Je ne sais pas très bien où va aller ce billet, à vrai dire. Tout n'est pas bien rangé à l'intérieur de ma tête (l'essentiel y est rarement bien rangé) et plein de pensées différentes se croisent ces derniers jours. Envie de les poser là pour les regarder de plus haut. On verra bien.
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J'avais envie de parler de noirceur, de zones sombres. Mes goûts, en littérature, en musique, par exemple, me portent souvent sur des œuvres qui m'amènent à explorer ma propre part d'ombre. Sans doute parce que j'ai la chance d'avoir un instinct qui me pousse vers la vie, vers la joie assez facilement, ça ne me fait pas peur d'aller contempler les sujets moins légers (la joie est-elle légère ? Pas si sûre). Je crois qu'il n'existe pas de vie qui ne soit confrontée à la peur, à la douleur, physique ou morale. Et qu'il est important de savoir naviguer dans ses propres tourments. Qu'il y aura un après, quel qu'il soit. Que ça aussi, c'est vivre. Ou alors c'est la fin et on y peut pas grand chose.
Bien sûr il n'est pas question d'aller mal et de tout faire pour que ça dure, mais de prendre conscience que ça existe et que c'est ok. Il faut de l'aide parfois, souvent, ça dépend de vous. Il y a des moments qui paraissent insurmontables. Dans mon cas, ça s'assortit souvent d'une impression globale qu'il est inutile de casser les pieds du monde avec et de planquer ça sous de grands sourires et des blagues pas très brillantes. Pas ma stratégie la plus maline. Mais hey. Il existe des gens plus intelligents que moi qui savent briser barrages et défenses. Merci à eux. Il y a des périodes où on ne peut pas en prendre plus et il faut évidemment se préserver. Trouver tout ce qui peut nous soutenir pour faire ce chemin, que ça soit en nous, ou pas.
J'ai une collègue qui s'assied souvent en face de moi. Elle se vante souvent de n'être que positivité. Je sais bien qu'elle est plus complexe que ça mais le discours ambiant sur le mental, l'injonction à être positif, me dépasse beaucoup. Ca me paraît tellement plus dur de lutter contre une douleur en voulant s'obliger à être positif que d'accepter de se laisser traverser. Et bien sûr qu'on peut relativiser, mettre à distance ou en perspective. Bien sûr qu'on est rien du tout dans l'univers et que tout ceci n'est que poussière d'étoile à l'échelle globale. A la notre, c'est parfois un drame qui se joue, parfois tellement moins grave. Qu'on a le droit d'accueillir. Et avec un peu de chance, de laisser partir, un peu plus tard.
J'aime accueillir la joie, la pulsion de vie, qui éclabousse nos existences de lumière. J'aime aussi que les ombres vécues où à venir lui donnent de la saveur en plus. Caravagisme ? Peut-être.
Depuis quelques semaines je me sens enfin vraiment dans l'après de deux années difficiles. Je commence à me retourner et à mesurer tout ce que j'ai appris au passage. De ma relation avec ma mère, notamment. De ma relation avec moi. J'ai l'impression d'avoir plus grandi en 24 mois que pendant les dix années précédentes. Je ne sais pas si, sans ce bout de route chaotique, j'en serais là aujourd'hui ; mon "là" d'aujourd'hui me plaît pas mal.
Ces morceaux de moi, qui ont volé en éclats après les chocs successifs, se regroupent et se rassemblent, nettoyés de leurs scories. C'est bon.
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La semaine dernière a été un peu folle. Trois concerts, une soirée avec une amie, un ciné avec Lomalarchovitch.
J'y ai constaté que j'étais à nouveau capable de sentir des nuances dans la fatigue. Yeah. Ca va mieux.
Dans l'un des concerts j'ai pris une bouffée d'énergie folle. Dans l'autre la douceur d'un cocon intime, d'une qui écrit ses chansons avec de tout petits bouts de sa vie, des instants qu'on pourrait juger futiles, et en fait des histoires qui touchent. Du troisième des émotions que je n'ai pas fini de trier. J'ai m'y suis retenue de pleurer. Des larmes qui ne sont pas négatives, ce genre d'émotions qui arrivent quand l'art nous rend plus grands que nous, nous ouvre un univers immense dans lequel on reconnaît, néanmoins, des morceaux de soi. Pas envie de partager ce bout-là avec 19 999 autres personnes. Je prends mon temps pour ressentir ce qui s'est joué (littéralement, figurativement).
Puissance de la musique qui, depuis la nuit des temps, nous rassemble, nous fait toucher du doigt des choses puissantes, à nous, tout petits morceaux d'humains.
A la fin de ce dernier concert, parmi plein de pensées qui tourbillonnaient en moi, il y avait cette idée que nos morceaux qui se rassemblent, après les chocs, les moments durs, se ressoudent, c'était un peu du Kintsugi humain. Qu'on se répare et que les traces de nos brisures nous rendent plus beaux que les objets initiaux.
Ca n'est pas une idée d'une originalité folle mais je l'aime quand même, cette image. Je me suis retrouvée et les traces qui me restent de ces deux dernières années rendent l'ensemble mieux que son état initial. Enfin, vu de l'extérieur, je n'en sais rien. Mais de l'intérieur, oui, vraiment.
Commentaires
Oui, ces injonctions au bonheur, au positivisme, au relativisme causent bien des dommages ou nient, plutôt, le besoin d'accueillir des temps, des émotions dites négatives. Comme si l'homme refusait de se soumettre aux lois de la nature (elle connaît l'automne, l'hiver, la décrépitude).
Tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Non. Tout ce qui ne te tue pas peut te blesser, te mettre à terre, tu peux même ne pas t'en relever.
Des bises ensoleillées
« J'ai l'impression d'avoir plus grandi en 24 mois que pendant les dix années précédentes. », pareil, il y a quelques années :-)
Laurent des bises aussi, copain !
Franck note bien que ça n'empêche pas le crevard du concert de dimanche de trouver que je "vraiment très petite" !!
L'en faut des crevards, on va dire du mal du qui sinon ?
Mais quelle plume, bazar ... !
Franck t'as raison !
Minka toi chtème.
Parfois, je vois une personne qui revient de la pizzeria, happy, devancée par un fumet de tomate, d'origan et de fromage fondu. Ce petit bonheur tout simple, rapporter une pizza brûlante à la maison, c'est un truc qui me tord l'âme, car je sais que ce plaisir n'est pas infini, comme tant d'autres. Tempête existentielle sous ma casquette, météo interne voilée de déni : Gâche pas tout, gâche pas tout ! Reste au ras des pâquerettes !
Quand je vois une personne qui revient de la pizzeria, happy, je me dis : ça fait longtemps, j'y vais. Pour ce petit moment de plénitude, tenir un truc chaud entre ses mains, dans la nuit d'automne, rentrer à la lumière et gnark gnark gnark : tout dévorer... et crever de soif, c'est trop salé, et ma petite voix existentielle me tance d'un Et ton taux de créatinine, crétine ! J'aime juste la vie comme toi, en dépit des coups durs, des mochetés et autres détails.
J’aime bien la philosophie du kintsugi, on répare et on met de la beauté dans les fissures. C’est très différent du « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » car au contraire le fissure continue d’être, fait partie de l’histoire de l’objet qui reste fragile , et parfois qui s’en trouve plus beau. Et plus beau n’a rien à voir avec plus fort. Au contraire, C’est mettre la beauté dans la vulnérabilité.
Et le billet et les réponses sont vraiment très chouettes ❤️
Creatinine merci beaucoup pour ce joli commentaire (j'ai envie de pizza maintenant, alors que j'avais envie de couscous juste avant).
Luceluciole j'ai beaucoup pensé à toi en l'écrivant, ce billet décousu, et je me suis dit que ça te parlerait !
Valérie de Haute Savoie cœur toi même !
"J'y ai constaté que j'étais à nouveau capable de sentir des nuances dans la fatigue. Yeah. Ca va mieux." => Je vois tellement mais tellement bien ce que tu veux dire.
Et je suis profondément contente pour toi.
Merci Gilda 😘
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