J'ai, au chapitre de mes nombreuses névroses, la crainte à peu près quasi constante de tomber. Il faut dire je prends la gravité très au sérieux et que mon sens de l'équilibre n'est pas tellement un allié. Dans toute situation, donc, j'imagine le million de possibilités de contempler mon cerveau répandu sur le sol.
On apprend à vivre avec. Il faut, sinon on ne sortirait pas de chez soi, que dis-je de son lit.
Mais dans le cadre hors quotidien, ça peut être un peu chiant. Surtout quand on aime à la folie certaines choses (être en bateau) mais que pour être SUR le bateau il faut passer PAR une étape qui craint et que la majorité de l'humanité fait sans même y pense : passer du quai au bateau. Vous la voyez, ma tête écrabouillée entre la coque et le quai, prête à être dévorée par la faune aquatique ? Non, hein ? Moi oui. A chaque putain de fois.
Parfois c'est facile à surmonter, parfois pas du tout.
Ajoutons à ça un genou gauche qui a pris un sale coup il y a dix ans. Malheureusement mon médecin de l'époque était plus occupé à me reprocher les gâteaux (que je ne mangeais pas) qu'à soigner mon genou (qui douille toujours au pliage). Résultat des courses, j'ai mal en descente, parfois en montée et je ne peux plus sauter. Et oui, j'ai changé de médecin, qu'il aille se faire cuire le cul en enfer ce bâtard.
Additionnons : peur irrationnelle de la chute + motricité et équilibre contestables + mal au genoux et historique lourd d'entorses aux chevilles = dès qu'il faut monter quelque part, et pire encore en descendre, j'ai un gros coup d'arrêt mental. Non ma vieille, ça n'en vaut pas la peine.
Fort heureusement, je suis plus têtue que moi et dans l'immense majorité des cas, je me fais une raison et j'y vais (mais j'ai peur, mais j'y vais). Et la nette conscience qu'il y a des choses que je ne ferai jamais. J'ai définitivement assumé que non, le saut à l'élastique, c'est pas pour moi et que je n'ai aucune envie de tenter le dépassement de moi par ce biais-là. Tant pis.
Il me reste alors à en découdre avec l'image que je me fais de moi, vieille grosse dame qui bouge comme un pachyderme bourré un peu ridicule, beaucoup pathétique. Grosses conversations avec ma saboteuse intérieure pour lui dire que si ça fait marrer quelqu'un, ben tant mieux, un rire n'est jamais vain. Et que celles et ceux qui me jugeraient n'ont qu'à enfiler à ma place cette liste de contraintes chiantes, on en reparle à la sortie.[1]
Un vrai boulot de déminage, presque à chaque fois.
Mais aussi un petit moment de célébration quand ça a valu la peine.
Note
[1] Ce poids de l'injonction paradoxale dans notre vie d'enfants : on est pas supposé tenir compte de l'avis des autres mais "ma pauvre, tu es vraiment ridicule". Allez vous faire foutre, les fantômes.