Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

jeudi 20 février 2025

Dans la liste de mes rêves

Quand j'avais 18 (ou 19) ans, lors d'un voyage chez ma tante au Québec, nous sommes allées à Tadoussac voir les baleines. Il y avait moins de précautions que maintenant, les sorties se faisaient en zodiac, au plus près de ces gigantesques créatures, on parlait moins de ce que ça leur faisait à elles que du plaisir qu'on y prenait nous.

De fait, c'est l'un des souvenirs les plus puissants, les plus émouvants de la vie. Nous en avons vu une de très près, tellement près qu'elle était sous notre bateau, perpendiculaire.

Résultat ? Un peu de frayeur (que se passe-t-il si on l'agace ?), mais surtout une émotion qui est venue m'attraper un peu par surprise, comme une conscience accrue d'être minuscule et très temporaire en ce monde, face à cette immense baleine, sous mes yeux comme venue du fond des âges.

Depuis on a un peu progressé sur ce genre de tourisme, je crois qu'on se préoccupe un peu plus de la préservation de leur environnement. Comme si on en avait pas déjà massacré l'essentiel.

Dans la liste de mes rêves, il y a(vait) aussi : être pote avec un éléphant. Je crois que j'ai un truc avec les animaux colossaux. Je suis dingue d'eux, j'adore qu'on les trouve intelligents, qu'on raconte qu'ils nous trouvent mignons, qu'on leur prête des caractères de drama queens. Au delà de l'anthropomorphisme et des approximations pseudo scientifiques, j'aimerais bien avoir un copain éléphant. J'ai déjà des copains chats, pourquoi pas un éléphant (à condition qu'il ne saute pas à pieds jointe sur moi quand je lis, comme les deux velus qui partagent mon existence, ou qu'il ne me donne pas des coups de boule furieux pour me dire qu'il m'aime et qu'il voudrait une place entre le plaid et moi, n'est-ce pas Maïa ?).

Mais bon, voilà. L'éléphant il n'habite pas tout près. Et j'ai, maintenant, très présent à l'esprit le fait qu'on lui a piqué son habitat naturel, compromis sa bouffe, empoisonné l'existence en lui tournicotant autour. Je trouve ça assez insupportable. Et puis j'essaie de ne pas prendre l'avion. (Et puis je n'ai pas de thunes pour de grands voyages, de toute façon).

Alors je reste chez moi et je rêve d'éléphants. Et de tant d'autres choses. Je voyage en train, parfois en voiture quand on est plusieurs dedans.

A quelque chose, malheur est bon. Mon empreinte carbone calculée récemment à la faveur d'un atelier au bureau est de 5,3t de CO2e par an, celle du français moyen (pas celui de Cabu, la moyenne de celle des français) de 9,1 tonnes. Peut nettement mieux faire, mais fait mieux que beaucoup.

Les matins désabusés, je me dis que ça ne sert à rien, que de toute façon on a le pied sur l'accélérateur et qu'on va tous crever, quoi qu'il en soit. Et que ça sera tout aussi difficile pour ceux qui ont essayé de faire un peu mieux que pour les autres. (Et même : pire ?) Si celles et ceux qui ont les moyens d'inverser la tendance, de nous épargner famines, guerre civile, désastres s'en foutent, pourquoi je m'en ferais ?

Et puis je pense au copain éléphant dans ma tête, je me demande si à une personne près, ça change la donne, pour lui. Sans doute que ça ne se calcule pas comme ça.

Peut-être qu'un jour j'aurai plus de sous, et que ça sera encore possible. Ou alors qu'un mec plus malin que les autres ne me laissera pas le choix de mettre ce rêve de côté, peut-être qu'au final, un jour, je serai la pote d'un éléphant. Si le mec en question veut bien m'offrir le Leica D-Lux 8 qui me fait de l'œil, pour qu'on rapporte des souvenirs, aussi ? Non, j'abuse ?

Il y a des rêves auxquels on doit renoncer, tous, au cours de nos vies. D'autres qui sont accessibles et qu'on ne réalise pas parce qu'ils semblent égoïstes, inconsidérés.

J'ai l'impression, parfois, ça va vous faire rire, d'être trop raisonnable. Puisque tout le monde s'en fout et que presque personne n'est prêt(e) à renoncer à son plaisir immédiat, pourquoi je m'emmerde ?

samedi 15 février 2025

L'odeur du pot-au-feu le premier jour des vacances.

Hier en fin d'après-midi j'ai éteint mon ordinateur, et c'était là, enfin. J'étais en vacances.

Après 36 heures de maux diverses et deux nuits hachées, mais aussi de rires de deux amies chères dans mon téléphone, j'émerge ce matin, crevée, à me demander quel goût elles vont avoir, ces vacances, si malade je suis, si épuisée je redeviens.

Et puis j'ai levé les volets et j'ai trouvé la lune comme en plein jour, alors qu'il n'était même pas 8 heures. Baignée d'une lumière un peu jaune, un peu martienne, qui était le reflet du soleil qui émergeait de l'autre côté de l'appartement.

(Pardon pour cette perspective claquée au sol, mais vous admettrez qu'il est un peu difficile d'être droite dans tous les sens face à ces colosses de banlieue. J'en ai une mieux, mais elle était pour quelqu'un d'autre, oui, je suis exclusive dans le choix des photos)

Alors je suis allée me faire du thé en regardant les lumières du levant en face de l'autre côté de l'appartement.

J'ai petit déjeuné de fruits et de fromage, me suis mis un monumental coup de pieds aux fesses pour me propulser au marché, et devinez ce que j'ai trouvé sur la route ?

Des fleurs au jardin des senteurs !

Des bourgeons sur le grand machin juste devant l'entrée du marché ! Du ciel bleu !

C'est souvent comme ça, le marché. Je ronchonne avant, mais entre les microscopiques nouvelles de ce qui sera un jour une nouvelle saison, les bavardages joyeux, la promesse de délices à manger, j'en sors toujours heureuse du moment passé. Figurez-vous que le volailler qui devait être fermé était ouvert quand même et que j'y ai trouvé un poulet dont l'odeur, arrosto, fait bondir mes doigts sur le clavier pour finir vite ce billet et aller le dévorer.

Car, oui, rentrée, j'ai lancé la cuisson du pot-au-feu, enfourné le poulet, préparé la pâte pour les gaufres de demain matin. Efficace, concentrée, couteau aiguisé, ça me permet d'avoir tout le temps qu'il faut pour ramasser le contenu d'une boîte de poivre que j'ai laissée échapper de mes mains. L'organisation, c'est un métier, comme j'aime à le répéter. Ca sert à dégager du temps pour réparer ses conneries.

Je me pose et ce sont les vacances, enfin, l'appartement sent bon la cuisine de grand-mère qui nous durera plusieurs repas, je vais essayer de dormir - lire - écouter de musique pour le reste de la journée, demain double ciné en vue avant de récupérer Lomalarchovitch.

Ca ne commence pas si mal, finalement[1].

Note

[1] Et pour celles et ceux qui ont commenté mes menus de la semaine, amendés avant même d'être cuisinés, oui, il y aura gaufres demain matin et crêpes demain soir. Et d'une j'avais zappé la Chandeleur, et de deux, c'est mes vacances, kestuvafer ?

lundi 10 février 2025

A quoi reconnaitre son train quand on monte dans une rame au hasard

Les habitués de la ligne J prise de la gare Saint-Lazare en direction d'Ermont-Eaubonne le savent bien : les trains sont annoncés très tard, particulièrement en heure de pointe.

Quand le boulot a déménagé et que j'ai recommencé à prendre les transports en commun, il y a bientôt deux ans, j'étais fascinée par une espèce particulière de voyageurs.

Bien avant l'affichage de la voie, ils prenaient, d'un air décidé, la direction d'un quai en particulier et s'installaient dans le train, l'air de rien. Comme s'ils étaient les gardiens d'un secret bien gardé.

Je les enviais un peu, consciente de mes limites : je suis capable de me plonger dans la lecture et de me rendre compte, train déjà lancé vers sa première étape, que je ne suis pas dans le bon.

Je les ai observés de près. Ai tenu une liste mentale des correspondances entre horaire du train et quai de départ (relativement fiable mais pas complètement non plus). J'ai cherché des martingales sur les affichages latéraux des trains, la tête des gens qui l'attendaient, etc.

Presque deux ans d'entraînement intensif plus tard, il m'arrive assez souvent de prendre place dans un train avant que sa destination ne soit connue. Par élimination (type de train, plage de voies possibles, juste arrivé ou déjà vide, zone violette ou verte, etc), un peu d'instinct, je me prends à ce jeu avec eux.

J'ai toujours un petit frisson aventurier, quand je fais ça ; une fois je suis descendue persuadée d'avoir tort et me suis fait piquer ma place assise, alors que j'avais raison (à ma décharge la liste des stations desservies était exotique).

Il y a un facteur qui s'ajoute et qui ne s'acquiert qu'avec l'expérience : la tête des habitués. Oui, la dame avec la canne qui s'assied toujours à cette place va là où je vais. Ah, la dame qui tient toujours l'ascenseur à la gare du Stade est là, c'est bon. Oh, je le connais ce gamin à la magnifique tignasse bouclée. Etc.

Quand je reconnais une tête d'habitué, je replonge le nez dans ma lecture en cours et mon attention se relâche. Au moins je ne serai pas seule si on se retrouve entre égarés à une destination qui n'est pas la nôtre. #AirRésolu

jeudi 6 février 2025

Sunday morning

Il y a peu, nous mangions un couscous alpin (dans le restaurant dont la photo est ci-dessous... c'est une histoire en soi), et la conversation est tombée sur le dimanche idéal.

Pour être précise, il s'agissait même de s'émerveiller, quand on se découvre l'un l'autre, dans une relation amoureuse, d'avoir des rythmes compatibles et des envies similaires pour occuper (ou pas) ces dimanches parfaits. Il paraîtrait même que c'est une question courante d'applis de rencontres, de décrire son dimanche parfait.

C'est là que j'ai compris que j'étais foutue pour les applis de rencontre, encore plus que ce que je pensais.

Je n'ai pas de dimanche idéal.

Pardon, je recommence pour l'effet dramatique.

Je. N'ai. Pas. De. Dimanche. Idéal.

Il y a les dimanches domestiques, où je mijote un bœuf bourguignon, un pot-au-feu, ou tout autre plat de grand-mère que nous réchaufferons deux ou trois fois pendant la semaine. Pendant que l'appartement se parfume je lave et range du linge, lis, regarde un film ou une série, si je n'ai pas d'enfant à torturer sous la main. Sinon je torture un enfant, évidemment, c'est quand même le sel de l'existence.

Il y a les dimanches sociaux, où je cours retrouver copains ou amis, ou encore les reçois à la maison. Seule ou en tribu, c'est selon.

Il y a les dimanches "double ciné", où j'enchaîne deux séances, trois si personne ne m'attend pour dîner.

Il y a les dimanches promenade où je vais à un endroit prédéfini ou bien j'erre au hasard, pour prendre des photos ou regarder le monde.

Il y a les dimanches avec une expo, seule ou en chouette compagnie.

Il y a les dimanches rattrapage de dette de sommeil ou cuvage de maladie, où je me roule comme un nem sous la couette et bouquine jusqu'à ce que je m'endorme, me réveille, bouquine jusqu'à ce que le sommeil m'emporte, etc.

Il y a de la musique dans tous mes dimanches. Seule, au casque, ou partagée avec un ou des enfants. Il y a très souvent un petit déj au lit avec un livre et des chats, qui dure plus ou moins longtemps en fonction de la suite.

Je les aime tous, je n'en ai pas un qui soit idéal. Je serais bien infoutue de dire lequel est mieux que l'autre, ça dépend de l'humeur, de la météo, de l'énergie disponible.

Je me dis que si j'étais deux (enfin, pas comme dans "deux dans ma tête", plutôt comme dans "oh, il y a un homme sous ma couette, comment allons-nous passer ce dimanche ?") bien sûr, il y aurait des dimanches galipettes, que je ne raconterais pas ici (mais vous savez où. Non, je rigole). Mais j'aimerais aussi faire tout ce qui est listé au-dessus à deux, et probablement une partie de ce qu'il aimerait faire, sans doute pas tout, et tant mieux. C'est bien de se manquer, aussi, d'avoir le plaisir de se retrouver.

Ca me paraît fou, l'idée qu'un jour idéal soit toujours construit de la même manière, mais subitement j'ai l'impression d'être seule dans mon camp. Send help.

mercredi 5 février 2025

Capitalisme over love

Hier soir j'aurais dû être en train d'écouter Frank Black au Trianon. J'avais ma place depuis cet été, la vie était pleine de promesses de décibels et tout allait bien dans le meilleur des mondes possibles.

Sauf que la semaine dernière, Lomalarchovitch donnait des signes de... euh... chaos lâché à pleine vitesse et qu'il m'est apparu nécessaire de passer plus de temps à parler avec lui et moins à faire d'autres choses. Et il semble que j'ai bien fait, suite à de nouvelles fourberies de pré adolescent créatif, nous avons beaucoup parlé ces jours-ci et hier soir en particulier.

Donc j'ai proposé ma place à une liste classée par priorités croisées

  • la personne élue aime Frank Black
  • ou alors je tente ma chance en me disant que cette personne pourrait aimer Frank Black
  • quitte à ne pas y aller, si ça peut faire plaisir à cette personne élue, ça sera une petite étincelle de joie dans la déception de ne pas y aller
  • la personne élue habite en région parisienne ou y passe suffisamment souvent pour que la logistique soit légère (j'aurais prêté un canapé lit au besoin)

et quelques autres critères du même tonneau.

Le premier et le quatrième sur la liste n'étaient pas dispos.

Certains m'ont mansplainné les Pixies, d'autres n'ont jamais répondu (on a les copains qu'on mérite).

Les réseaux sociaux n'ont pas réagi.

Donc, au lieu d'offrir une place, pleine d'amour, à des gens avec qui on se connaît, je l'ai mise en vente sur le site de revente qui va bien.

Dix minutes plus tard elle était vendue, j'ai perdu 5 balles dans l'histoire et fait le bonheur d'un(e) fan au passage. Tant mieux, j'espère que le concert était bon et qu'il ou elle en a bien profité.

Est-ce que je suis, pour autant, contente que le pragmatisme capitaliste gagne ? Pas sûr.