiste.

C'est pire.

Figurez vous que des choses traversent parfois mon cerveau, le matin au café, quand je contemple les toits de Paris.

Vue des toits du nord de Paris depuis celui de mon bureau.

Certains jours j'ai une vue d'ensemble, paysage urbain labellisé "admiré par le monde entier", des monuments en veux-tu, en voilà, le jeu des nuages ou de leur absence dans le ciel, aux bonnes heures des bonnes bonnes saisons, le lever du soleil.

D'autres matins, je fais le tour des appartements autour. Il y en a un dans lequel je me verrai bien vivre, grande verrière vers l'est, il doit y faire un peu chaud en été mais une petite terrasse, des plantes, de la lumière, c'est ma came. Pas dans mes prix, mais mon genre.

Parfois, ça me saisit, ce rapport au "chez soi". A perte de vue et à 360 degrés autour de moi, des appartements dans des immeubles. Des petits boîtes dans des grandes boîtes. On y met nos vies, nos papiers importants, nos enfants et animaux. On y vit, mange et dort, on y meurt parfois. Ce "chez nous" devient l'épicentre de notre existence, l'endroit où on revient. On y rêve, on s'y ressource, on s'y sent en sécurité. Nos tanières. Bien à l'abri de la nature dans laquelle nous serions bien peu à pouvoir survivre, comme ça, en un claquement de doigts.

Il arrive parfois qu'on s'y fasse cambrioler, que le feu ou l'eau s'emparent de ce qui nous est précieux et c'est, dit-on, un immense traumatisme. Le coeur de notre intimité ravagé, par malveillance ou pas de chance, ça se conçoit aisément.

Et pourtant, ils sont si fragiles, nos cubes, si vains face à la puissance de la terre et de ce qui s'y produit. J'ai vu un documentaire, un jour, qui disait qu'il faudrait, en cas de catastrophe, une centaine d'années à la nature pour reprendre ses droits, y compris sur le béton. Je ne sais pas quelle était la crédibilité de ce doc, je ne me souviens pas de grand chose. Mais bon, notre cube refuge, celui qui contient tout de nous, si fragile que ça ? On s'endette, parfois, pour revendiquer une propriété sur ce cube plein d'air et de nos objets préférés... on paye des décennies durant pour acheter quelque chose qui est à la fois totalement matériel, une porte contre les bêtes sauvages, un toit contre les intempéries, c'est tangible, et à la fois si absurde ; de l'air dans une boîte qui sera détruite un jour, qui ne portera même plus l'empreinte de notre présence. Le tout pouvant être réduit à rien en une poignée de secondes, de minutes, peut-être.

Oui, je sais. C'est comme la vie, finalement.

Mais quand même, cette absurdité à troquer argent contre droits d'occupation d'un volume d'air délimité par des murs périssables, il y a des jours où ça me retourne le cerveau.

Heureusement c'est fugace, le reste du temps, je me souviens qu'il faut remplir le frigo, passer l'aspirateur, faire l'état des lieux des enfants rentrés ou sortis, des conneries des chats, de l'arrosage des plantes, des machines à faire tourner et de l'électricité qu'il faudrait refaire, un jour, si j'étais riche. La déco aussi, tant qu'à être debout. Et puis, ma maison, c'est là que sont mes livres, alors abstraction ou pas...

dimanche 27 avril 2025

Carte postale

Il y avait du bleu, du gris, du jaune.

Il y avait du vent, de la pluie, du soleil, du sable, des galets, de l'eau salée à perte de vue.

Il y avait des copains à retrouver, d'autres à découvrir, des câlins à se faire, un enfant à remettre sur pied, puis à sécher, un gentil chien à la maison et un drôle de chien à la place, des gabians en masse.

Il y avait du bon dans les assiettes et dans les verres, des choses à apporter, d'autres à rapporter.

Il y avait des rires et des choses sérieuses.

mercredi 23 avril 2025

Démarrage en trombe

Le départ en vacances a été un peu tonique.

Disons que l'enfant qui m'accompagne, récupéré de la fin de journée la veille, a, dès le réveil montré des signes de défaillance digestive. De type vomissage dans le couloir à 6h15 du matin. Nettoyage du couloir, du fils, on a quand même réussi à attraper notre train et au bout d'une heure....

Idem. Dans le train. Sachez-le, les jours fériés, tout ce qu'on obtient de la SNCF en pareil cas est un sac poubelle et un rouleau de papier absorbant.

Et la tête en biais des voisins de voiture à qui on a fait passer un inoubliable voyage.

Bref, on est arrivés à l'heure voulue au lieu voulu, le gamin a fait une sieste de quatre heures et on est allés se promener dans l'air vivifiant de la mer pour reprendre nos esprits.

C'est seulement en mettant mes chaussures pour la promenade que je me suis rendu compte que...

Baskets dépareillées
avr. 2025

J'ai dû être distraite par autre chose au moment de quitter la maison.

(C'est strictement le même modèle, seule la "déco" change, pas de gêne à déplorer, juste un éclat de rire)

vendredi 18 avril 2025

On change, on vieillit

J'ai dû me faire, ces jours-ci, un aveu qui ne m'a pas plu du tout.

Imaginez-vous bien que, depuis 49 ans — bientôt 50 —, je me promène avec cette sorte de résilience à toute épreuve : dure à cuire mais sensible quand même, capable de me remettre sur pied, blablabla, bullshit and so on.

Bon.

J'ai constaté que je gérais moyennement bien la tristesse, en ce moment.

Enfin, on se comprend. La paire d’années 2023-2024 est passée par là, terrifiante à plus d’un point de vue : crainde de perdre ma mère, perdre un ami, me jeter à corps perdu dans une nouvelle tranche de vie, galérer tellement à trouver le bon dosage de la bonne molécule que j’ai cru, parfois, ne plus jamais me sentir bien.

Vous allez vous foutre de moi, mais ça prend du temps de se remettre, figurez-vous. Y a pas un jour youpla, tout va bien à nouveau, ou presque.

Il y a du mieux qui gagne, petit à petit. Et puis des jours sans, avec ou sans raison évidente.

Et des jours tristes, parfois.

Pas un drame.

Avant, quand j’étais triste, j’étais juste triste. Je pleurais toutes les larmes de mon corps, s’il le fallait. Je traînais mon drama le temps qu’il fallait, en général quelques heures, quelques jours, et puis c’était reparti.

Maintenant, quand le flot monte, je sens mes épaules remonter jusqu’à mes oreilles, tout mon corps se crisper, et un cri du cœur qui dit : « Oh non, putain, ça revient. »

Une sorte d’onde de choc qui n’en finit plus de se propager en cercles concentriques — mais dans l’autre sens (je fais les images bizarres que je veux, c’est mon blog, bordel).

Fort heureusement, ça passe. De plus en plus vite, j’ai l’impression. Mais ne nous portons pas la poisse avec des constats trop optimistes.

On change ; je n’ai plus de super-pouvoir pour contrer la tristesse.

On vieillit ; les stocks d’insouciance sont de plus en plus bas chaque année. Raison de plus pour en fabriquer dès qu’on peut. Ne serait-ce que quelques secondes.