Dans toutes les vies il y a un, des moments où on doit regarder la mort en face. Parfois c'est un instant brutal, un accident. Parfois ça dure plus longtemps, le temps d'une maladie et de son évolution. Plein d'autres façons. Mais il y a cette trouille fondamentale qui nous saisit, ce "ça va s'arrêter comme ça ?" sidéré qui résonne en nous. Sauf quand on l'a voulu, peut-être ? Cet instinct de survie qui nous hurle que faut pas déconner, on a encore le temps. Parfois ça marche, parfois pas. Si on est encore là pour en parler, c'est plutôt une bonne nouvelle.

Moi, c'était à 30 ans, que je l'ai regardée la première fois en face. Puis à 38 dans des circonstances similaires. L'accumulation des "si" est toujours un peu vaine mais voilà, sans la médecine moderne, la compétence des médecins sur ma route, le matos dispo immédiatement, c'était fini, pour moi et mes enfants en cours de naissance. Le moment où tu vois l'inquiétude monter dans l'œil de ton toubib, c'est pas terrible, je déconseille. Et la scène de série médicale où médecin et anesthésiste marchent à grand pas à tes côtés vers la salle d'opération, c'est mieux quand ça se passe dans la télé que dans la vraie vie.

Manège infernal, la chute du moment "le plus heureux de ta vie" vers le danger immédiat. Puis la remontée. Comme si c'était si simple que ça. Quelques heures à me remettre en état, la première fois, quelques minutes dans l'autre. Ca tient à rien, à l'épaisseur d'une feuille de papier.

Je crois que je n'ai raconté à personne, surtout pas aux pères de mes enfants, l'intégralité des événements et comment, à quelques "si" près, ils auraient tout aussi bien pu rentrer avec leurs bébés sous le bras et sans moi. Les deux fois, les médecins m'ont dit : on a eu chaud, mais tout va bien maintenant. Un truc un peu bizarre à entendre.

Ca fait longtemps maintenant et je ricane avec toute la noirceur dont mon humour est capable. Mourir en mettant au monde, en France, au 21e siècle, ça aurait été con, quand même. Imagine y a Phil Barney à la radio dans la salle d'op (réf de vieux).

Bref, je suis bien contente de ne plus avoir à accoucher. Vous connaissez la devise : jamais deux sans trois.

Sans rapport avec les joies de la maternité, il y a un troisième épisode un peu chelou que je suis en train de mettre derrière moi.

Au détour d'un examen pour "cartographier" mon japonais (une thyroïdite d'Hashimoto, pour celles et ceux dont je n'ai pas encore rebattu les oreilles avec ça), j'ai passé une écho, qui a montré qu'un nodule squattait ma thyroïde. Sulfate de mépris par dessus, je ne sais plus quel est le pourcentage de gens de plus de 40 ans qui ont des nodules quelque part, absolument bénins et en toute ignorance, mais c'est élevé. Rien à signaler, donc, sauf à le surveiller car le japonais majore les risques de cancer de la thyroïde, cet enfoiré. Et on se demande pourquoi je n'ai pas tellement d'attirance pour le japon...

Donc on le surveille, pépouze. Jusqu'au jour où un type en blouse blanche me regarde, en état de stress avancé et me dit que je ne semble pas comprendre et que ce machin est "énorme" et qu'il le classe illico dans la catégorie "craint un peu du boudin quand même", que je dois voire mon médecin en urgence et faire une ponction etc.

Légère montée d'anxiété.

Je vais donc me prêter à cet examen charmant qu'est la cytoponction de ma thyroïde, après avoir avalé des tonnes de pages sur internet. Ne croyez pas google quand il vous dit que cet examen n'est pas douloureux. C'est seulement vrai quand il est bien fait et de mon expérience, c'est rarement le cas.

Je vais donc voir l'un des spécialistes du sujet numéro conseillés par ma toubib, au hasard, le plus proche de chez moi. Qui me maltraite, je reste deux jours comme si j'avais pris un coup de poing dans la gorge en plus de la trouille au ventre d'avoir un cancer au même endroit. Mauvais cocktail, je ne recommande pas.

Le résultat revient : pas de cellules analysables. Merde, faut recommencer.

Je change de praticien car je suis inquiète mais pas maso, les résultats arrivent, pas de cellules analysables. Je me rassure comme je pense (pas de cellules analysables, mais du coup pas de cellules cancéreuses dans deux échantillons de suite, donc prenons ça, même si c'est un mauvais calcul, comme un bon présage, ok ?) Pendant ce temps ma toubib roumègue que je ne suis pas allée chez un type de sa liste et que c'est pour ça. Elle m'expédie en tarif urgent chez LE ponte.

Le ponte ressemble à Elie Chouraqui en plus petit et exerce du côté de Denfert, ce qui me vaut la joie de poser une demi-journée de congés à chaque fois que je le vois. Il a plein de qualités dont une immense gentillesse, un calme qui semble imperturbable, une voix basse, lente et posée, d'hypnotiseur. Et il pratique la cytoponction sans douleur. Bon il faut prendre ses rendez-vous un an à l'avance mais vous pouvez parfois l'avoir au charme, j'ai testé pour vous.

Le ponte me ponctionne, les résultats reviennent : pas de cellules analysables ! Ha ! C'te bonne blague. Son avis du moment : c'est juste un vieux nodule qui a gonflé et se dégonfle. On ne s'endort pas sur ces paroles apaisantes et on le surveille comme un connard de nodule qu'il est (il ne dirait jamais connard mais vous voyez l'idée). Mais on peut raisonnablement respirer un peu.

On s'est revus à intervalles réguliers, depuis 2019 et à chaque fois il me fait une visite guidée de ma thyroïde et m'explique l'évolution de ma maladie. Il y a un peu plus d'un an, on a commencé à espacer les contrôles. Je l'ai vu il y a quinze jours, il m'a dit qu'il le déclassait définitivement du rang de "craint du boudin" et qu'on se revoyait dans quatre ans. Je lui ai dit qu'il allait me manquer et qu'on allait devoir s'envoyer des cartes de voeux. Ca l'a beaucoup fait rire. Il est très bien élevé mais il a un faible pour les mauvaises filles dans mon genre qui font de l'humour bizarre, allongées dans son cabinet.

Il m'a aussi dit que ma thyroïde avait diminué de taille (c'est le principe de cette maladie auto-immune) et que ça expliquait le changement de dosage de ces derniers mois. Ca fait toujours du bien de savoir qu'il y a une raison aux choses chiantes, je trouve. Mais que c'était une sorte de bonnes nouvelles car moins de cellules = moins d'endroit où se fixer pour des cellules cancéreuses = dans 4 ans, on se dira sans doute au revoir pour toujours, je serai très probablement sortie des risques majorés blablabla.

Et qu'il voyait l'inflammation mais que ma thyroïde allait atteindre une taille "pallier" dont elle ne bougerait plus. Qui selon lui est assez proche pour moi. Donc le jour où on a le bon dosage pour cette taille pallier, ça ne bougera plus jusqu'à la fin de ma vie que je souhaite lointaine, si possible. Un scoop dont personne ne m'avait parlé avant mais qui avait un goût de cadeau de Noël avant l'heure.

On ne va pas se mentir. C'est impossible de vivre 6 ans avec, en permanence, la trouille au ventre d'avoir un truc potentiellement chiant, mais si ça se trouve pas grave, à l'intérieur de soi. Mais quand même, il y a quelques jours sur ce parcours pendant lesquels j'ai pas fait la fière (merci à Eric et Elisabeth d'avoir été là pour me raconter médicalement ce qui pourrait se passer ou pas, vous êtes précieux).

Le fait de savoir que ce cancer de Schrödinger va probablement cesser d'habiter dans ma tête, ça m'a fait prendre conscience que même quand je n'y pensais pas, il était là, quelque part, à travailler en arrière-plan. Petit à petit sa présence s'allège et je ne m'attendais pas à ce que mettre les mots dessus me fasse un si grand effet. Ce qui est complètement con, d'ailleurs, je pourrais aussi bien passer sous un bus ou mourir d'un infarctus demain, on serait bien contents, tiens, de savoir que je n'ai pas de cancer de la thyroïde. L'humain n'est pas rationnel. Il se réjouit de choses absurdes.

Voilà. Souvent, maintenant, j'ai plus peur pour les autres que pour moi. Je sais qu'il y aura sans doute d'autres fois. J'espère que j'aurai surtout des trouilles pour des choses qui ne se produiront finalement pas, jusqu'à la grande sortie, de celles et ceux que j'aime, de la mienne. On y peut tellement rien mais ça teinte quand même le regard sur la vie.

Jusqu'ici, tout va bien, comme disait l'autre en tombant de son gratte-ciel.

Commentaires

1. Le mercredi 13 novembre 2024, 10:57 par Joelle

J’ai la réf…. J’ai la chanson dans la tête……(oui j’ai mis plein de points de suspension de façon volontairement exagérée )

Je ne te remercie pas du coup :p

Mais on est bien contents quand même que tu puisses te contenter d’envoyer des cartes de vœux à ton toubib.

2. Le mercredi 13 novembre 2024, 11:01 par Sacrip'Anne

Hahaha désolée Joëlle ! (Si je te dis que cette chanson est pour toujours entrée en collision avec une blague horrible, donc j'imagine Phil Barney avec une oreille géante emmaillottée dans un lange à chaque fois que j'y pense, ça te console) ?

Oui, moi aussi, je suis contente, même s'il va authentiquement me manquer !

3. Le mercredi 13 novembre 2024, 11:38 par Orpheus

Bon, j’ai un peu envie de déclamer un « Champaaaagne ! » parce qu’il faut toujours arroser les bonnes nouvelles.
Sinon :
1/ évite quand même de passer sous un bus
2/ j’ai toujours détester la funesterie musicale de Phil Barney… au top du pathos…
3/ bisou

4. Le mercredi 13 novembre 2024, 11:40 par Valérie de Haute Savoie

Et pourquoi ne te l'ont-ils pas enlevé ? Ce n'était pas possible ? Parce que celui que j'avais sur la parathyroïde a été retiré en même temps d'ailleurs que la parathyroïde sur laquelle il s'était implanté. Heureuse que ce nodule soit semble t-il inoffensif et que tu puisses enfin respirer plus librement.

5. Le mercredi 13 novembre 2024, 11:43 par Laurent

Un grand ouf donc. Tu expliques si bien le travail de sape que font le cerveau et tous les discours dont on t'a sûrement abreuvée. J'imagine qu'écrire ce billet t'aide davantage à mettre à distance.

Cœur avec les doigts et avec le cœur

6. Le mercredi 13 novembre 2024, 13:35 par Franck

T'as fait une faute à « Tout va bien \o/ » :-D

Des bises !

7. Le mercredi 13 novembre 2024, 14:23 par Matoo

Ce cancer de Schrödinger !! Mouahahahah, j'aime beaucoup ce trait, c'est tout toi. :-D
J'ai de la chance pour le moment mon Hashimoto est toujours en sommeil... Il est là tapi depuis dix ans, mais ma thyroïde se porte bien. :gasp:

8. Le mercredi 13 novembre 2024, 14:42 par Sacrip'Anne

Orpheus nous champagnerons à ton retour avec grand plaisir !

1/ pour le bus, promis, je fais gaffe
2/ moi aussi, voir ma réponse à Joëlle ("en plus il est sourd")

Valérie de Haute Savoie justement, le ponte a dit "heureusement que personne n'a eu l'idée de vous l'enlever, ça aurait été une chirurgie inutile". Probablement dans mon cas, ils se sont dit qu'il valait mieux attendre et garder un organe qui fonctionne mal, mais fonctionne un peu, qu'une chirurgie avec les risques inhérents ?

Laurent ah ben pour le coup, on m'a plutôt sous expliqué et j'en ai profité pour mettre beaucoup ça sous le tapis en me disant qu'il serait temps le jour où... L'écrire, c'est plutôt un moyen d'horodater et de me réjouir, mais oui, j'ai réalisé ces jours-ci que ça n'était pas rien (un jour quelqu'un dira après ma mort "oh Anne, elle va rebondir, comme d'habitude"...)

Huhuhu Franck ! Des bisous d'ici !

Matoo contente que quelqu'un l'apprécie à sa juste valeur !! Tant mieux, profite. Ca peut être un peu chiant quand ça bouge.

9. Le mercredi 13 novembre 2024, 15:16 par Milky

Il m'intéresse ton Elie Chouraqui ! Mon endocrino est partie à la retraite et un-e bon-ne endocrino, j'ai l'impression que c'est encore plus rare que les bon-nes gynécos...

10. Le mercredi 13 novembre 2024, 15:40 par Sacrip'Anne

Milky lui il échographie et ponctionne. Mon endocrinologue est également ma gynéco, je ne sais pas si elle prend ou pas de nouveaux patients, tu veux ses coordonnées ?

11. Le mercredi 13 novembre 2024, 22:53 par Madleine

C'était les montagnes russes cette affaire didonc 🫣
Je suis contente pour toi de ce soulagement que tu ressens !

12. Le jeudi 14 novembre 2024, 00:19 par Sacrip'Anne

Madleine oui, les montagnes russes qui ont duré trèèèèès longtemps. Merci ❤️

13. Le jeudi 14 novembre 2024, 05:55 par Cinabre

Quand tu parles de déploiement de charme , j'ai de suite pensé à la chanson " mon truc en plumes , plumes de zoizeaux, de zanimeaux.....et d'imaginer la tête d'Elie Chouraqui !
Ravie que cette menace s'éloigne et te soulage l'esprit

14. Le jeudi 14 novembre 2024, 08:24 par Sacrip'Anne

Cinabre j'ai un style plus basé sur l'humour et le sourire que sur les plumes, mais bon, c'est environ ça !

15. Le jeudi 14 novembre 2024, 08:43 par Luceluciole

« prendre conscience que même quand je n'y pensais pas, il était là, quelque part, à travailler en arrière-plan » ça m’a fait un drôle d’écho. Toute la distance entre rémission et guérison. Mais n’y pensons pas 🤪

16. Le jeudi 14 novembre 2024, 09:03 par Creatinine

Quand un traitement médical canarde la maladie, on ressent à chaque analyse de sang une surprise et une joie bouleversantes: les marqueurs sont normaux, ce qui n'était jamais arrivé. Ceci dit, ton Élie Chouraqui nanifié, on aimerait voir un clonage dans toutes les spécialités.

17. Le jeudi 14 novembre 2024, 09:19 par Sacrip'Anne

Luceluciole là, à cet instant précis, maintenant, tout va bien. Enfin l'essentiel, quoi. Je t'aime.

Creatinine ma mère a eu le bonheur dans sa galère d'en trouver quelques un(e)s sur sa route, mais pas que. Je comprends très bien.

18. Le jeudi 14 novembre 2024, 12:46 par stef

Je crois que je n'ai raconté à personne, surtout pas aux pères de mes enfants, (…) comment, à quelques "si" près, ils auraient tout aussi bien pu rentrer avec leurs bébés sous le bras et sans moi.

Ah moi j'ai su. Et oulàlà.

J'étais aux premières loges lors de l'apparition du deuxième enfant chéri, j'ai vu les médecins, sages-femmes, anesthésistes, plombiers-zingueurs ou que sais-je, accourir vers la salle d'accouchement, un bébé tout frais tout chaud dans les bras, des regards furtifs dans ma direction, et pour finir « on va promet d'appeler pour vous tenir au courant » tandis que je devais retrouver la première enfant chérie.

Lui sourire, lui dire qu'elle a un petit frère, tout ça tout ça, puis la coucher, puis me bouffer les ongles jusqu'au coude. Enfin un coup de fil à minuit passé pour confirmer que tout allait bien, et une grosse rasade de rhum pour me remettre.

Je recommande, cette soirée a fini très haut dans ma liste des pires moments de ma vie.

19. Le jeudi 14 novembre 2024, 14:30 par Sacrip'Anne

stef ils ont su dans les grandes lignes, hein, mais il y a des trucs que j'ai gardés pour moi. Il faut dire que l'un a essayé de me noyer à coups de brumisateur, en salle d'accouchement, et l'autre a dû être soulagé de mon départ au bloc vu qu'il tournait de l'oeil.

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