Bousculade du type qui me marche dessus pour choisir ses brocolis. Bousculade du gamin qui a besoin d'écarter les coudes pour jouer dans le métro pourtant pas bondé. Agacement. Dézoome, calme-toi, meuf. C'est juste des gens qui voient droit devant, qui écoutent leur besoin et oublient l'existence de l'autre. Pas des méchants, juste centrés sur leur présent à eux.
Dézoome ? Ah ben pas tellement mieux à l'échelle de la politique, de l'humanité. Crise du moment ? Non, je suppose que le monde humain a toujours été comme ça. Guidé par ceux qui veulent plus, qui veulent tout. Combien de civilisations détruites, pillées, oubliées, depuis le début ? Combien de fois le profit d'une petite poignée au détriment du collectif ?
Parlons-en, d'ailleurs, du collectif. On est seuls, du début à la fin, ou presque. Que deviennent ceux qui militent pour le bien-être commun quand il va s'agir du collectif au détriment de leur individualité ? Combien, finalement, pour accepter de laisser un bout de leurs besoins à eux pour la stabilité du groupe ? Tellement peu.
Tellement peu de gens pour faire gaffe aux autres, un peu. Tellement peu qui se servent de la connaissance d'eux pour mieux écouter l'autre et construire des façons de vivre qui iraient bien aux uns et aux autres.
Surtout, tellement peu pour se souvenir de la vanité de tout ça. Notre passage si court sur cette terre ; la fin imminente à peine avons-nous vu le jour.
Rien n'a de sens, absolument rien que l'amour qu'on donne, si on a de la chance, celui qu'on reçoit. La joie d'être observateur de la beauté du monde, une fois de temps en temps. Les moments d'élévation liés à l'art, les quelques fois où on se sent lié à quelqu'un(e), rien qui ne laissera de trace... Tellement peu de temps pour en profiter. Les hurlements du monde qui nous en détournent.
Nous sommes si mortels.
"Le problème, Huck, c'est que t'as jamais grandi, toi. Tu vis toujours dans cette sorte de rêve d'un monde qu'existe pas."[1]
Call me Huck.
Note
[1] Dans "Huck Finn et Tom Sawyer à la conquête de l'ouest" de Robert Coover