C'est fou, avec Laurent, on s'est vus moins d'une demi douzaine de fois, je pense, et pourtant c'est "mon vieux copain", quelqu'un avec qui une forme vive d'affection s'est installée (de ma part au moins !) aux tout premiers regards. Le pauvre, depuis, il subit.
Curieusement, je le vois presque plus souvent depuis qu'il est Marseillais, lors de ses passages parisiens que quand nous vivions à quelques kilomètres l'un de l'autre. Il faut que je lui rende la visite éclair, d'ailleurs.
La journée est tombée en place autour de notre déjeuner, comme par enchantement. Un marché matinal, le trajet, 5 minutes d'avance, pile le temps d'un tour de pâté de maison.
J'ai vu de jolies rues, des parisiens parisianer et des touristes tourister, un lampadaire au cœur fendu que j'ai tout de suite adopté.
Et puis ma boucle bouclée, on s'est retrouvés, face à face dans la rue et on s'est tombés dans les bras devant notre point de rendez-vous. Et c'est bon, cette chaleur d'un humain aux yeux pétillants.
Ceux d'entre vous qui suivent son blog savent qu'on est tombés tous les deux sous le charme de ce restaurant, de sa patronne (qui porte un très beau prénom !), de son équipe, de sa cuisine, simple, divine. On s'y est régalés en devisant, on a échangé des suggestions de lecture, plaisanté avec le serveur, parlé de vins et de pourquoi on aime l'appeler par son appellation plutôt que son cépage (ce Chablis était parfait), contrairement aux Américains (ça rappelle où on en a bu la première fois, ou avec les gens qu'on aime, souvent).
Quoi qu'il en soit, tout était savoureux, le contenu des assiettes, le regard des convives, les sourires du personnel. La mousse au chocolat était à se damner.
Nous avons donc, en toute logique, décidé d'en faire notre cantine.
J'aime cette aptitude aux petits bonheurs qu'on partage, l'œil pour aller chercher la minuscule étincelle de joie, le petit bonheur, l'attraper au vol, le faire virevolter, le partager si on peut et s'en réjouir.
Et puis nos chemins se sont séparés ; je me suis un peu trompée de film mais je suis rentrée heureuse, quand même, encore portée par l'écho de nos sourires.
Il y a plein de concerts que je vais voir seule, il y a quelque chose de chouette à ne devoir prêter attention qu'à soi, ce qu'on vit, ressent (et, quand on fréquente la fosse, ne pas devoir veiller à ne pas perdre l'autre). D'autres pour lesquels j'ai envie de partager.
J'ai découvert Last Train grâce au Flow de Deezer qui m'a calé un jour "The Big Picture" dans les oreilles, adopté en une seconde, et lorsque leurs concerts au Trianon ont été annoncés, j'ai pris directement deux places. Je les avais aperçus cet été à Rock en Seine, sous un cagnard épouvantable, j'avais fini par les écouter de loin et à l'ombre, sachant qu'on se retrouverait en décembre. Ce qui fut fait.
Comme ce groupe, c'est une histoire de copains de collège qui font de la musique ensemble, jusqu'à bien après le collège, ça fonctionnait bien l'idée d'y aller avec quelqu'un. Deux places, donc, cette fois.
Pour aller écouter un groupe alsacien, j'ai tout naturellement embarqué une amie lorraine, avec qui nous avons un lourd passif de troll inter-régional. Elle fait partie des rares qui ne trouvent pas que ça devrait faire du bien de parler même quand on n'a pas envie de parler. Elle a cette capacité folle de prendre l'ici et le maintenant et faire avec le flot. Présence discrète mais solide et fidèle.
Elle a également un talent immense pour débarquer avec une bouteille de vin et une quantité déraisonnable de fromages délicieux.
Bref, elle est parfaitement indispensable à l'existence.
Nous étions donc là à papoter en sirotant nos pintes de bière (interdit de les poser sur le rebord, paraît-il, mais comment verse-t-on un demi litre de bière sur une demi douzaine d'innocents, alors ??) Je lui disais qu'après mon expérience de cet été, l'idée d'être assise, à l'abri de la foule très en forme, me semblait raisonnable. La suite m'a donné raison. Papotages, mises à jour de nos actualités respectives et autres joyeusetés en attendant la musique.
Quand tout soudain, ne se préoccupant aucunement de l'urgence de notre bitchage sur une ancienne boss commune, noir dans la salle, silence, Saint Agnes entre en scène.
Vous me connaissez, quand une meuf rageuse lâche un peu d'énergie sur scène, il est rare que je proteste.
(Disclaimer, mon appareil n'est pas fait DU TOUT pour de la photo de concert. Mais on n'entre plus dans les salles de concert avec un appareil fait pour sans accréditation, alors c'est l'occasion pour moi de le pousser un peu dans ses limites. Ne vous attendez donc pas à des miracles, y a du bruit, l'autofocus ramait comme un pou, et, spoiler alert, la batterie m'a lâchée deux minutes avant la fin de la longue dernière chanson, la vacherie.)
Saint Agnes au Trianon de Paris le 4 décembre 2025
De quoi nous mettre de bonne humeur.
Interlude : celles et ceux qui voient ce que j'ai pris en photo, presque comme un secret qui venait de se produire au milieu de la foule, je leur réserve un battement de mon coeur.
Changement de bières, ravito en chips (encore un soir de dîner équilibré), et c'est parti pour Last Train.
Ils ont joué 1 heure 45, ça m'a semblé durer un quart d'heure.
Devant un public pour le meilleur et le pire, bavard, désinhibé, parfois un peu trop. Agité, aussi, du pogo au circle pit, ça bougeait en bas. Bien contente de notre place au balcon. Sous les remarques enthousiastes des plus euh.. bavards, donc. (Je ne voudrais pas irriter les foules avec des préjugés régionaux, mais nous sommes l'une et l'autre persuadée que ces gens étaient alsaciens. Bref).
Ils m'ont rappelé pourquoi j'étais tombée amoureuse du rock, quand j'avais l'âge où ils se sont mis à en jouer ensemble, ces petits gars. On les imagine facilement, minots, à imiter leurs idoles, plus aboutis maintenant, références bien digérées, gros potentiel encore à venir. Jeunes gens émerveillés de vivre leur rêve. À mêler les codes des héros musiciens et l'attention des gentils gars ravis de nous faire passer un bon moment. Leur plaisir à jouer sur scène est émouvant (rappelons que c'était leur premier Trianon, le Zénith les attend dans quelques semaines) autant que contagieux.
Non seulement c'était bien, mais ils m'ont rappelé le bonheur de faire partie de cette tribu rebelle, gueularde, qui aime la musique bruyante, porte des bottillons en cuir à grosses semelles avec lesquels on écrase les orteils délicats de vos convenances, aime se mouvoir dans la noirceur sans s'excuser. Et on emmerde avec joie pour ceux que ça contrarie. (Oui, ma misanthropie va bien, merci).
Comme la maison est généreuse, j'ai le plaisir de partager avec vous la chanson d'ouverture (Home) et de fin de concert (The Big Picture), malencontreusement coupée par ma batterie - mais vous avez les remerciements au début pour vous consoler (et consoler à quel point ces bad boys sont choupinoux).
Y a même du bon commentaire du public dans les deux, voyez, comme on vous gâte !
Home de Last TrainThe Big Picture de Last Train
Il y a une constante dans ma vie, c'est que les très bons concerts sont suivis de retours foireux, on a poireauté une heure pendant que des taxis nous ghostaient les uns après les autres. Il paraît que ça ne paye pas assez de ramener des jeunes (ou moins) filles dans leurs banlieues.
Mais on a dit des conneries, on était ensemble (avec une majeure envie de faire pipi) et ça, c'était le plus important, j'ai entendu le son de mon rire pour la première fois depuis longtemps et je l'ai salué comme un vieux copain perdu de vue.
« Et puis il faudrait que je dorme», ai-je terminé mon coup de fil hebdomadaire à mes parents, en énonçant le programme du week-end.
Hier soir (samedi), je suis rentrée ravie de ma journée, son déjeuner en particulier (on y reviendra), mais un rien frustrée par mon choix de film. Alors je me suis dit, en me débarrassant de mes fringues, qu'on verrait aujourd'hui, selon la météo, cette saleté de douleur étrange et de mon énergie disponible si je pourrais me rattraper un peu.
Une autre contrainte de taille à prendre en compte : le temps de préparation du bœuf bourguignon qui accompagnera quelques uns des repas de notre semaine.
Mais comme l'avenir appartient à celles qui se lèvent tôt, j'ai non seulement pu me faire un copieux petit déjeuner en lisant (œufs brouillés et Kafka sur le rivage de Murakami, on ne peut pas toujours être dans la grande souffrance), d'éplucher et couper des carottes, champignons, échalotes, de tailler en "papillon" des morceaux de bœuf et mettre le tout à cuire.
Restait la météo (dégueulasse), la douleur (tenable), ma flemme, dont j'aurais parié qu'elle me renverrait sous la couette illico. Et non, l'envie a été plus forte, j'ai sauté dans un jean d'homme[1] et un pull, marché sous la pluie et ma capuche[2] jusqu'à la gare et bondi ou à peu près dans le train qui me recrachait, 13 minutes plus tard, sur le quai à Saint Lazare.
J'avais eu le temps de constater l'oubli de ma liseuse, omission d'autant plus fâcheuse qu'elle entre parfaitement dans les poches de mon jean. 11h20, pour une séance à 11h30, je peux tenter la FNAC. J'aurais pu tenter un message catastrophé à mon inspirateur de lectures principal : « J'ai ma CB, une Fnac en visuel et 8 minutes pour acheter un livre, je prends quoi ? » Dans ce genre de situations de crise aiguë, il est capable de répondre en un temps record, comme de laisser mes mots s'éteindre dans un silence assourdissant.
Comme je n'ai pas marché sous la pluie pour attendre bêtement la réponse d'un homme dans un rayon de la Fnac, je me dis que tant pis, j'ai l'appli de ma liseuse sur mon téléphone si vraiment, je dépéris pendant le trajet retour (13 minutes, rappelons le. Vous avez sérieusement pensé que je pouvais me retrouver totalement à poil de lecture pendant un laps de temps si important ? Au pire j'aurais pris le générique en photo pour le lire ligne à ligne au retour).
Me voici donc avec mes contemporains, cinéphiles du dimanche matin, entassés sous le tout petit auvent du ciné pas encore ouvert. Quelqu'un commente l'heure : 11h17.
Quoi ?
L'heure a-t-elle reculé à mon insu ?
Je vérifie ma montre qui indique 11h22 puis mon téléphone, plutôt dans la team 11h17[3].
Putain j'avais largement le temps d'aller à la Fnac. Merde.
Au moment où je fais cette découverte, je me rends compte que j'ai non seulement une montre en avance mais aussi oublié de mettre une culotte. Je scrute les gens autour de moi pour voir s'ils me regardent bizarrement parce qu'ils savent. A priori non. Je rigole toute seule à l'idée que l'un des vieux messieurs à cataracte de cette noble assemblée est peut-être le connard de l'autre jour, ahaha, devine quoi, abruti, j'ai pas de culotte !!
(On se calme.)
Le rideau de fer finit par s'ouvrir, je m'offre un café dégueulasse et m'installe sans lecture dans la salle 2. Que personne n'ose m'accuser de manquer de courage.
Fuori a tenu ses promesses, me voici deux heures et quelques plus tard, réconciliée avec mes choix, sur le pavé parisien toujours très humide. J'attrape un sandwich à Saint Lazare à l'heure où les bonnes gens en sont au café d'après le poulet rôti dominical, m'installe dans un train, coupe le feu provisoirement sous le bœuf bourguignon. Une manœuvre importante car il est quasi insoutenable d'être réveillée de sa sieste par l'odeur prometteuse d'un plat qui mijote. Or, là, tout de suite, j'éparpille mes fringues, me glisse sous la couette pour une petite sieste. J'avais dit qu'il fallait que je dorme.
J'émerge deux heures plus tard, comme quoi, il fallait que je dorme pas pour rire. Le feu est de nouveau sous la cocotte qui mijote, la maison sent bon, j'ai pris un long bain avec Kafka et de la mousse, constaté que j'ai 4 ou 5 billets en cours d'écriture dans ma tête et à peine le temps d'en gribouiller un très vite avant le retour de Lomalarchovitch.
Dont acte.
Quand je pense qu'il en est certains pour trouver que j'ai une vie calme.
Notes
[1] Pas le jean d'un homme dont j'aurais jeté le cadavre dans le port de Gennevilliers, un jean de coupe homme, acheté pour la taille de ses poches, pour les jours où j'ai envie de sortir sans rien, sac, tote bag ou quoi que ce soit d'autre.
[3] Je possède une montre automatique fort jolie mais qui tend à avancer de quelques secondes par jour. Et comme la boutique qui la vend est rive gauche je procrastine ma visite chez eux pour me plaindre. On a les raisons de procrastiner qu'on peut, que voulez-vous.
Il y a une trentaine d'années, j'adorais faire des portraits.
C'était, pour moi, la quintessence de la photographie, capturer un bout d'âme, ce quelque chose qui fait qu'une personne est qui elle est. Agrémenté de notre œil sur ladite personne.
Sur le chemin, j'ai trouvé des bifurcations totalement inattendues.
La première, complètement personnelle ; il y avait des personnes que j'aimais pourtant mais je n'arrivais pas à restituer en photo ce que je voyais d'eux. Ou, pour le dire nettement, ils étaient systématiquement loupés sur mes photos. Moches, la gueule en biais, le regard torve.
Comme je vous vois, vous êtes en train de vous marrer, mais c'était un petit trauma de cerveau pour moi : comment une personne que je peux trouver belle dans mon coeur peut sortir moche sur ma photo ?
Sans rapport avec leurs traits, la construction de leur visage. Vraiment ce qui s'appelle faire ressortir le pire des gens, mais en photo. Pas une fois, dix fois, tout le temps, absolument systématiquement.
J'ai mis des années (comprendre : des décennies) à comprendre un truc totalement psychanalytique. Il arrive que mon œil photographique ait quelques pas d'avance sur mon cerveau, qu'il me montre quelque chose que je devrais savoir, en somme.
Depuis je suis terrifiée à l'idée de prendre en photo des gens que j'aime, de peur que le résultat me dise des choses que je n'ai pas envie de savoir[1].
L'autre chemin inattendu, en tout cas à l'époque, c'est le smartphone et le fait que tout le monde ait un appareil photo dans sa poche, en permanence. L'autoportrait est devenu selfie, s'est multiplié avec ses effets secondaires, les duckface, les sourires figés toutes dents dehors, bref, il est devenu très compliqué de prendre quelqu'un au naturel.
Là où avant, patience et bavardages réussissaient à me permettre d'attraper des portraits serrés que je trouvais suffisamment réussis pour mes ambitions, même chez les plus rétifs, c'est devenu un art bien plus complexe, de mon point de vue en tout cas. Ou vu de mon mode opératoire d'antan.
Alors me voilà à attendre la prochaine occasion de passer du temps avec des gens, assez pour que l'appareil se fasse oublier, que la tension s'apaise, (personne, à ma connaissance, n'aime se faire prendre en photo quand ce n'est pas son métier), pour voir…
Note
[1] Oui, comme tout le monde j'ai des névroses un peu connes, des mini superstitions douteuses. Voilà. C'est comme ça.
Il y a souvent, au café qui me nargue chaque jour de bureau parisien à la sortie du métro, une dame âgée, assise seule.
J'avoue la guetter du coin de l'œil, l'envie me travaille de l'attraper en photo par la fenêtre.
Hier matin je sortais du métro et mon appareil de mon sac, commençais à chercher mon bon réglage, et puis, levage de nez, me voici à la regarder me regarder, elle, un sourire éclatant aux lèvres.
Je lui ai souri en retour, elle m'a fait un grand "bonjour" de la main.
Voilà pour ma discrétion légendaire, on dirait que, si j'ai repéré ses habitudes, elle a repéré mon manège.
J'ai failli lui demander, par geste, moi dans la rue, elle dans le café, si je pouvais la prendre en photo. J'ai hésité un quart de seconde, mon envie initiale était de la prendre naturelle, et puis je n'étais pas prête pour cette conversation muette, même si très amicale. Alors je suis partie et j'ai fait d'autres photos.
Depuis, j'y pense et je me dis que ça serait chouette, d'avoir son regard vers moi, aussi, ce moment de connivence matinale. Pas l'idée initiale mais quelle idée n'évolue pas ?