Il n'aura échappé à personne que je ne suis pas dans le meilleur des états en ce moment. Que personne ne panique : je fonctionne. Pas très sûre de ce que je fous là, mais là.

J'ai l'impression de vivre au milieu d'un énorme mensonge collectif.

Tout le monde aspire au bonheur ; je ne vois pas comment il est possible.

Le bonheur, c'est un état agréable pendant lequel on se réjouit de l'assouvissement de ses besoins principaux.

Bon - déjà le fait qu'on va tous crever, ça met un petit coup de matraque dans le joli bonheur. La plupart des gens ont la trouille de mourir. Moi pas, j'ai peur d'avoir insupportablement mal, que le passage soit un très sale moment à passer, mais l'état de mort, ça m'indiffère. Ce qui me peine, c'est la tristesse de ceux que je laisserai derrière, le moment venu (au nombre de : deux, potentiellement).

On pourrait se dire que s'en foutre de l'idée de crever, ça aide à être heureux, mais pas vraiment.

L'idée que des gens meurent continuellement pour des questions de ressources mal partagées, de guerres ineptes, de maladies soignables me rend dingue.

Le fait qu'on lègue à nos enfants un monde dans lequel la vie sera plus difficile, politiquement, climatiquement, à tous points de vue, est le rappel constant dans ma tête d'un échec collectif.

La réalité humaine me consterne. Entre ceux qui ne pensent juste pas (j'avoue en ce moment fantasmer d'être de droite avec un QI autour de 95, je vois ça comme quelque chose d'infiniment reposant. Mais je ne suis pas sûre et j'ai peur que ça ne soit pas réversible - au cas où, je m'abstiens). Ceux qui se planquent dans leurs mensonges à eux-mêmes, aux autres, les trahisons, les déceptions, les mots plus forts que les actes...

Ce qu'on nous vend, socialement, comme du rêve, c'est papa et maman propriétaires d'un prêt à leur nom à la banque (et donc d'une dépendance de long terme à la comédie capitaliste), entourés d'enfants forcément merveilleux (oui, c'est vrai. Mais pas aussi simple que ça : c'est aussi des concessions à la liberté, à l'économie, des heures de pleurs, de frustration, de la fatigue, des tentatives de transmettre bafouées, du foutage de gueule permanent ou quasi. Et quelques moments de pure grâce.) Une bande d'amis rieurs qui prendraient une balle pour vous et réciproquement (pour qui prendrait-on vraiment une balle ? Quand je vois le nombre de gens à qui je peux envisager de parler quand je n'ai pas envie de parler et que j'en retire ceux qui n'ont pas envie de m'entendre vraiment... Allez, mettons, c'est de ma faute.)

Moi, je crois à l'instant, au moment, à l'ici et maintenant. Et encore, des bons moments ? Certains d'entre nous en auront plus que d'autres. Au grand Loto de la vie, rien n'est juste ou mérité, tout est chaotique, sans sens ni raison.

Alors on enchaîne les moments, parfois ils se superposent ("je vous mets un peu de rire, dans vos larmes, madame ? Je vous laisse le bada[1] ?"). Parfois ils s'accumulent. On se dissout dans ce qu'on peut pour fabriquer du supportable. En ce qui me concerne, la musique, la littérature, la photo, le cinéma... De bons endroits où me trouver quand j'ai décidé d'oublier mon "je" pour me noyer dans un "tout" plus grand. Sauf quand je ne peux même plus ça.

On se bouche les yeux, les oreilles, on ne regarde pas plus loin que le bout de son nez.

On se fabrique une légende et on s'y accroche fermement pour tenter d'oublier qu'on est terrifié en permanence. Qu'à moins de vivre en vase très très clos ou de ne pas regarder vraiment ce qu'il y a autour de soi, le bonheur est une promesse impossible à tenir par la vie (qui n'en fait jamais).

J'attends l'exaspérante litanie de "oui mais si on pense comme ça, autant se foutre en l'air tout de suite". Et pourquoi pas ? Pourquoi la vie serait sacrée au point de la préserver à tout prix, en toutes circonstances ? (Et que personne ne panique, j'ai encore des enfants à élever, je compte bien poursuivre la mienne encore un moment.) Pourquoi s'acharner à raconter un bonheur dont on sait, si on y pense d'un peu près, qu'il est chimérique ?

Peut-être que si on s'attardait un peu moins à courir après cet impossible bonheur individuel, à porter un optimisme béat fondé sur aucun fait tangible, on serait un tout petit peu moins cons, collectivement.

Enfin, pour ce que j'en dis...

Les nuages moutonnant roses du lever de soleil sur les tours moches qui m'entourent.

Note

[1] Le petit reste, le rab offert par le commerçant, en marseillais.

Commentaires

1. Le mercredi 5 novembre 2025, 12:08 par Franck

Tu attrapes ton sac à dos avec les pierres dedans — t'as la réf ? —, tu refiles tes gamins à leur géniteur respectif et tu viens par ici regarder des séries chinoises (histoire de dépayser un peu) ? Il arrive à quelle heure ton train déjà ?

2. Le mercredi 5 novembre 2025, 14:43 par Nina

Bon, résumons : les autres, le monde et moi (qui aimerait qu'on lui foute la paix). Vu mon grand âge, je cumule chez mes ascendants (divers et variés) : 2 guerres mondiales, la guerre civile d' Espagne, la guerre d'Algérie, mâtinés d'exodes, camp de prisonniers, exil, abandon de territoire !!! Tous sont morts vieux dans leur lit. On se le souhaite. Les expériences passées ne servent à rien. Et alors ? Et ben rien ! On continue...car le soleil, les amours, etc etc...

3. Le mercredi 5 novembre 2025, 15:19 par Sacrip'Anne

Franck mais il va bien, mon sac, je l'ai pas mal délesté (oui j'ai la réf !) Mais je mijote de venir quand même, aussi vite que possible !

Nina on continue parce qu'en tant qu'espèce, on est pas encore éteints. Avec un peu de chance ça ne sera plus très long. Que ça n'empêche pas les jolies choses d'arriver d'ici là.

4. Le mercredi 5 novembre 2025, 16:33 par Alana

André Comte Sponvile : "J'appelle malheur tout laps de temps où la joie paraît immédiatement impossible. Vous vous réveillez le matin, la joie n'est pas là, et vous savez de source sûre qu'elle ne sera pas là de la journée, ni les jours ou les semaines qui suivent, parce que vous avez perdu l'être que vous aimiez le plus au monde ou parce que vous souffrez atrocement d'une maladie incurable. Le bonheur, c'est le contraire : tout laps de temps où la joie paraît immédiatement possible, pas toujours réelle - ne rêvons pas, ça, c'est la félicité - mais immédiatement et continûment possible."

Quand je vois le nombre de gens à qui je peux envisager de parler quand je n'ai pas envie de parler et que j'en retire ceux qui n'ont pas envie de m'entendre vraiment...
Suis pas sûre d'être située dans ceux à qui tu peux envisager de parler quand t'as envie de parler à personne (c'est pourquoi je ne te sollicite pas), mais je peux faire de mon mieux pour t'écouter. T'entendre ne m'a jamais couté ;-)
bisous

5. Le mercredi 5 novembre 2025, 16:57 par Sacrip'Anne

Alana tu peux absolument te compter dans ceux à qui je pourrais avoir envie même quand je n'ai pas envie, c'est juste que là, je ne sais absolument pas ce que je pense. Donc voilà. J'attends que ça tombe en place. (Sans grand rapport d'ailleurs avec le fond qui reste vrai même quand je suis plus joyeuse, c'est juste moins perceptible au plus grand nombre !)

Love you sista.

6. Le mercredi 5 novembre 2025, 19:25 par Orpheus

Ouais, y a pas de recette universelle : chacun sa méthode pour créer de la pilule de déni, celle qui rend supportable ce monde de misères… Je vais passer mon tour pour les paroles réconfortantes sur ce coup. Je crois qu’on est au moins autant dans le même état… Gros hug quand même.
(Sinon, prêt à parier que potentiellement, ils seront au nombre de : bien plus de 2).

7. Le mercredi 5 novembre 2025, 19:34 par Sacrip'Anne

Orpheus en plus j'en ai tellement rien à foutre des paroles réconfortantes. Enfin ça fait du bien à ceux qui les prononcent mais moi, quand je suis au fond du trou, ça m'enfonce encore plus, voire, ça me donne envie d'arracher des tête 😂😂😂. Bref. Hug back at you.

8. Le jeudi 6 novembre 2025, 07:14 par Sacrip'Anne

Alana je n'ai pas commenté la citation de ton copain Comte Sponville, mais voilà exactement le point que j'illustre. Le bonheur comme un truc qui s'arrête au bout de son nez. Laisse moi deviner, le point de vue d'un vieux mâle blanc qui vit dans un contexte socio économique confortable ? Que c'est rafraîchissant, on n'en entend pas assez.

Mais on est heureuses pour lui qu'il sache relativiser le bonheur autour de son nombril.

Je n'ai jamais dit que je n'étais pas capable de moments de bonheur, juste que la quête du bonheur tel qu'on en fait l'alpha et l'omega pour apaiser nos frustrations, le bonheur comme état de base, ça me paraît impossible. Ca n'a rien à voir.

9. Le jeudi 6 novembre 2025, 12:54 par Alana

Je n'ai jamais dit que tu disais que ... Quand je commente, chez toi ou ailleurs, c'est pour partager mon point de vue, pour parler de moi donc, car je suis la seule que je connaisse vraiment, jamais pour dire ce que l'autre doit dire, aurait dit ou penser. Je n'ai pas l'intention de donner des leçons de vie à qui que ce soit.
je suis bien désolée que "mon cher" Comte Sponville t'ai agacé au point de le réduire au vieux mâle blanc qu'il est. Sa relativité me fait du bien. (je ne parle encore de moi), ;-).

10. Le jeudi 6 novembre 2025, 14:08 par Sacrip'Anne

Alana je t'avoue que sur ce coup là, il m'a agacée, alors que je l'ai trouvé drôle et inspiré/rant d'autres fois. Mais j'ai un petit gorgone en ce moment qui ne demande qu'à entrer en éruption. Sur une toute autre note, ton mari a bien mangé ce midi !

11. Le jeudi 6 novembre 2025, 18:35 par Tomek

Orpheus : (Sinon, prêt à parier que potentiellement, ils seront au nombre de : bien plus de 2).
Ça c'est sûr.

Le bonheur est aussi une construction, que dis-je une injonction, qui donne envie de balancer des bombes atomiques de Vian.

Hugs contre moral dans les chaussettes !

12. Le vendredi 7 novembre 2025, 10:28 par Sacrip'Anne

Tomek merci. Mon moral ne va pas si mal, c'est juste une sensation d'intense décalage. Des bises.

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1. Le jeudi 6 novembre 2025, 10:17 par Open Time

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