Cette question, uniquement applicable à mes babillages webesques, me vient à cause d'une drôle de suite de commentaires, sur les blogs ou dans la vie, de gens qui me lisent depuis deux décennies en silence ou quasi. Ou de gens de la vraie vie qui découvrent que j'ai un blog et avec qui ça augmente la relation d'une part inédite.
Oui ? Non ? Peut-être ?
Il me semble que dès qu'on raconte, ça n'est plus l'exacte réalité, déjà. Le fait de poser des mots fait prendre une distance, sélectionner, raccourcir, amplifier, accentuer le point de vue de qui raconte au détriment de ceux qui sont éventuellement racontés ? Bref, raconter, c'est déjà fictionner un peu, avec toute la sincérité du monde. Ce que je raconte ici ou sur l'un des satellites d'ici, c'est ce que je choisis, de la façon qui me va à l'instant où j'écris. Même sans mensonge, sans omission, ça n'est qu'un bout de la vie. De ma vie, en l'occurrence.
Par ailleurs, j'ai un rapport très.... ingrat, avec mes blogs. J'y laisse des trucs pour rire, pour parler. Très souvent, ces derniers temps, j'y pose des émotions pour qu'elles ne me débordent pas dans le quotidien. Parfois il s'agit de leur donner vie ici pour ne pas en étouffer, parfois je joue avec une idée / envie qui me plaît, souvent, surtout ces derniers mois, je gratte la plaie jusqu'à l'os pour faire place nette. Tout un tas de trucs que je mettrais sous un label "pas très intéressant", vu par une personne tout à fait ordinaire. Alors que bon, il existe la littérature, si vous voulez lire des trucs bien écrits et captivants[1].
On se parlait avec Luce, l'autre jour, de la force du témoignage. Bon, si d'autres personnes vivent des choses similaires et que ça les fait sentir un peu moins seuls, je comprends, un peu.
Il m'arrive aussi d'écrire ici pour le strict plaisir de jouer avec des mots et des phrases. Mais comme j'ai toujours été très dilettante, je fais ça mal : je me relis à peine (sans mentir, il m'arrive de corriger des coquilles ou de compléter un bout de phrase manquant des années après, en tombant par hasard ou mélancolie sur de vieux machins). Il y a des tas de gens qui écrivent bien avec un minimum de respect pour les personnes qui les lisent, on va dire que mon respect se place ailleurs.
Il se trouve que pour moi, ça marche mieux en lâchant ça au milieu des internets que sur un carnet ou un fichier au fond de mon disque dur. Certainement parce que ça m'a apporté des copains en masse.
Il arrive (fréquemment) que je me souvienne à peine de ce que j'ai raconté quelques heures après l'avoir posé ici ou là.
Alors quand de temps en temps, vous me dites que vous êtes là et que vous y revenez, je trouve ça merveilleusement gentil, bien sûr. Ca me touche, vraiment. Mais est-ce que vous êtes sûr(e)s que ça vaut la peine ? Et autant vous le dire, dans la vraie vie, bien sûr, vous me reconnaitriez, je crois. Mais pas complètement. Il y manquerait tous les morceaux que je pose en chemin pour alléger le flot constant des pensées, de la mémoire, des trop-plein. J'y suis plus sage, plus raisonnable, souvent (un peu contrainte, ne nous mentons pas). Enfin je n'en sais rien.
Elle est étrange, cette période, si vous voulez mon avis.
Ah, et si vous voulez lire du vachement bien, j'ai trouvé dans une boîte à livres cette petite merveille, il y a quelques jours. J'en suis tombée amoureuse en quelques lignes, j'espère que si certain(e)s d'entre vous auront la joie de ressentir la même chose. Ca parle d'adolescence dans l'Angleterre de Thatcher, c'est plein de tout, c'est de la bonne (oui, je le vends mal mais faites moi confiance, ça fait vingt ans que vous êtes là, bordel, osez, un peu !)
Note
[1] Attention, toute la littérature n'est pas captivante ou bien écrite. Mais quand même, il y a de quoi faire
Commentaires
C'est le bénéfice de l'écriture. Je crois que ça sert à ça, pour l'auteur. Nabokov le dit dans une nouvelle.
C'est la littérature. Sinon ce serait mortellement ennuyeux. Tu te souviens des billets qu'on appelait "rapport de police"? C'était drôle, justement parce que c'était n'importe quoi. On ne peut pas écrire comme ça, ne serait-ce que pour être compris.
Ça a juste été magique. Le début, 2003, avec Matoo puis les autres. Juste magique. La fin de l'exception, de la solitude.
Pour moi le blog est vraiment une relation à part. Déjà il y a des blogs qu'on aime -- et le blogueur, quand on le rencontre, bof. Et inversement: des blogs bof et des blogueurs qu'on aime quand on les rencontre.
Ça suppose de se rencontrer. Le plus extraordinaire, et qui est vraiment difficile à expliquer (à être cru) à ceux qui sont hors internet, c'est à quel point on sait plus de choses sur les blogueurs que leurs voisins, famille, collègues de travail. Ils racontent des choses et des souvenirs qu'on ne raconte pas dans la vraie vie par pudeur, par méfiance, parce qu'on n'a pas le temps ou ce n'est pas le moment.
Dans un blog, on ne sait pas qui va lire, il n'y a pas d'enjeu, on peut se lâcher (c'est moins vrai quand on commence à se connaître et qu'on ne veut pas fâcher certain commentateur auquel on s'est attaché (même sans les connaître IRL) (smiley goutte de sueur)).
Ce que je préfère, c'est le délicat équilibre de pudeur quand on se rencontre la première fois: tout ce qu'on sait qu'on ne serait pas censé savoir dans la vie quotidienne et donc que l'on tait, tout en sachant que l'on sait et que l'autre sait qu'on sait, mais aussi le contraire, le moment où l'on peut enfin demander le début ou la fin d'une histoire qu'on a vu passer dans un billet sans poser de question, car si le blogueur n'en dit pas plus, c'est qu'il ne souhaite pas en dire plus.
C'est ce respect de la parole mais aussi du non-dit, cet équilibre parole/connaissance/silence/pudeur que j'adore et qui me manque partout ailleurs, IRL et dans les réseaux sociaux.
Merci pour ce long commentaire, Alice, je m'y retrouve beaucoup ! (Et puis si c'est Nabokov qui le dit alors qui suis-je pour faire autrement ?!!)
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