mardi 30 juillet 2024

Le thé à la menthe des fins de journées chaudes

Quand la vie offre de toutes petites, toutes simples gourmandises, sans que vous ayez fait autre chose que d'être là, il faut se laisser faire, ne pas hésiter ou compliquer les choses, accepter, curiosité et cœur grand ouverts !

J'étais un peu circonspecte sur cette semaine de télétravail avant mes congés. Entendons-nous bien : j'aime le télétravail. Mais j'aime aussi voir des humains, de préférence amicaux, or, cette semaine, je suis absolument seule (enfin !) à la maison, hors la présence de mes deux félins habituels. Petit goût de retour du confinement et pas complètement certaine d'y faire face avec contentement en continu.

Je l'ai commencée par un petit déj au lit, à bouquiner avant l'heure de se mettre au boulot. Je vois très bien comment la vie est faite pour que ces moments soient littéralement impossibles, la plupart du temps, j'y ai trouvé beaucoup de douceur à vivre, moins photogénique mais tout aussi agréable que mes cafés-rooftop.

Au bout de ma journée de travail, plutôt calme, d'ailleurs, pour la première fois depuis des années j'ai une sensation de ralentissement estival (est-ce que tout le monde a pris ses vacances pour esquiver les JO ?), j'ai enflié des sandales pour descendre aux encombrants un gros carton. J'en ai profité pour attraper un livre, un éventail et me voilà partie pour une fière épopée : le square en bas de chez moi.

Il est ombragé par quelques acacias aussi vieux que moi, et quelques-uns plus jeunes mais déjà touffus et larges. Il fait chaud, un peu lourd mais pas au point de ruisseler sans rien faire ; me voilà vite installée sur un "piano"[1].

J'ai choisi celui qui est le plus près du tout nouveau bateau pirate - aire de jeux, afin d'admirer d'un peu près ce nouvel eldorado enfantin. Sûr qu'il m'aurait plu, si j'avais encore l'âge d'y jouer, alors ne boudons pas notre plaisir et mettons-nous à portée de la joyeuse contagion enfantine.

Je lis un peu, mais suis vite distraite par une antique vieille dame, qui en salue une autre, elle, installée à l'intérieur de l'enclos qui entoure le bateau, et qui dirige à la voix les quelques enfants dont elle a la charge.

La vieille entreprend la moins vieille et les voici à se raconter des histoires de vols de chariots dans notre Leclerc local. Depuis des années, il est interdit, pour éviter les vols, d'entrer dans les rayons avec les chariots de courses, que nous stockons où nous pouvons près des caisses. Et voilà qu'effarée, je découvre qu'il existe un trafic de chariots ![2]. Les bras m'en tombent carrément quand j'apprends que l'une des coupables démasquées est une autre vieille, qui vit deux entrées avant moi dans mon immeuble. D'après le récit de Renée (la vieille qui raconte, suivez, un peu), la dame aurait avoué son méfait d'un laconique "j'en avais plus, le mien était cassé, alors j'en ai pris un". Un tel culot me laisse estomaquée. On a plus les vieux qu'on avait, bande de délinquants gériatriques. Renée ponctue son récit indigné de "elle est costaud, là" dont l'accent non identifié (par moi) signe une naissance un peu loin de Paris... mais où ? Les a bien fermés m'évoquent un gros quart Nord-est, mais où ?

Bref, la mère de famille qui suivait avec attention le récit du vol enchaîne en expliquant qu'elle s'est fait échanger son propre chariot, neuf, pour un similaire mais beaucoup plus ancien. Elle l'a en travers de la gorge, ce qui ne l'empêche pas d'offrir un thé à la menthe à Renée... et à moi. Je suppose que j'étais si près qu'elle aurait trouvé impoli de ne pas m'en proposer, ou alors c'est une perle de gentillesse, à défaut de me compliquer la vie à chercher la réponse attendue, j'ai accepté, avec raison, il était délicieux. Renée découvre (est-ce possible ?) la magie du thermos et du thé chaud comme s'il venait d'être fait. Je souris, in petto.

Renée est vite entourée d'une bande de dames du quartier, de jeunes mères à plus du tout jeunes camarades. Elle m'a l'air d'être une star du quartier dont j'ignorais l'existence. Pourtant pas loin de 20 ans que j'y vis, mais nous sommes nombreux et les horaires des différents flux sont d'une précision redoutable, il est facile de s'y louper.

Impossible de continuer à lire ; j'ai envie d'écrire ce billet. J'y joins quelques photos prises sur place : le grand immeuble est celui que vous verrez, peut-être, dans des plans larges à l'occasion des matchs de hockey sur gazon olympiens. J'habite celui beaucoup plus bas qu'on aperçoit devant, ainsi que la redoutable voleuse de chariots. Si vous voulez tout savoir, elle vit du côté bleu et mes fenêtres sont hors cadre, un peu plus à gauche. Vous voilà bien avancés. J'ai de la bière au frais, si vous voulez vous rendre compte sur place !

J'ai aimé cette journée. Rien de fou, rien de grand, rien de très mémorable. Mais du bonheur simple à saisir pour qui sait s'y rendre disponible.

Notes

[1] Ce square est équipé de bancs en bois qui ont une allure générale de pianos à queue. Ils sont mal foutus, à part à se mettre debout dessus pour déclamer, assez peu confortables. Mais leur anticonformisme me plaît tant que je les préfère souvent aux bancs traditionnels, des bêtes bancs, quoi.

[2] Ca n'arrange pas mes affaires car quand j'y passe, c'est souvent en sortant du marché et le mien est rempli de victuailles savoureuses autant que dispendieuses. Prévoir d'enquêter sur la possibilité d'une alarme ? Ou alors emprunter notre chien à mon ex pour monter la garde quand j'en ai besoin

lundi 29 juillet 2024

Habiter sa vie

Une séparation, c'est comme une explosion dont on ne verrait pas tout de suite les effets. Entre le moment où elle se produit et celui où tout s'écroule s'installe un temps suspendu par les craintes et les questions. Votre identité à deux reste en l'air un moment, déchirée, méconnaissable. Votre histoire, celle que vous avez construite pas à pas, ne ressemble plus à aucun de vos souvenirs. Quand tout finit par retomber dans un fracas assourdissant, il faudra encore un moment pour y voire dans la poussière soulevée par cette chute.

Et ça, c'est si vous choisissez de voir.

Il y a des tas de gens aux couples bancals qui refusent catégoriquement de remettre en cause le bon fonctionnement de leur plan initial. Et qui sommes-nous pour les juger ? A peine pouvons-nous laisser la pensée nous effleurer, nous, vieux routards des histoires d'amour qui finissent mal, que si un jour ça s'effondre, plus dure sera la chute. Et encore. Si finalement le déni était une sorte de matelas ?

Aucun avis ne vous sera utile, aucune parole de mise en garde ne vous préparera. C'est vous contre vous, avant d'être vous en train de vous séparer de l'autre. Au moment où quelque chose en vous se sera mis en place.

Mais avant ? Tant de question ? Sais-je exister en tant qu'individu seul ? N'ai-je pas fusionné avec l'autre, suis-je encore capable de vivre sans me tourner constamment pour interroger du regard celui ou celle qui m'accompagne depuis si longtemps ? Et les amis tellement communs qu'on ne sait plus qui a rencontré qui en premier ? Pour beaucoup d'entre nous, la question financière est cruciale, ça n'est pas une partie de plaisir de réévaluer son train de vie parce qu'on a le cœur déserté. Alors oui, beaucoup restent en suspens parce que l'appart bien situé, les chouettes vacances, le quotidien confortable... et encore beaucoup plus encore parce que : la survie.

Et puis qui va faire tout ce qu'on a pas envie de faire au quotidien ?

Ce qui est bizarre, c'est que beaucoup de questions s'évaporent une fois qu'on a franchi le pas, bouclé les étapes logistiques nécessaires à toute séparation. Depuis un mois et demi j'ai bricolé avec ferveur, cuisiné avec nonchalance, lavé des tonnes de linge, nettoyé derrière moi, fait les courses et des papiers...

Je craignais un peu d'être submergée de tâches domestiques en repartant à neuf, une fois encore. Finalement mon quotidien est doux, même les jours d'enfants affamés pleins de requêtes et de vêtements boueux, il me reste du temps "à moi", celui dont j'ai découvert il y a si peu de temps qu'il était indispensable à mon bon fonctionnement.

Un mois et demi depuis que j'ai récupéré ma vie et mis un point final à cette explosion qui m'aura occupée de long mois.

Je pensais que juillet serait festif et solitaire. Il l'a été moins que prévu, riche de plein d'autres choses, du bon, du mauvais ; la vie.

Je suis peu sortie, ces derniers jours, à part pour de l'utilitaire bureau / courses. Je dors, enfin, raisonnablement bien, comme si mon corps m'autorisait le relâchement nécessaire, la récupération. Le repos de la guerrière est moins torride que celui du guerrier, mais indispensable. Alors j'y consacre le temps qu'il faut. Je me nourris de livres, de films, de temps de rêverie. Je passe des heures à regarder les couleurs du ciel, le soir. Ce moment de réappropriation me fait un bien fou ; j'invente des fonctionnements nouveaux dont je m'émerveille.

Après avoir beaucoup pensé à comment aider l'autre à aller moins mal et à comment cesser d'en souffrir, je fais des miracles pour ma couvée et de la douceur pour moi. Je ne pense quasi pas à ma vie d'il y a quelques semaines, quelques mois.

J'habite ma vie, enfin, comme jamais depuis un très long moment. Ca valait la peine.

mardi 23 juillet 2024

Hors cadre

Oui, d'accord, les temps changent, les choses évoluent. Les traditions font place à un peu de modernité, il est moins difficile de vivre hors des règles établies.

Mais quand même.

Même en mesurant à l'aune de ma vie, on se rend vite compte que le poids des règles plus ou moins dites de la société est lourd sur nos épaules.

L'idée générale est quand même que, pour une vie sans question, on va faire des études, rencontrer une personne avec qui on va se marier (vivre à la colle est mieux accepté, grande fantaisie dans le cadre), avoir 1,8 enfant (le "choix du roi" est un plus aux yeux de votre concierge), filer des vieux jours sereins après avoir dévoué une vie au labeur car le mérite, ma bonne dame.

Bon.

Pour le boulot je suis environ dans les clous.

Je ne me suis jamais mariée parce que non merci, le capitalisme patriarcal, ou parce qu'aucun mec n'a instillé en moi l'idée que ça pourrait être chouette. J'ai deux enfants de pères différents, dont un n'a pas le même genre qu'à sa naissance.

Vous allez vous exclamer qu'en 2024, ça ne pose pas questions et que d'ailleurs il y a un épisode de "Plus belle la vie" qui justement en parle, je peux vous assurer qu'au quotidien, ça demande un peu de caractère pour résister à la merde qu'on vous déverse dans les oreilles.

Ou de réaliser aux grands yeux de votre interlocuteur qu'il va falloir faire preuve de patience pour concilier sa vision de la vie à la vôtre.

Ca arrive : tous les jours. Les questions plus ou moins intrusives, plus ou moins maladroites, les piques pseudo humoristiques, les blagues pas drôles. C'est fatiguant. Et encore, je suis blanche, hétéro et éduquée, avec une garde rapprochée qui s'en fout et des parents qui me soutiennent. Imaginez... sortir du cadre quand on a déjà un sacré cumul de préjugés contre soi...

Si encore j'aimais Noël, comme les bonnes gens... mais non, je m'en fous, comme de Pâques, ou de mon anniversaire. Enfin je prends les jours fériés avec joie (pas pour mon anniversaire, malheureusement) mais pas les passages obligés.

L'autre jour, je racontais à une jeune collègue avec qui on vient de mondes assez différents que j'ai au moins une année par décennie où je me plante complètement sur mon âge (avec une tendance au vieillissement), et la gamine me répond "oui mais en même temps quand on est seule, c'est plus simple de se dire qu'on s'en fout plutôt que de penser que personne ne va nous inviter au resto".

Ca m'a un peu séchée.

Parce qu'en fait la dernière fois qu'on m'a invitée au resto pour mon anniversaire, c'est une amie qui était la puissance invitante. Et que ça faisait de longues années que ça ne m'était pas arrivé, avant. Je veux dire, il est déjà arrivé à mon ex et mes enfants d'oublier complètement mon anniversaire, alors un restaurant...

Bref.

Oui, le fait de choisir d'être hors cadre vous met face à des moments de solitude, comme ça. Comme plein d'autres. Le monde vous rappelle qu'on vous tolère plus qu'on ne vous accepte.

Et on relativise vite fait. Quitte à ne pas être dans le cadre, tant pis. Iconoclastes de tous pays, unissons-nous. Ca nous coûtera parfois des larmes amères et la sensation d'être abandonnés sur le côté de la route.

Mais si cette solitude n'est pas nouvelle, juste plus visible au monde, particulièrement au moment où la pression sociale s'exerce, qu'avons-nous perdu ?

Rien. Ou plutôt si, l'obligation de se conformer, le sentiment aigü d'être moins seul(e) avec soi qu'accompagné(e).

Ca demande un peu de cran, souvent. Mais c'est riche de beaucoup de choses qu'on imagine pas forcément.

(Merci Constantin pour l'illustration)

vendredi 19 juillet 2024

Est-on ce qu'on écrit ?

Cette question, uniquement applicable à mes babillages webesques, me vient à cause d'une drôle de suite de commentaires, sur les blogs ou dans la vie, de gens qui me lisent depuis deux décennies en silence ou quasi. Ou de gens de la vraie vie qui découvrent que j'ai un blog et avec qui ça augmente la relation d'une part inédite.

Oui ? Non ? Peut-être ?

Il me semble que dès qu'on raconte, ça n'est plus l'exacte réalité, déjà. Le fait de poser des mots fait prendre une distance, sélectionner, raccourcir, amplifier, accentuer le point de vue de qui raconte au détriment de ceux qui sont éventuellement racontés ? Bref, raconter, c'est déjà fictionner un peu, avec toute la sincérité du monde. Ce que je raconte ici ou sur l'un des satellites d'ici, c'est ce que je choisis, de la façon qui me va à l'instant où j'écris. Même sans mensonge, sans omission, ça n'est qu'un bout de la vie. De ma vie, en l'occurrence.

Par ailleurs, j'ai un rapport très.... ingrat, avec mes blogs. J'y laisse des trucs pour rire, pour parler. Très souvent, ces derniers temps, j'y pose des émotions pour qu'elles ne me débordent pas dans le quotidien. Parfois il s'agit de leur donner vie ici pour ne pas en étouffer, parfois je joue avec une idée / envie qui me plaît, souvent, surtout ces derniers mois, je gratte la plaie jusqu'à l'os pour faire place nette. Tout un tas de trucs que je mettrais sous un label "pas très intéressant", vu par une personne tout à fait ordinaire. Alors que bon, il existe la littérature, si vous voulez lire des trucs bien écrits et captivants[1].

On se parlait avec Luce, l'autre jour, de la force du témoignage. Bon, si d'autres personnes vivent des choses similaires et que ça les fait sentir un peu moins seuls, je comprends, un peu.

Il m'arrive aussi d'écrire ici pour le strict plaisir de jouer avec des mots et des phrases. Mais comme j'ai toujours été très dilettante, je fais ça mal : je me relis à peine (sans mentir, il m'arrive de corriger des coquilles ou de compléter un bout de phrase manquant des années après, en tombant par hasard ou mélancolie sur de vieux machins). Il y a des tas de gens qui écrivent bien avec un minimum de respect pour les personnes qui les lisent, on va dire que mon respect se place ailleurs.

Il se trouve que pour moi, ça marche mieux en lâchant ça au milieu des internets que sur un carnet ou un fichier au fond de mon disque dur. Certainement parce que ça m'a apporté des copains en masse.

Il arrive (fréquemment) que je me souvienne à peine de ce que j'ai raconté quelques heures après l'avoir posé ici ou là.

Alors quand de temps en temps, vous me dites que vous êtes là et que vous y revenez, je trouve ça merveilleusement gentil, bien sûr. Ca me touche, vraiment. Mais est-ce que vous êtes sûr(e)s que ça vaut la peine ? Et autant vous le dire, dans la vraie vie, bien sûr, vous me reconnaitriez, je crois. Mais pas complètement. Il y manquerait tous les morceaux que je pose en chemin pour alléger le flot constant des pensées, de la mémoire, des trop-plein. J'y suis plus sage, plus raisonnable, souvent (un peu contrainte, ne nous mentons pas). Enfin je n'en sais rien.

Elle est étrange, cette période, si vous voulez mon avis.

Ah, et si vous voulez lire du vachement bien, j'ai trouvé dans une boîte à livres cette petite merveille, il y a quelques jours. J'en suis tombée amoureuse en quelques lignes, j'espère que si certain(e)s d'entre vous auront la joie de ressentir la même chose. Ca parle d'adolescence dans l'Angleterre de Thatcher, c'est plein de tout, c'est de la bonne (oui, je le vends mal mais faites moi confiance, ça fait vingt ans que vous êtes là, bordel, osez, un peu !)

Note

[1] Attention, toute la littérature n'est pas captivante ou bien écrite. Mais quand même, il y a de quoi faire

mardi 16 juillet 2024

Le tour du nombril

En a-t-on jamais fini de faire, inlassablement, le tour pourtant réduit de son nombril, dans la vie ?

La semaine dernière j'ai enchaîné deux bonnes grosses erreurs de jugement, dont, par un twist final aussi ridicule qu'inespéré, je me suis sortie, disons pas si mal. Un peu de sous perdus dans la bataille, beaucoup d'énergie, de temps, un peu de vexation, quelques blessures physiques dont une effrayante mais qui n'est, a priori, pas grave.

J'ai passé un temps copieux à me détester d'avoir été aussi con.

Pour quelle utilité ? Demandez aux profondeurs de mon esprit torturé, le fait est, j'ai mariné dans une colère d'auto détestation, même quand j'ai fini, dimanche matin, de réparer l'intégralité des dommages.

Dans les moments de répit logistique[1], je me suis repliée sur moi, bras et jambes noués autour du traversin, à attendre que la tempête traverse. Impossible de parler à qui que ce soit, de demander quoi que ce soit, rien à faire qu'à garder la maîtrise approximative du souffle et atteindre le suivant.

C'est là que j'ai mis le doigt sur un truc qui ne sert à rien. Dans ces heures de solitude, j'ai constaté que j'éprouvais le manque d'une chose que je n'ai jamais eue. Le manque de cette personne qui sait à quel moment il n'y a rien à dire ni à faire mais qui vient nouer ses bras autour de vous, en silence. Sans vous dicter de solutions ou vous submerger de son impuissance à aider. Mais qui vous communique chaleur et souffles synchronisés. Qui est juste là.

Alors quoi ? Et ben on se démerde. On sait qu'on a envie de ça, mais ça n'existe pas, ou pas sous cette forme-là, dans votre vie, qu'il faut bien vivre. Alors d'inspirations en expirations on se laisse, petit à petit, calmer, quelque soit le temps que ça prend.

Là-dessus j'ai eu vent d'une vanne répétitive d'un mec qui se croit drôle et qui m'a gavée. Rendue triste, aussi. Beaucoup.

Quelques heures après, j'ai signé un papier avec la tête d'accord mais les tripes et le cœur contusionnés, roués de coups. Vortex infini de questions, impuissance à avoir la bonne réponse, qui n'existe pas. Faire un choix : être la personne qu'on veut être. Quoi qu'il en coûte ? Pour cette fois, oui.

Et toujours pas capable de parler au monde. Fonctionner, travailler, échanger vite fait avec Cro-Mi lors de ses apparitions, oui. Faire ce qui doit être fait pour rendre l'environnement vivable à nouveau, oui. Demander une épaule, un sourire, un mot qui fait rire, impossible, au-dessus de mes forces. Pas envie de peser sur qui que ce soit.

Petit à petit l'étau se desserre, la colère s'apaise, la tristesse aussi. J'ai profité de ce week-end pour ouvrir des livres qui m'ont conquise en quelques pages, vu un film qui m'a beaucoup plus, d'autres, plus oubliables, déjà presque oubliés.

Je reconnecte doucement, revois du monde.

Oublier la médiocrité de l'importance de ces tourments, les diluer dans le vrai monde, les choses plus ou moins essentielles. C'est fou comme relativiser, parfois ça ne sert à rien. J 'ai hâte de retrouver la stabilité de mes humeurs, ma bonne humeur, si pas constante, au moins dominante.

Bref, j'émerge de ma tanière. La violence de cette tempête passée complètement inaperçue aux yeux du reste du monde me sidère un peu. Tout ça pour ça ? Pour si peu.

Note

[1] au milieu de ça, Lomalarchovitch a eu dix ans, il est venu les fêter avec moi, il est reparti depuis, le manque de lui a été à la fois un atout pour la gestion matérielle des événements et un gouffre inattendu, je ne suis pas encore habituée à me séparer régulièrement de cet enfant-là.

lundi 8 juillet 2024

Issue d'une lignée

Je viens de remettre la main, après quelques années d'inaccessibilité, sur le récit fait par ma grand-mère de la vie de ses grands-parents à elle, puis de sa mère. J'en avais oublié beaucoup, depuis ma première lecture, il y a vingt ans, ou alors comme elle venait de mourir je n'ai pas tout lu, pas le bon moment, je ne sais plus.

Evidemment je connais les faits saillants, ils font partie du grand récit familial, je les ai redécouverts, pas tout à fait identiques (vu l'énorme ellipse que fait ma grand-mère sur son propre cas, bien malin saura savoir quelle est la version exacte. Et puis dans une famille d'amoureux d'histoires, on s'en fout un peu).

Départ pour le fin fond du trou du cul de l'Auvergne. Mon arrière-arrière grand-mère, bonne élève, est remarquée par son institutrice. On propose donc à ses parents de la faire entrer à l'Ecole Normale, pour devenir institutrice.

... il[1] était ravi de penser que sa fille allait occuper une fonction réservée par tradition aux religieuses et se trouver amenée, peut-être, à militer dans son métier pour les idées qu'il avait lui-même toujours soutenues les instituteurs laïques qui se multipliaient dans les campagnes étaient les pionniers de l'anticléricalisme.

Quand on sait que j'ai un autre aïeul qui est allé peindre la devise "Liberté, Egalité, Fraternité" - République Française sur l'église de Donzy (5-8) en bras armé de son copain le maire, qui était en bisbille avec le curé du village, ça place le décor tout de suite. Bref.

Mon arrière-arrière grand -mère entre donc à l'Ecole Normale de Clermont-Ferrand, lors des promenades dominicales qui croisaient à 15 heures pile, le cortège des élèves futurs maîtres, elle croise son futur mari, brillant élève et originaire d'une trentaine de kilomètres de là ; le bout du monde, à cette époque.

Ils se sont mariés, ont enseigné l'un et l'autre frontalement concurrents de l'école du curé, dans des conditions parfois épiques. Qui connaît l'Auvergne en hiver peut se faire une petite idée... Ils ont écrit divers ouvrages, principalement sur l'enseignement, qui ont été présentés et primés à l'exposition universelle de 1900. Mon arrière-arrière-grand-mère était très enthousiaste à l'idée de découvrir la fameuse Tour Eiffel... tous les matins de bureau, je souris à sa mémoire en saluant la fameuse tour depuis le toit du bureau. Je l'imagine découvrant la grande ville après un épique voyage en train, dans ses bottines trop petites, avec beaucoup d'attendrissement.

Ils ont été parmi les premiers à posséder une voiture, ou en tout cas une sorte d'ancêtre de voiture à trois roues, dans la région, ce qui donne lieu à des souvenirs qui ont traversé le siècle pour la plus grande hilarité de leurs descendants :

Par la suite Marie, à mesure qu'elle se familiarisait avec le véhicule, prenait des audaces. Ainsi, lorsqu'Alfred et elle se disputaient, ce qui arrivait assez souvent en raison de l'entêtement de l'un (Alfred) et du caractère autoritaire et coléreux de l'autre (Marie), elle ouvrait son ombrelle ou son parapluie, selon les circonstances, et tenait cet accessoire de façon à empêcher Alfred de voir la route...

Mesdames et messieurs, mes arrière-arrière grands-parents !

En plus de concevoir leurs manuels, ils ont eu une fille, Camille. Cette dernière a également fait l'école normale et s'est préparée à l'enseignement dans les établissements supérieurs pour jeunes filles, mais n'a jamais enseigné. Parce que.... Camille a correspondu avec son filleul de guerre. Il était jeune et courageux, flamand... et a su y faire...

... la langue française lui semblait la langue par excellence pour traiter de sujets sentimentaux et c'est en français qu'il lui écrivit peu après: « Si, à mon avis, l'amour est possible qui ne soit pas couronné par le mariage, par contre je ne conçois pas du tout le mariage sans amour ». Dans la même lettre, il s'étonnait: « Pouvez-vous m'expliquer, chère demoiselle, pourquoi nous deux nous nous disons aussi franchement, complètement, toutes nos idées concernant des sujets aussi graves, aussi intimes, dirais-je ? Y a-t-il une affinité télépathique ?...»[2] Par la suite, la plupart de leurs lettres furent écrites en français.

Voilà. Bon. Elle a su y faire mieux que moi, ils ont vécu leur vie ensemble, a priori très heureux. Mais comment vous dire que... rien. Disons que l'atavisme est puissant.

« Combien j'aime son large front, son regard doux, ce quelque chose d'énergique et de bien jeune à la fois...» Raoul était blond, ses cheveux ondulaient et, comme la plupart des hommes de son époque, il portait une petite moustache.

Mais, mais, mais On a trouvé le patient zéro ! Mes boucles sont flamandes !!!

Il était donc belge, parlait quatre langues - bientôt cinq - et venait d'épouser une auvergnate, c'est donc en toute logique, que mon arrière-grand-père est entré chez Michelin.

Le travail de Raoul à l'Usine semblait s'orienter de façon assez nette vers les transports, mais, dans cette maison où la mobilité était la règle, il eut parfois l'occasion de faire de brefs passages dans d'autres services. Ainsi, on le chargea de traduire les œuvres de Taylor et de Gilbreth pour le service « des améliorations du travail » où il avait déjà été employé pendant ses premiers mois à l'Usine[3]. Ces deux Américains furent les pionniers de l'étude du rendement et des méthodes destinées à économiser les mouvements des travailleurs. Moins connu du grand public que Taylor qui a laissé son nom à la « taylorisation », Gilbreth a cependant acquis une célébrité posthume à travers l'ouvrage humoristique intitulé "Treize à la douzaine", où deux de ses enfants, Frank et Ernestine, racontent la vie en famille sous le signe de l'organisation rationnelle des activités. C'est de la même façon que j'ai vécu ma petite enfance, car mon père, emballé par le système Taylor, en fit profiter la famille entière. ... Mon grand-père, avec son esprit méthodique et son souci d'efficacité, fut séduit d'emblée et appliqua ces principes à l'entretien de sa voiture et au travail du jardin. Ma mère en prit de la graine pour les tâches du ménage et la préparation des repas. J'écoutais et j'enregistrais dans mon jeune cerveau ce qu'on en disait autour de moi et je devais en tirer profit plus tard. Tous ceux qui m'ont vue, un jour ou l'autre, écosser des petits pois le savent bien...

Mais alors Ce livre ("Treize à la douzaine") on se le passe de génération en génération, mais je n'avais pas l'histoire derrière !! On a une sorte de discours sur le fait qu'on est très paresseux et que donc on concentre notre énergie pour produire un max, dans un minimum de temps, mais ça venait de là ?!! Mais oui, tous ceux et toutes celles qui m'ont vue, un jour ou l'autre, équeuter des haricots verts le savent bien...

Mon arrière-grand-mère, Camille, n'était pas réputée pour son immense sociabilité, contrairement à son époux. De ça j'ai reçu une part de chaque ! Mais elle revoyait parfois la directrice de l'Ecole Normale et y retrouvait quelques camarades. Comme cette fois...

Mademoiselle avait au même moment chez elle son ancienne élève d'Auxerre et de Clermont, Thérèse Buchet, qui, après un mariage aussi court que désastreux, se retrouvait seule avec son petit garçon, Pierre, qui devint mon compagnon de jeux. Nous avions fait connaissance quelques mois auparavant à Clermont où Thérèse avait rendu visite à ma mère installée depuis peu au Clos-Bijou. Jalouse des attentions dont bénéficiait le petit garçon sous prétexte qu'il était élevé sans père, je lui avais asséné, tandis que nous faisions des pâtés de sable dans le jardin, un magistral coup de pelle en plein visage. Ma grand-mère avait fait remarquer avec admiration «qu'il n'avait même pas pleuré».

Vous venez de faire la connaissance de mon grand-père. Ils se sont engueulés toute leur vie comme dans ce bac à sable, c'était assez déconcertant pour l'entourage. Visiblement ça leur convenait très bien.

Notre plus grand plaisir, à Pierre et à moi, consistait à jouer au voyage en voiture. Pierre, assis au volant de la Gazelle, faisait semblant de conduire, tandis que je dépliais une carte routière et que je le guidais par toutes les routes d'un itinéraire dont nous traversions les principales localités en imagination.

Un jeu qui a pris une toute autre forme quand les vraies cartes routières et les vraies routes ont remplacé leur imagination d'enfants. Pour avoir parcouru des milliers de kilomètres, à l'arrière, dans l'une ou l'autre de leurs voitures qui sentaient fort le tabac froid de la pipe de mon grand-père et le chien, j'en ai une bonne expérience.

Mais revenons-en à mon aventurier d'arrière-grand-père...

Mon père venait de reprendre son travail à l'Usine, fin août, quand il apprit qu'une fois de plus on avait pensé à lui pour un travail à l'étranger. Il s'agissait, non plus d'un problème exceptionnel à résoudre comme au Brésil, mais d'un poste fixe en Egypte - à Alexandrie, siège de la Bourse du Coton - où il devrait procéder aux achats de coton très importants qu'effectuait alors Michelin, puisque le coton servait à tisser la toile dont étaient doublées les enveloppes de caoutchouc des pneus. On attendait de mon père, non seulement qu'il sélectionne les meilleures variétés: achmouni, jumel ou karnak, mais qu'il surveille les traitements successifs subis par le coton entre sa cueillette et son expédition vers la France: l'égrenage, la farfara, c'est-à-dire le mélange et le mouillage des diverses qualités choisies, l'emballage qui se termine par la presse hydraulique en balles très serrées et cerclées de métal ...

Ils y sont restés 24 ans, au cours desquels, comme nous l'avons découvert récemment, mon arrière-grand-père a très certainement rencontré le grand-père de Franck Paul. Comme je lui disais l'autre jour, j'ai l'impression qu'on en est presque cousins, maintenant, et cette double rencontre à travers le temps et l'espace me réjouit au plus haut point.

De retour en France et après quelques années parisiennes, mon arrière-grand-père suggéra qu'ils pourraient vendre la maison de Clermont, qui ne présentait pas grand intérêt, et acheter quelque chose dans le Midi. Ce serait plus agréable pour les vacances des enfants, et eux-mêmes s'y installeraient s'ils en avaient envie au moment de la retraite de mon père, qui ne devait pas tarder beaucoup. Leur choix se porta sur une maison à Guerrevieille, près de Ste-Maxime. J'étais ravie de retrouver pour l'été« ma » Méditerranée.

A lire les mots de ma grand-mère, j'ai beaucoup souri en pensant que la génétique est une drôle de chose et à quel point je me sens vraiment issue d'une lignée. De femmes, beaucoup, mais aussi de mon arrière-grand-père que je n'ai pas connu et dont j'ai toujours pensé qu'on se serait bien entendus. J'ai découvert dans ce texte qu'il aimait passer son temps libre à lire et écouter de la musique, voilà qui ne me détrompe pas dans cette idée. Je l'imagine souriant, voire solidaire, à ma tentative d'apprentissage de l'italien, lui à qui Michelin a demandé d'apprendre le Portugais en un temps record.

Je n'ai pas tout pris de cette lignée, l'empathie, la tendresse, me viennent clairement de ma maman (et de son papa à elle ?). Mais quand même tellement que c'en est un peu sidérant.

Impossible de les renier, c'est certain.

Encore que je les trouve très aventurières, ces trois générations qui ont précédé celle de mes parents. C'est fou, les vies qu'ils se sont fabriquées.

Je ne sais pas si c'est à cause de l'âge qui fait que je me connais mieux ? Que doucement mon regard embrasse le passé et plus seulement l'avenir ? Me voici, sur six générations, très consciente d'être porteuse de la mémoire d'une famille, d'un héritage de façons d'être au monde, de le réfléchir. Pas identique mais grandement similaire.

Ca remue.

Si vous avez envie de lire ce récit, n'hésitez pas, je l'ai depuis quelques heures en pdf, plus simple que les feuilles volantes. Il y a un million de choses plus intéressantes sur la vie dans la première moitié du 20e siècle, je vous ai raconté une partie des choses qui me touchent fort, mais c'est presque le moins intéressant, pour vous. C'est moi. C'est l'origine de moi.

Notes

[1] Mon arrière-arrière-arrière grand-père

[2] Je l'ai pris dans la gueule, ce petit paragraphe...

[3] Michelin, donc

vendredi 5 juillet 2024

Les premières fois

Pour cause de fonctionnements cérébraux différents, j'ai instauré il y a quelques années la liste.

"La liste de quoi ?", me demanderont les plus concentrés d'entre vous.

La liste des menus de la semaine, avec, au dos, la liste des courses à faire.

Ca a réglé assez bien la question du gâchis alimentaire et du "qu'est-ce qu'on pourrait bien manger, chais pas, j'ai pas d'idées".

Un peu moins celle de ma charge mentale : qui se tapait de trouver 14 idées de repas le vendredi en vue du marché du samedi ?? Souvent moi. A l'occasion d'une question de type "qu'est-ce que vous avez envie de manger la semaine prochaine", j'ai découvert le silence, le vrai. L'absence totale de son. Vertigineux.

Je passe sur les détails et rebondissements qu'ont provoqué des choses aussi folles que des changements d'avis ou inversions. Là n'est pas la question.

Nous sommes vendredi.

Lomalarchovitch part dimanche soir chez son père (je pense).

Je. Ne. Vais. Pas. Faire. De. Menus.

Demain j'irai au marché, je prendrai quelques tomates, des carottes, des haricots verts, des fruits. Du fromage, deux trois trucs chez le volailler ou la charcutière. En fonction de mes envies. Et on (je dis on car j'ai comme l'intuition que mon aîné va débarquer dans 5, 4, 3...)[1] fera en fonction de ce qui nous inspire ou pas, de notre envie ou flemme à cuisiner. Aux heures qu'on veut.

C'est la première fois depuis des années (et ça reprendra sans doute à la rentrée, mais pour moins de repas par semaine et avec une foule agile du cerveau) et j'ai l'impression de me faire un cadeau hors de prix.

Note

[1] J'en profite pour lancer un appel au peuple : si parmi vous il y a des gens qui aiment débarquer à l'improviste, ou dans un court délai de prévenance : faites ! L'été, c'est fait pour ça. Juste, prévenez quand vous êtes en approche, qu'on soit au moins un peu dignement vêtus. On trouvera bien comment vous remplir l'estomac ! Au pire on vous fera boire pour oublier qu'on a plus que du riz !

mercredi 3 juillet 2024

Ca va mais

Alors ça serait lui, ce fameux contrecoup contre lequel on m’a mise en garde ? Ou juste l’air du temps qui n’est pas favorable ?

Après deux semaines d’euphorie, ça retombe. Je retombe. Pas très bas, juste sur Terre, à niveau humain.

Ça commence par le corps qui tiraille : le fameux truc qui faisait mal pile où je ne peux l’atteindre ressemble fort à une petite déchirure musculaire. Adieu, besace tant aimée, retour du sac à dos minimaliste, du petit sac pas trop chargé, jusqu’à réparation complète de la machine.

La fatigue aussi. Je dors mieux, mais les repères sur lesquels s’appuyer ne sont pas encore complètement dessinés. Réserves pas reconstituées.

Alors je me lâche du lest, après un week-end épique de nettoyage à fond de choses en retard et de transbahutage et montage d’une chaise de bureau pour Lomalarchovitch (son nom est suédois mais dans ma tête elle s’appelle : "promesse non tenue" suivi d’un numéro très élevé). Il reste des rangements à trier, nettoyer, optimiser, réorganiser. Ça attendra. Le retour de l’énergie, au moins. On ne parle même pas d’un énorme chantier de remise à neuf de l’appartement : ni maintenant ni en rêve je n’ai l’argent et le temps pour tout vider, aller habiter ailleurs pendant que tout se remet magiquement, mais à grand frais, à neuf.

Ça va faire dix jours de quasi tête-à-tête avec le jeune Lomalarchovitch, source d’immenses joies et d’exaspérations tout aussi grandes. L’autre jour il se plaignait que le maître l’avait un peu injustement grondé, je lui ai suggéré que ce dernier manquait peut-être un peu de patience en cette fin d'année. Il s’est indigné d’apprendre qu’il en consommait en grandes quantités, de la patience ! Et à moi, justement, comme son maître en fin d’année, il en reste si peu.

Mais tout de même. Il a besoin d’apprendre que la vie avec deux parents plus sous le même toit a ses avantages, comme de longs moments privilégiés. J’ai renoncé à quelques sorties, pour être avec lui. Bien sûr, en cherchant bien, j’aurais trouvé des solutions, mais il m’a semblé important d’être là, avec lui. Et quelques mots glissés l’air de rien me font dire que j’ai eu raison.

Me voici donc beaucoup à la maison, après une année à y être moins que d’habitude. Ça aussi, ça va demander un équilibrage…

… envie de voir des têtes et des joies autres que familiales.

Pourtant je ne relancerai pas, pour l’un de ces moments dont j’ai envie. Réclamer, oui, implorer, non. Après tout, une non-réponse en est une.

Je ne me lamente pas, hein, je comprends, même. C’est juste que je n’ai pas besoin que l’écho réponde à mes demandes en me pointant du doigt des choses un peu tristes à se dire, ces jours-ci : pour moi, pas le temps. Ben oui, je sais. Je comprends, vraiment. Mais c'est un rien douloureux.

Cro-Mi est chez son père, cette semaine. Il a passé (plutôt bien) son grand oral et cuve cette épuisante fin d’année avant de se lancer dans la bataille de la première année de médecine.

Lomalarchovitch devrait partir en vacances chez le sien, dimanche soir ? Lundi matin ? Qui sait ? Qui a besoin de s’organiser, dans la vie ? Il reviendra fêter son anniversaire avec moi avant une énorme séparation de plusieurs semaines. On n’aura jamais passé si longtemps sans se voir, lui et moi. Une première fois qui a un goût de liberté et d’amertume à la fois.

Je ne sais pas quoi attendre, de ces semaines solitaires. Je les espérais joyeuses et festives, elles seront peut-être surtout isolées et contraintes, par les JO notamment. On verra.

… j’ai mis quelques rêveries en pause, aussi. Ni chaussures de rando, ni Tropéziennes de chez Rondini, ni chemin. Je suis assise, le cul par terre, à regarder le néant. Prête à signer un papier qui dirait « Tu vois des choses qui n’existent pas », presque (lol de feu, quand même). Je n’ai pas d’énergie pour le rêve, ces jours-ci, pas d’énergie pour le garder dans des proportions qui ne m’abîment pas.

Je ne crois pas avoir inventé des choses, en revanche, dans la vraie réalité de cette vie qui a croisé la mienne, j’ai une place toute minuscule, infime, qui n’existe quasiment pas. Avec quelques sursauts très jolis ; je les ai savourés avec délectation. Mais ça n’est pas un moment où je peux gérer bien le fait de me sentir de si peu d'importance, dans ce contexte, alors bonjour armure, bonjour dents serrées fort, au revoir guets des jolis sursauts.

Il reste tout ce qui est accessible, et qui n’est pas indigne d’attention. De l’humainement gérable, en somme.

Alors voilà. Ça va, mais…

Sérieux, ça va. Je souris, je ris, je savoure les levers de soleil au bureau et les couchers de soleil de ma chambre. Aux pitreries des chats et à celles des enfants. Je lis, j’écoute de la musique. Je bosse beaucoup, au boulot, dans la maison, mais je trouve moyen de me faire des espaces de répit. Je ne regrette rien de mes décisions. Je respire de soulagement de ce qui va mieux.

Mais si vous avez du rab de doux, des câlins qui ne servent pas, des bras qui auraient subitement envie de se fermer autour de moi, du temps en juillet-début août que vous auriez envie de partager avec moi, pour les parisiens résidents ou de passage, je prends.

lundi 1 juillet 2024

J'ai mal au monde

J'ai mal au monde.

Rassurez-vous, ça fait des années que j'ai arrêté de parler politique sur internet, ça ne change tellement rien, ça n'apporte tellement rien d'édifiant. Je ne suis ni économiste, ni politologue, ni assez intelligente ou assez cultivée pour que mes mots soient utiles à quoi que ce soit. Je ne sais même pas si j'ai raison de penser qu'on pourrait vivre mieux dans un monde où tout le monde trouverait sa place. Je ne sais même plus si je crois en la politique telle qu'on la connait aujourd'hui. pour être honnête.

Mais hey. Un arbre deux fois millénaire m'émeut aux larmes, alors on se doutait de tout ce que je viens de vous dire.

Juste : j'ai mal au monde, ou plutôt à sa population. A tout ce qu'on en a fait pour en arriver à un moment où on trouve que c'est une bonne idée que les gens qui décident des règles du jeu soient les bullies de la classe.

Je ne crois plus en grand chose mais je ne suis pas encore assez cynique pour m'en foutre. Sale période.

Alors voilà, la bulle a cédé, retour au monde normal, pas dans sa plus belle configuration.

J'ai déposé le petit à l'école pour l'une des dernières fois de sa vie (il n'est pas mourant, il lui reste 4 jours d'école élémentaire avant le collège). J'ai fait le tour du quartier à pieds, pour en sentir le pouls. Chez nous la députée sortante est réélue au premier tour avec un score qui fait, j'espère, un peu chaud au cœur à celles et ceux qui auront le plus besoin d'elle.

C'était étonnamment silencieux pour un quartier de 20 000 habitants ou presque. Le bruit des travaux et le silence des humains. Certes, il était déjà un peu tard pour les départs au travail, les travaux des écoles en ont déplacé les entrées et donc les cris matinaux.

Je suis passée devant la mini forêt (c'est la technique d'un japonais, je crois, il s'agit de planter un grand nombre d'arbres de certaines espèces précises dans un espace très restreint, ça créé une sorte de système qui fait que les arbres poussent plus vite, bref, j'irai prendre des photos des panneaux explicatifs si ça intéresse quelqu'un).

De fait, ça pousse dru. Les bébés arbres plantés il y a deux ou trois ans sont déjà quasiment à mi hauteur des "vieux" déjà sur place. De l'autre côté de l'immeuble, le square des acacias est à nouveau un ilot de fraîcheur et de verdure, 9 ans après son "remodelage", comme on dit en urbanisme, et la plantation de jeunes arbres à la place de vieux qui allaient très bien. Curieusement ça m'a mis du baume au cœur. Je crois que je vieillis comme Idefix.

Faites gaffe à vous, gens que j'aime. J'ai envie de vous serrer dans mes bras, de vous dire que ça finira par aller, qu'on va trouver moyen. Que l'intelligence humaine est rarement au rendez-vous mais quand elle l'est... ça peut être magnifique, aussi. Un jour je résoudrai ce conflit entre naïveté et cynisme à l'intérieur de moi, ça n'est pas aujourd'hui.

Pour le moment j'ai mal au monde. Ne serait-ce que pour le petit garçon géant qui pleurait dans mes bras hier soir en disant qu'il y avait tant de gens parmi ses préférés dont la vie risquait de brutalement changer...