La vie et toutes ces sortes de choses

jeudi 10 octobre 2024

On pourrait ne jamais le voir

Je ne sais pas pourquoi j'aime tant regarder le ciel.

A vrai dire, je pourrais tenter une réponse simple ; j'aime le ciel parce qu'il est beau, de multiples façons.

Il est beau sans le faire exprès, il ne résulte d'aucune démarche artistique. Sa beauté est fortuite. Peut-être même forgée par l'aptitude humaine à regarder loin, peut-être que si nous étions une autre forme de vie consciente on en aurait rien à faire, de la beauté du ciel.

Sa beauté est gratuite ; si personne ne le regardait jamais, il serait quand même beau, parfois d'une manière dramatique et colorée, parfois plus discrète en nuances de gris, parfois d'un bleu implacable qui transperce l'âme.

Le matin, souvent, quand je monte sur le toit de l'immeuble prendre un café, je suis seule. Il y a des instants sublimes pendant lesquels que je suis absolument seule à voir de ce point de vue-là. C'est un cadeau vertigineux (non, je ne me penche pas dessus le rooftop) de se dire que, même si absolument aucun humain ne le voyait, aucune espèce de vie, il serait beau de la même façon, le ciel, pour rien, par essence, comme ça. Et que moi, bim, j'ai la chance d'être là.

Il y a sur mon téléphone des milliers de photos du ciel. Ici, ailleurs. La plupart ne me servent à rien, j'oublie quel jour, quelle saison, parfois quel lieu. Elle me servent à célébrer l'instant, assez humblement : il est presque impossible de faire une photo qui soit aussi belle que la réalité. Les couleurs sont trop spectaculaires, les nuances trop infinies pour nos capteurs, c'est à l'image de cette beauté sans objet ; la magnificence du ciel est impossible à capturer pleinement autrement que par nos yeux. Et encore, sans doute ne voient-ils pas tout.

En fait, elles ne servent pas qu'à encombrer des serveurs de stockage, elles servent aussi à dire bonjour, à ma mère, toujours, à un autre, souvent. A vous, ici ou sur les réseaux sociaux, parfois. Chaque fois, choisie pour son ou sa destinataire, sur des critères qui m'échappent complètement mais qui ne me laissent aucun doute au moment de l'envoi.

Dont acte.

Toits de paris le 10 octobre 2024

lundi 7 octobre 2024

Parfum bribes de tendresse

Je retrouve le plaisir de la cuisine, ces derniers temps.

Cette pièce a fait l'objet de tant de tensions au cours des années passées qu'elle était devenue un endroit où je mettais les pieds aussi peu que possible, constamment sale, mal rangée, impraticable, en tout cas dans les conditions dans lesquelles je m'y sens bien.

La semaine, c'est le "plat gagnant" un minimum d'efforts pour un maximum de plaisir à manger, qui a notre préférence, aux enfants et à moi. Ma pente naturelle cuisinière me porte vers l'élaboration de plats mijotés le week-end, que ce soit pour accueillir les copains (ma vie sociale de fin de semaine a repris avec vigueur et nous avons une invitée du mardi récurrente qu'il faut régaler) ou pour prévoir deux ou trois tournées dans la semaine.

Il faut imaginer la maison parfumée aux effluves de boeuf bourguignon ou de pot-au-feu qui mijote, l'odeur de la sauce aux champignons qui accompagnera riz et haricots verts du soir, on tire le meilleur parti de l'automne, de nos envies et de la nécessité à se nourrir. Voilà : une maison. Une maison c'est accueillant, ça sent bon le plat qui bloblotte sur le feu et on y trouvera toujours de quoi faire manger l'ami(e) de passage. Simplement, mais avec du goût.

Souvent, donc, le retour de marché du samedi est un moment d'épluchage, de taille de légume, de débuts de cuisson.

J'ai toujours aimé cette étape préparatoire, elle me vide la tête des soucis presque aussi sûrement qu'un kilomètre dans l'eau chlorée de la piscine. C'est un peu fastidieux, ça oblige à une légère concentration, mais sans non plus prendre toute la place.

Chez moi, c'est souvent l'occasion de saisir au passage les jolis souvenirs qui remontent à la surface. Cuisiner pour l'autre est un acte d'amour répandu dans ma famille, comme dans tant d'autres.

Ainsi, les girolles m'évoquent mon grand-père paternel, nos chasses aux champignons, la complicité qu'il y avait entre nous, la tendresse dont il m'entourait (et qu'il n'avais sans doute pas tellement témoignée à ses enfants). Le pot-au-feu me ramène immanquablement à une antique conversation avec N. L'équeutage des haricots ravive les séances de cuisine guidée par ma grand-mère paternelle. Ma blanquette est celle d'Emile Zola, un peu métissée à l'insu de son plein gré (un nombre très limité de personnes savent pourquoi mais c'est ainsi). Le gâteau au chocolat que je fais depuis 20 ans tellement il plaît et m'est réclamé évoque une ribambelle de sourires, de mines gourmandes, de gémissements de plaisir gustatif (oui), d'actes sournois pour s'assurer la dernière part dans un éclat de rire généralisé. La pasta, faite maison, me plonge dans les délices de mon enfance, l'odeur de la farine qui se mêle aux œufs m'est irrésistible et répond sans doute à des souvenirs très anciens, bien rangés. Le gâteau que j'ai fait hier pour aller chez des amis est issu d'un livre qui appelle souvent une conversation complice avec mon hôtesse dominicale, chaque revisite améliorée par ses soins ou les miens est une sorte de victoire qui nous lie contre le livre.

Ces bribes de tendresse qui me reviennent quand je cuisine parfument les ingrédients d'un arôme qu'on ne trouve nulle par ailleurs que dans le plaisir d'anticiper la gourmandise des autres, les expressions de plaisir[1], ceux pour qui j'aurais envie de faire à manger. De l'amour, encore, en somme.

Note

[1] Il m'arrive de foirer magistralement, rarement, mais spectaculairement. Ne m'en veuillez pas si ça tombe sur vous.

mercredi 2 octobre 2024

Encore des mots

Dans ma famille, il y a les bavards (côté paternel) et les taiseux (côté maternel).

Je suis du côté des bavards. Pour des raisons d'ADN, d'abord, on aime jouer avec les idées, les mots, essayer d'aller aussi vite que nos pensées. Ca s'assortit en général d'un débit élevé et d'une élocution parfois... mettons approximative (certains mangent leurs mots, moi je les inverse, mélange, fusionne).

Mais aussi, pendant que je parle, je vous enfume. Je vous empêche de voir que je ne dis pas l'essentiel.

Jamais. Ou presque jamais et vraiment, vraiment pas à tout le monde.

D'ailleurs, rions un peu, quand je le dis, souvent, je l'écris. Zéro décibel.

Ca va peut-être vous étonner mais j'adore aussi ne pas parler. Dans ma nouvelle tranche de vie la parole cesse quand les enfants disparaissent et ça fait un bien fou. Je peux ne parler à personne pendant quelques heures, voire jours, sans que ça me gêne plus que ça.

Avec les gens, c'est plus compliqué, il faut une sacrée dose d'intimité pour bien se taire ensemble. Ou bien assumer les silences, et je ne sais pas le faire avec tout le monde. A part les gens avec qui on vit (et si vous connaissez mes enfants, vous savez que je suis une carpe, en comparaison), ça n'est pas si simple d'être bien, ensemble, sans paroles ou très peu.

A part quelques très proches et mes taiseux préférés, avec qui je sais que ça ira, ça n'est pas très fréquent, en tout cas pas autour de moi. Je connais quelqu'un avec qui je pense j'aimerais me taire autant que j'aime lui parler. Mais bon, quand on se voit, le temps d'échanger nouvelles, pensées, rires, ce que, je crois on aime faire aussi, il est temps de retourner au cours de la vie. Au temps pour le silence.

mercredi 25 septembre 2024

Adidja me fait la leçon

J'ai longuement réfléchi à faire sauter cette ligne de dépense quand il a fallu faire le budget avec mes seuls revenus pour nourrir trois personnes (dont deux n'ont pas peur d'avoir faim et des goûts de luxe, si vous voyez ce que je veux dire). Il se trouve que mon employeur finance un petit millier d'euros par an de CESU, qu'en réduisant la prestation à deux heures par semaine tout en tenant compte de l'avantage fiscal inhérent à l'emploi d'une personne à domicile, ça me coûtera, à terme, moins cher de la garder que de la supprimer (oui c'est un calcul étrange, holistique mais tout à fait véridique, reste à définir ce qu'on appelle coût).

Bref, nous avons toujours la douce visite de la femme de ménage. L'agence qui se charge de toute la partie recrutement-planification-administration galère ces derniers temps, évidemment que personne n'a envie de faire ce métier difficile, et puis entre celle qui fait demi tour sur mon palier parce qu'elle est allergique aux chats, celle qui est en arrêt maladie depuis son recrutement... on a passé du temps à trouver la perle.

Puis est venue Adidja. On m'avait prévenue : elle est maniaque. Je suis en mesure de confirmer ce point.

Adidja est tout près de la retraite, un an ou deux, il lui manque quelques trimestres. Elle me dit que très rares sont ses clients qui l'accueillent avec un grand sourire et lui demandent comment elle va (humanité, que je te hais, parfois). Elle est capable de donner une demi-heure de son temps parce que prendre soin des autres, c'est le sens de sa vie.

Adidja me terrorise.

Après m'avoir forcée à changer la batterie de mon aspirateur (neuf) pour une plus puissante et acheter SON embout préféré, elle est entrée dans un chantier de rédemption de mon appartement. Elle me fait la morale (en agitant le bout de l'index, comme il se doit) parce qu'il y a de la poussière derrière mes meubles.

No shit. Combien d'entre vous déplacent leurs meubles régulièrement (les lourds, les massifs, les chargés de bouquins) pour faire la poussière derrière Dénoncez-vous, immédiatement, que je sache si c'est moi l'horrible sansougne ou elle l'obsédée du mouton ?

Elle a nettoyé les appuis extérieurs de mes fenêtres.

La. partie. qui. est. dehors.

Elle me gronde parce qu'il y a une tache sur le meuble de la salle de bains ou une autre sur un mur, et que quand je partirai je devrai remettre en état. A ce jour, je n'ai pas osé lui dire que je suis propriétaire de cette appartement et tristement consciente du boulot pour le remettre à neuf mais que hey. Mon problème pour plus tard.

L'arbre à chat n'a plus le moindre poil de chat visible (j'ignorais même que ce miracle était possible).

Adidja a pour moi une sorte de tendresse maternelle. Elle sait que je suis seule avec les enfants et a envie de me faciliter la vie. Mais je la soupçonne de penser qu'une vraie femme devrait savoir mieux prendre soin de son intérieur et de tenter d'amorcer ma rédemption.

Celles et ceux qui sont venu(e)s chez moi, c'est le moment de me dire : c'était vraiment si horrible ?? J'aime quand c'est rangé, et qu'on peut poser la main ou les pieds nus sans que ça reste collé, mais j'avoue, je ne m'allonge pas par terre toutes les semaines pour lessiver sous et derrière la gazinière...

J'aime Adidja, qui daronne l'agence et moi avec un aplomb magistral, décide de tout, mais apporte une touche bien à elle en plus de fabriquer du propre (parfois dans des endroits jugés non prioritaires par moi mais bon, après tout je suis chez elle. Oh wait, non !). J'aime sentir quand elle est passée le plaisir qu'elle a à m'accompagner dans la vie.

vendredi 20 septembre 2024

Le privilège de l'âge

L'âge est un sujet de conversation qui passionne les foules. On est toujours trop vieux ou trop jeune pour : quelque chose, les autres, faire bien, faire mal, être à temps, en profiter, dire au revoir.

J'observe mon entourage avec gourmandise. Les gamins pressés, intenses, brûlant d'en découdre. Les à peine trentenaires qui se plaignent que c'est plus pareil, qu'ils ont mal, qu'ils sont raides. Celles et ceux qui virent quadra et qui ne s'en remettent pas, qui ont l'impression que leur heure a sonné, qu'ils sont périmés. Les plus vieux aussi. Ceux qui sont tellement eux, depuis toujours que les rides et défaites du corps ne changent rien. Ceux qui glissent dangereusement vite sur une mauvaise pente et ne s'en rendent pas compte (ou refusent cette idée avec violence)

Et moi ? Jusqu'à présent, je trouve que vieillir est un signe de santé suffisamment bonne pour en être arrivée là.

Je regrette un peu d'avoir détesté tant mon corps quand il était encore vigoureux et plein de promesses, curieusement celui de maintenant, je suis plus en paix avec.

J'éprouve une grande joie à savoir qui je suis, ce que je veux, ce que je ne veux plus. Je me sens tellement plus libre d'être, dans ma tête, dans mon cœur. Je ne me sens plus obligée de suivre un chemin qui n'est pas le mien ; l'économie à part, les enfants ayant faim trois fois par jour. Ce matin, en allant de mon bureau de la maison à la cuisine, j'ai souri en direction du soleil qui se levait et faisait une lumière dorée dans mon salon. Sereinement, paisiblement, entièrement heureuse d'être là au bon moment pour la voir.

A quelques détails près, j'aime beaucoup ma vie maintenant. Je me glisse sous la couette, le soir, heureuse.

De ma liberté. De traverser cette période houleuse et difficile sans lâcher le cap, sans oublier de savourer tout ce que j'ai trouvé de bon sur le chemin. Comment dire ça sans sembler ridicule (bon, en même temps, je m'en fous), mais dans mon coin de banlieue pas classe, dans mon appart pas incroyablement beau, je suis bien, je suis à ma place. Mes derniers regards de la journée sont pour Paloma la superbe (plante verte) et mes bouquins, les chats vibrent sur mes pieds, les enfants vont bien, ils sont juste à côté, on a ri, encore. Quels millions achèteraient ça mieux que ça ? Combien de temps ça m'a pris pour savoir que ça valait l'infini, cette vie banale et unique ?

J'aime cette façon qu'on a, aussi, en vieillissant, de ne pas vraiment changer, au contraire, de se retrouver un peu, tout en découvrant sur soi des choses qui apaisent.

Cette année, j'ai commencé à apercevoir une forme de sérénité. De joie profonde à savourer ce qui est et que personne ne peut me retirer. Une faculté qui émerge à arrêter de me blesser moi même, aussi. Il y aura des remerciements à donner ; le chemin, ses obstacles et les gens sur la route n'y ont pas été pour rien.

Et oui il y aura d'autres moments difficiles, non je ne suis pas encore sortie du trou, mais il y a ça, cette dimension nouvelle que je savoure et qui me console de bien des choses.