mardi 30 avril 2024

Gris

Ca fait trois ou quatre fois que j'ouvre un billet pour raconter notre Paris-Carnet d'hier, comme le veut la bonne tradition.

(On a passé un très chouette moment, c'était bon, on a a bien ri, bien papoté, et même été raisonnables).

Mais bon, on ne va pas se mentir, c'est pas la grande forme.

On est à peine mardi et je me suis déjà fait trop souvent la réflexion que Disneyland sur Olympie, à Paris et même en banlieue, ça me casse déjà nettement les pieds. Et ça n'a même pas encore commencé.

Il fait gris.

Le chien a gueulé comme un putois pour accueillir le retour de Cro Mi et de sa licorne cette nuit. Pas rendormie avant pas d'heure. Rien à bouffer pour le petit déj ce matin. Me suis traînée au bureau l'estomac vide et le bâillement aux lèvres. Les copains qui vont moyen, par ailleurs. Le cœur triste, le corps las, les bras vides, je guette l'heure de retrouver une amie ce soir avec impatience. Je ne sais pas si on sera l'une et l'autre dans notre meilleur état mais on sera ensemble.

Mais vraiment, c'était chouette, le ranimage de Paris-Carnet. Faudrait qu'on fasse ça plus souvent.

samedi 27 avril 2024

L'énergie à croum

Dans la grande famille des maladies chroniques, il y en a des plus chiantes que d'autres. J'ai du bol, la mienne s'oublie plutôt bien quand tout est calé. Quand elle se rappelle à moi, je fais moins la maline, mais 90 % du temps on se fout la paix, modulo un pauvre comprimé quotidien pour le reste de mes jours et les contrôles à faire, un peu contraignants mais pas au point de s'en bouffer la vie.

Depuis quelques mois, elle est en mode attention whore.

Depuis quelques mois, je vis donc sur une énergie que je ne possède pas. Je me fournis, à crédit, un peu dans la rage de vivre, un peu dans un entêtement (futile ?) à fabriquer autre chose que du noir.

D'ailleurs ça fonctionne, globalement. Je revois des couleurs au fil des bulletins de santé insolents, des rires, des amis, des moments qui font du bien, passés ou à venir.

Le problème du crédit, c'est toujours les intérêts. Il n'y a pas grand chose de gratuit en ce bas monde.

Chez moi les intérêts ça se paye avec un système immunitaire qui a décidé de jouer au contrôleur de gestion. On dirait que pour me forcer à récupérer un peu, il a vendu son âme au premier virus qui passe, roulé des pelles[1] à toutes les jolies petites bactéries sexy qui se trémoussent sur son chemin.

Il y a dix jours je me suis retrouvée clouée au lit par la crève que tout le monde se traine. 24 heures sous la couette. Là, je recommence (chats à l'appui, ils me veillent comme si mon trépas était prévu pour dans 12 minutes) à cause du tacos de retour de Cro-Mi. J'en avais même pas envie, de ce tacos, en plus, j'en ai pris un petit, des crudités avec parce que c'était plutôt ça dont j'avais faim, et j'étais pas arrivée à la dernière bouchée que je SAVAIS que ça allait mal tourner.

Il faut prendre les choses avec humilité. Si jamais, quand vous exultez de vous sentir en vie, vous êtes pris d'un léger sentiment de surpuissance, ces moments, en plus de vous forcer enfin à vous (re)poser quelques heures, vous mettent une petite claque derrière la tête pour vous rappeler votre triste condition humaine.

Il faut prendre les choses avec humour [2], mais aussi avec rationalité. Oui c'est inconfortable, très. Mais pas mortel.

Alors je lis dix pages, je dors trente minutes, je me réveille et tente, face à une vague douloureuse, de chercher à savoir si ça fait assez mal pour valoir la peine de me lever et me faire un Smecta de l'enfer ou pas. (Oui, j'ai fini par craquer). On recommence le cycle jusqu'à l'heure de dormir plusieurs heures d'un coup. Ou disparition des symptômes.

On médite sur le fait qu'on réfléchira à prendre un rythme plus serein, peut-être, mais pas la semaine prochaine qui est bien chargée, ni celle d'après.

On pense à ce qui fait du bien, on se laisse traverser, on paie gentiment les intérêts. Et dès qu'on peut on bondit sur ses pieds pour aller d'un pas (lent mais) déterminé vers la prochaine aventure.

Notes

[1] Réjouissons-nous, au moins l'un de nous deux embrasse quelque chose

[2] Enfin peut-être pas quand le coloc vient ouvrir la porte en grand sur votre corps à moitié nu pour vous dire que c'est l'heure de manger, sans frapper, alors que vous avez déjà signifié que vous êtes malade, que vous voulez qu'on vous foute la paix et que la moindre mention de bouffe vous envoie un spasme abdominal assorti d'un début de nausée. Là vous avez le droit de grogner, en tout cas je l'ai pris.

lundi 22 avril 2024

Dans le nichoir

J'ai été très marquée, ado, par la lecture d'un livre de Marie Cardinal, "La clé sur la porte". Il s'agissait d'une famille (enfin il me semble que le père était très absent) des années 70, avec une nichée d'enfants à eux plus ceux d'autour, voisins, copains, copains de copains, copains de voisins etc, qui avaient accès permanent à leur maison.

Je pense qu'il y avait un projet "politique" autour de cette clé sur la porte, mais surtout une femme qui daronnait à elle seule une improbable quantité d'enfants dont, finalement, l'immense majorité n'était que de passage. J'ai le vague souvenir qu'elle craquait un peu, sur la fin, mais cet esprit d'ouverture, d'accueil, de discussions avec des ados / jeunes adultes en tant que personnes à part entière m'a accompagnée depuis[1].

Il faut dire que mes parents n'étaient pas complètement étrangers à cette notion. Nos camarades étaient toujours bienvenus à la maison, le dégainage d'un couvert ou deux de plus très facile. Et si ça ne s'est jamais joué par douzaines, mon amie de fac a vécu chez nous, du lundi au vendredi, pendant presque toute la durée de notre première année.

Dans un grand élan d'échanges intergénérationnels, on était copains avec un certains nombres de leurs copains (dont certains venaient aux fêtes que j'organisais dès qu'ils tournaient le dos, dans la plus parfaite des discrétions, en tout cas c'est ce que raconte l'histoire officielle). C'est bien, je trouve, que les mômes aient d'autres adultes que leurs parents ou la famille, dans la vie[2].

C'est donc avec beaucoup de fierté et le poids de cet héritage, mi génétique, mi littéraire, que je porte la couronne de daronne préférée des potes de Cro-Mi. Chez nous aussi, ça défile, ça papote, on rit, on débat, on refait le monde. Les bébés queers savent qu'ils trouveront toujours un asile à ma table et sous mon toit. Et s'ils ne le savent pas, je fais passer le message. Même si tout ceci contient une part de flatterie de la part des "petits" et d'égo surdimensionné du mien, je suis bien dans cette posture (et honnêtement, le monde manque cruellement de mères qui se font des maquillages bigarrés pour un oui ou un non et écrivent des mails salés au proviseur au nom du respect dû aux élèves).

Cro-Mi est parti hier en Irlande avec quelques autres lycéens. Qui me saluent par l'intermédiaire de mon enfant, à l'occasion de nouvelles reçues cet après-midi.

"Salut les licornes. Ne faites rien que je ne ferais pas, ça vous laisse quand même de la marge" fût ma réponse.

Cro-Mi m'indique alors que parmi les consignes, on leur a interdit de danser sur les tables des pubs alentours avec deux grammes d'alcool dans le sang.

"Mais j'avais pas deux grammes et qui lui a dit, à ton prof, d'abord ???"

Message vocal récoltant l'hilarité de la troupe.

C'est facile, c'est cheap, mais ça me remplit de joie, de les faire rire. Ca me remplit de fierté de n'avoir jamais perdu ce lien privilégié avec mon aîné.

Je me demande si j'aurai autant de succès avec mes petits-enfants. Mais bon, avec l'hérédité et l'entraînement que j'ai commencé très tôt, je pense que j'ai un bon potentiel de vieille dame indigne. Soyons optimistes.

Notes

[1] Prise de nostalgie je l'ai racheté mais ne suis pas complètement sûre d'avoir envie de le relire. Comment ce livre aura-t-il vieilli avec moi ?

[2] Etant entendu qu'il s'agit de personnes fréquentables à tous points de vue.

mardi 16 avril 2024

Savoir gérer ses priorités

J'ai commencé un livre, le pauvre, ça fait quatre fois que je m'arrête pour en commencer un autre qui m'est plus prioritaire (comprendre : j'ai carrément envie de le prendre là, maintenant, tout de suite et si tout va bien, ne plus le lâcher jusqu'à la dernière page).

Et pourtant je n'ose pas avoir avec lui LA grande conversation. Qu'on ira pas plus loin, lui et moi. Pour d'improbables raisons dont presque aucune n'a de lien avec notre relation d'histoire / lectrice.

Il attend, donc, sans doute un peu agacé, ou peut-être anxieux. Je le regarde du coin de l'œil, coupable mais incapable d'être responsable de son désamour. Bref. C'est compliqué.

A sa place, je lis un livre qu'aime une personne qui m'est importante[1].

C'est toujours bizarre de lire un livre aimé par une personne qu'on aime, parce qu'au delà de la légère angoisse ("et si moi, je n'aime pas, qu'est-ce que ça dit de notre relation ?"), on y cherche des traces de l'autre, un peu. Ou alors c'est moi ? Je suis complètement folle, c'est ça ?

Et là, il se trouve que dans ce livre, j'ai trouvé quelque chose qui m'est important et que je n'ai lu/vu/entendu que très rarement par ailleurs, dans la vie et le vaste monde, y compris dans la fiction. Tout soudain, je me sens personnage de roman ! Non, pas vraiment, mais ça me fait sourire de savoir qu'il y a ça entre nous. (Je suis probablement la seule de nous trois, l'autre, le roman, moi, à avoir noté ce détail. Mais il est des secrets qu'on a entre soi et soi qui nous font comme une douceur à l'âme.)

Existe-t-il des gens qui choisissent leur prochaine lecture rationnellement ? Par ordre d'écriture, de sortie, alphabétique, d'arrivée dans une file d'attente ?

Je me demande à quoi ils ressemblent (et quels sont leurs réseaux).

Note

[1] Références sur demande en privé.

samedi 13 avril 2024

Princesse Woke et l'ascenseur

Jeudi matin, je suis partie au bureau, comme beaucoup de jeudis et de matins.

J'avais le pas conquérant et une assurance au taquet car j'avais, pour célébrer ma joie d'aller, le soir, voir Paloma aux Folies Bergère, sorti mon plus bel arc en ciel sur les yeux. C'est fou, tu passes ta vie à dire que le maquillage, bah, vous êtes belles, les meufs, telles que vous êtes. Et tu te peinturlures un peu plus que d'habitude : paf, t'es la reine du monde. Je comprends tellement le drag, ce que ça ouvre de ta personnalité que même toi, tu ne connais peut-être pas.

Bon, je suis vite retombée de mon petit nuage : de chez moi au bureau : rien. Personne n'a même fait mine de me regarder un peu fixement. Les gens ne voient rien. Alors on s'en fout un peu, c'était pour moi, pour mon grand, pour le fun. Mais quand même, mon goût de la délicieuse provocation était un peu frustré.

Jusqu'à ce que je monte sur le toit du bureau pour un café matinal. Il faut savoir que nos locaux sont un labyrinthe (probablement conçu par les mêmes mecs que ceux qui ont conçu le plan de circulation automobile sous la Défense). Il y a un seul ascenseur qui va directement sur le toit, les autres s'arrêtent l'étage en dessous. Et la seule façon d'attraper cet ascenseur et pas un autre consiste à l'appeler pour descendre et pas pour monter, puisque c'est également celui qui sert de monte-charge pour les activités de restauration. Et donc parfois, descendre avant de monter. Je vois bien que ça a l'air énigmatique et je ne suis pas sûre d'être très claire, mais telle est la vie, je ne fais que vous exposer des faits.

Bref, j'appelle l'ascenseur, monte dedans et me rends vite compte qu'on est un de ces jours où je vais descendre avant de remonter.

Au -1, un chariot entre dans l'ascenseur, suivi par le type qui le pousse. Le type me voit et ouvre grand la bouche, façon mâchoire qui se décroche. Je me marre et lui dis "Bonjour, je suis venue vous chercher !". Il appuie sur un bouton, me répond que c'est très gentil, merci, la porte s'ouvre à l'étage qu'il a demandé, il se rend compte qu'en fait il va plus haut. "Vous m'avez troublé, je vais au 2e, refaites ça aussi souvent que vous voulez", me dit-il avant de me saluer joyeusement en sortant.

Ca m'a fait le début de journée. C'est pas le truc qui m'arrive le plus souvent au monde, qu'un mec perde ses moyens en me voyant, figurez-vous, cet instant Princesse Woke[1] dans son ascenseur restera donc un moment aussi joyeux que rare dans ma mémoire.

Et bien qu'un peu teintée de tristesses qui s'installent, cette journée a finalement suivi le ton de cette rencontre matinale. Beaucoup de joies, aussi. Et "Paloma au plurielles", c'était incroyablement bon. Allez-y si elle passe près de chez vous (et pas utile, pour ce faire, de vous faire un maquillage comme le mien, le public hétéro chiant est nombreux dans la salle !)

Note

[1] Je voulais tenter un truc du genre Princesse Monowoke mais même moi je l'ai trouvée moyenne.

mardi 9 avril 2024

Une vie parfaitement scandaleuse

Hier soir quand je suis rentrée, Cro-Mi était à la maison. On a passé cinq minutes à s'extasier sur le fait que la maison était rangée, et calme, puis papoté pendant une heure sur le canapé. Au demeurant, une conversation au cours de laquelle je me suis demandé ce que j'avais spectaculairement foiré ou magistralement réussi dans son éducation, voire, les deux, simultanément. (Vous voulez que je vous raconte ? Peut-être pour l'autre blog ? Oui ? Non ? C'est scandaleux, je vous préviens.)

Je suis allée bouquiner dans un bain, porte ouverte. Même pas un chat pour venir flipper du fait que je trempe dans l'eau. Le calme. Le bonheur.

J'en ai émergé un certain moment plus tard pour découvrir que mon enfant chéri avait... fait à manger.

On a dîné en papotant, puis passé une bonne demi-heure à s'extasier que ça nous avait pris 5 minutes montre en main pour débarrasser, mettre au lave-vaisselle, nettoyer la cuisine et préparer de quoi rendre le lendemain matin fonctionnel. Je ne sais pas combien de temps ça va me durer, ce petit bonheur d'un truc qui fonctionne comme on veut, mais c'est du grand kif.

Ce matin, j'ai fait pour la deuxième fois le constat que le petit déjeuner préparé par mes soins ne me faisait pas perdre de temps par rapport aux matins où le coloc veut le faire. Etonnante chose que les rythmes humains discordants. En plus j'ai mangé ce que je veux (j'adore ne pas avoir d'habitudes immuables sur le petit déjeuner).

Le bus était quasi vide (vacances) mais pas la ligne 13. Arrivée à Liège j'ai pris mon air le plus assertif et ai lancé un "pardon" à la cantonade. Une demi douzaine de mecs sont descendus sur le quai pour me laisser passer. Je les ai remerciés, royale, d'un "merci messieurs, bonne journée". L'un d'entre eux m'a même répondu "Vous aussi", imaginez-vous.

Bref, je suis tellement calme et sereine de cette maison qui ne m'agresse plus du tout (enfin pas la maison, vous voyez) que j'ai l'impression de marcher dans le monde telle une meneuse de revue, parée de ses plus belles plumes, dans le meilleur des shows de Broadway.

Ne vous habituez pas. Ca ne durera pas. En attendant, c'est proprement scandaleux.

Que c'est bon à savourer.

(A vrai dire je me demande si ce n'est pas ce badge, confectionné par mon fils bien aimé, qui m'a valu tant de politesse dans le métro ce matin. Scandaleuse, je vous dis)

lundi 8 avril 2024

D'épinards et de sorcellerie

Depuis hier matin vers dix heures, je suis absolument seule à la maison (avec mes deux chats, tout de même. Celui de sorcière et le codépendant affectif qui se prend pour mon mec.)

Avant de partir en vacances, mon ancien compagnon et actuellement colocataire avait fait le marché de ma semaine, pendant que je digérais les effets d'une soirée aussi chouette qu'inattendue, la veille (et malheureusement, d'un retour long et pénible comme seule Valérie Pécresse peut vous en mijoter ces dernières années).

Pour occuper ma solitude, je me suis rapidement trouvé une occupation de taille dont le moi futur se réjouira : préparer cette montagne d'épinards frais de façon à n'avoir plus qu'à les jeter négligemment dans une poêle chaude, quelques minutes avant de les manger. J'ai actuellement l'équivalent de 5 litres de feuilles d'épinards dans des boîte de conservation au frigo et je me félicite de la taille démesurée de ce dernier. Sachant que la présence de Cro-Mi, de loin en loin, n'ira pas jusqu'à absorber plus d'une cuillère à soupe de vert par repas, je pense qu'on peut en conclure que je ne vais pas risquer l'anémie cette semaine[1].

J'ai donc passé une bonne heure à enlever des tiges, rincer, essorer, sécher.

Si vous n'êtes pas capable d'un peu de sorcellerie, ce n'est pas la peine de vous mêler de cuisine. disait Colette.

Et ça tombe bien car dans l'acte de faire la cuisine, il y a ce moment particulier de déroulage de fils de pensées. Dans les miennes hier, ce sentiment d'appartenance à une famille (la génétique et la choisie) de femmes puissantes. De femmes sorcières. De femmes solides comme de grands arbres, racines plantées profond dans le sol, branches et feuilles frémissantes, capteurs des pensées qui voyagent dans le vent.

On en a reparlé un peu plus tard avec une amie-sœur chère.

Cette "puissance" qui fait peur, parfois.

Cette vulnérabilité qui va avec tout ce qu'on capte, tout ce qu'on devine, tout ce qui transite par nous et à quoi on cherche à donner du sens. Par le cœur que nous mettons en toutes choses.

Et le fait d'accepter de la montrer (ouch).

Quand une main vient se poser sur nos écorces, héritées de générations de femmes-arbres-sorcières, elle ne guérit pas nos blessure. Mais elle nous apaise et ce calme relatif est un soin, en soi.

Longtemps, j'ai eu un œil envieux sur l'idée d'être une femme plus simple, qui pouvait éplucher des épinards sans déclencher des tempêtes plus ou moins intérieures.

Plus maintenant.

La sorcellerie, ça rend la cuisine meilleure

Note

[1] Oui, je sais que c'est faux, l'histoire du fer et des épinards, c'était pour faire une phrase.

jeudi 4 avril 2024

Après moi le déluge

On est punis en banlieue.

Je viens d'en avoir la démonstration.

J'avais bien vu "averses" sur mon appli météo. Mais aussi des éclaircies et une vague promesse de soleil. J'ai même regardé les prévisions à Colombes ET Paris parce qu'on ne me la fait pas, à moi.

Evidemment par la fenêtre, ça avait l'air tonique, comme averse. Mais confiante en l'avenir que je suis, même pas peur, me voici partie armée de mon parapluie [1] et, c'est important pour la suite, vêtue d'une robe longue en coton. Mouillée pour mouillée, au moins je sécherai plus vite qu'en jean, m'étais-je dit. Cette force de prédiction va vous étonner.

Me voici donc sortie de l'immeuble, et c'est pas de la pluie, c'est le déluge. Il y a une pellicule de flotte sur le trottoir, les flaques sont infranchissables d'un bond, les caniveaux vomissent de la flotte, l'enfer.

A peine franchies les quelques centaines de mètres qui me séparent de l'arrêt de bus, je suis trempée des pieds aux genoux.

Foutue pour foutue, je m'engouffre dans ledit bus, qui a le bon goût de se pointer immédiatement et de m'emmèner au métro. Répétition du déluge pour aller de l'arrêt à l'entrée de la station (où les sortants campent, indécis, sur le seuil, contrariés par l'humidité ambiante et nous empêchant, nous autres, pauvres créatures trempées, de se mettre au sec. C'est pas pour balancer mais j'ai trouvé ça assez indélicat.)

Je finis par entrer et constate que ma longue robe, désormais gorgée d'eau, a rallongé de dix bons centimètres, ce qui la transforme en serpillère portative et moi en pauvre chose humide et renfrognée.

Bref, le trajet se passe, j'émerge à Liège où une petite pluie polie m'attend. Rien de traumatisant. C'est là qu'on voit les inégalités entre les quartiers bourgeois et les banlieues populaires, je trouve. A nous, les pauvres, la pluie épique, dantesque, et surtout mouillée. Aux riches les petits crachins médiocres.

Ma robe rallongée[2] et moi émergeons de la station, parapluie en main. Un pan de ma robe pendu au crochet de mes doigts, j'arbore le plus pur style princesse, celui-là même qui a fait ma gloire ces dernières décennies (hum) pour éviter de voler le travail des cantonniers parisiens. Enfin princesse qui montre ses jambes, du coup, mais on est en 2024.

Si vous me cherchez au bureau et que je n'y suis pas, c'est sans toute parce que j'aurai trouvé un pressing dans lequel je contemplerai, en soutif et culotte, un sèche-linge en train de faire son office (et si ça se trouve, ma robe aura tellement rétréci après que je ne pourrais plus la mettre, hahaha).

Je sèche, comme je peux, en maudissant l'inégalité sociale qui est la nôtre, même devant la météo.

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Je déverse beaucoup, et sur beaucoup de blogs différents, ces jours-ci. Sans doute parce que j'ai toujours pris internet pour un psy pas trop chiant, un peu parce que "Parfois, on écrit comme on se déshabillerait devant la fenêtre, sans faire attention si le voisin est là ou pas." [3] J'ai même ouvert un blog de célibat, c'est tout dire. Si ça vous saoule, ignorez-moi. Un jour je serai de nouveau feignasse du blog et vous regretterez ce contenu d'une qualité contestable mais abondant.

Notes

[1] Neyrat, pour les connaisseurs, j'ai le snobisme bourguignon en matière de parapluies. Salut la team 7-1, salut Autun !

[2] Le premier qui me demande si ce n'est pas moi qui ai rétréci, je l'assomme à coups de parapluie.

[3] Cette phrase de mon tout premier blog m'a tout de même valu d'être citée par Pyschologies Magazine il y a deux décennies, on a les gloires qu'on peut, mais excusez-moi du peu.

mercredi 3 avril 2024

De la servitude insupportable et de la perte de gouvernance

Je suis un des "Knights who say Ni!" (ou chevalier du Ni, pour les amateurs de la VF).

La moindre perte de gourvernance ou de capacité à faire ce que je fais d'habitude m'est une torture. Je commence à trouver que oui, c'est un peu moins pratique avec les bras et les jambes en moins (en l'occurrence, c'est plutôt de niveau d'énergie disponible dont on parle).

Bref, quand ça ne va pas, je passe en force, je convoque je ne sais où, mais dans un truc que je tiens probablement de ma mère, une ressource supplémentaire. Je roumègue, je m'entête et je me laisse rarement arrêter sur le chemin d'une chose qui me tient à cœur.

Depuis quelques semaines je ronchonnais intérieurement que je lisais moins vite que d'habitude (et ça m'ennuie copieusement car ma "pile"[1] de lectures en attente, elle, tend à augmenter à la même cadence que d'habitude.

J'ai mis ça sur le dos de beaucoup trop de trucs à penser. Des soucis, des trucs plus joyeux mais envahissants aussi, de la logistique à anticiper.

J'ai mis ça sur le dos de la fatigue assommante qui me tient compagnie ces derniers mois (je lis, je m'endors, rince and repeat).

Et hier soir je me suis rendu compte, et j'en rigole en vous le disant, qu'en fait ma vue a baissé et que mes lunettes ne sont plus à ma taille, si j'ose dire.

La défaite de la vieillerie.

Après vérification, il semblerait que ça fasse deux ans que je n'ai pas mis les pieds ni les yeux chez l'ophtalmo.[2]

Celles et ceux qui ont toujours porté des lunettes se rendent bien compte des armes qu'on rend quand il faut naviguer dans un monde qu'on ne voit pas assez bien. J'ai toujours eu une excellente vue et de très bonnes dents, de mon côté (je n'ai, à ce jour, toujours pas la moindre carie, vous auriez dû penser à ça avant de faire des enfants avec n'importe qui. Le patrimoine dentaire qu'on lègue est loin d'être anodin).

C'est d'autant plus ironique que je me suis copieusement moquée de celui qui vivait avec moi à l'époque où il a été frappé, nettement plus jeune. Moi, ça allait, jusqu'au jour où dans un ascenseur parisien, je me suis retrouvée face à une affiche que je ne pouvais pas lire, faute de pouvoir reculer. Ca doit faire deux ou trois ans que j'ai dû céder à l'appel des verres progressifs et que l'augmentation de la taille de la police sur ma liseuse ne suffit pas toujours.

Et porter des lunettes, excusez moi, c'est d'un banal, mais c'est la merde. C'est toujours : plein de buée, à risque de prendre la pluie et donc d'avoir des gouttes énormes sur les verres par lesquels on aurait envie de voir le monde. c'est jamais à l'endroit où on pense les avoir posées[3].

Le pire c'est que, esthétiquement, ça ne me gêne pas du tout, j'aurais même tendance, parfois, à trouver que c'est une bonne occasion de laisser s'exprimer ma fantaisie accessoiriste naturelle. Mais je maudis le jour où j'ai opté pour ces lunettes qui se teintent au soleil : par beau temps, je suis grillée dès que je descends du roof top.

Bref. Je lutte en vain contre cette déchéance mais la vie gagne. Dans mes bons jours j'aurais tendance à penser que c'est un signe de santé suffisante.

Notes

[1] Une partie très conséquente étant dématérialisée, je ne sais pas si le mot pile s'applique, mais enfin bon, vous voyez, ne vous faites pas plus de mauvaise foi que vous n'êtes déjà !

[2] Et oui, maman, j'ai rendez-vous trèèèèès bientôt !

[3] J'ai écrit cette phrase uniquement pour saluer au passage la mémoire de ma grand-mère qui avait son emplacement n°1, n°2, n°3 etc où chercher. Au cinquième, une légère lassitude pouvait se faire sentir. De mon côté je ne cherche jamais mes lunettes, laissez-moi encore ce petit rempart.