La vie et toutes ces sortes de choses

vendredi 1 novembre 2024

Le ridicule ne tue pas, il donne juste l'air con

J'ai, au chapitre de mes nombreuses névroses, la crainte à peu près quasi constante de tomber. Il faut dire je prends la gravité très au sérieux et que mon sens de l'équilibre n'est pas tellement un allié. Dans toute situation, donc, j'imagine le million de possibilités de contempler mon cerveau répandu sur le sol.

On apprend à vivre avec. Il faut, sinon on ne sortirait pas de chez soi, que dis-je de son lit.

Mais dans le cadre hors quotidien, ça peut être un peu chiant. Surtout quand on aime à la folie certaines choses (être en bateau) mais que pour être SUR le bateau il faut passer PAR une étape qui craint et que la majorité de l'humanité fait sans même y pense : passer du quai au bateau. Vous la voyez, ma tête écrabouillée entre la coque et le quai, prête à être dévorée par la faune aquatique ? Non, hein ? Moi oui. A chaque putain de fois.

Parfois c'est facile à surmonter, parfois pas du tout.

Ajoutons à ça un genou gauche qui a pris un sale coup il y a dix ans. Malheureusement mon médecin de l'époque était plus occupé à me reprocher les gâteaux (que je ne mangeais pas) qu'à soigner mon genou (qui douille toujours au pliage). Résultat des courses, j'ai mal en descente, parfois en montée et je ne peux plus sauter. Et oui, j'ai changé de médecin, qu'il aille se faire cuire le cul en enfer ce bâtard.

Additionnons : peur irrationnelle de la chute + motricité et équilibre contestables + mal au genoux et historique lourd d'entorses aux chevilles = dès qu'il faut monter quelque part, et pire encore en descendre, j'ai un gros coup d'arrêt mental. Non ma vieille, ça n'en vaut pas la peine.

Fort heureusement, je suis plus têtue que moi et dans l'immense majorité des cas, je me fais une raison et j'y vais (mais j'ai peur, mais j'y vais). Et la nette conscience qu'il y a des choses que je ne ferai jamais. J'ai définitivement assumé que non, le saut à l'élastique, c'est pas pour moi et que je n'ai aucune envie de tenter le dépassement de moi par ce biais-là. Tant pis.

Il me reste alors à en découdre avec l'image que je me fais de moi, vieille grosse dame qui bouge comme un pachyderme bourré un peu ridicule, beaucoup pathétique. Grosses conversations avec ma saboteuse intérieure pour lui dire que si ça fait marrer quelqu'un, ben tant mieux, un rire n'est jamais vain. Et que celles et ceux qui me jugeraient n'ont qu'à enfiler à ma place cette liste de contraintes chiantes, on en reparle à la sortie.[1]

Un vrai boulot de déminage, presque à chaque fois.

Mais aussi un petit moment de célébration quand ça a valu la peine.

Note

[1] Ce poids de l'injonction paradoxale dans notre vie d'enfants : on est pas supposé tenir compte de l'avis des autres mais "ma pauvre, tu es vraiment ridicule". Allez vous faire foutre, les fantômes.

mardi 22 octobre 2024

J'ai encore perdu mon crâne qui fume

Je sais, c'est futile, par rapport à certains autres de mes soucis, mais allez savoir sur quoi les choses vont se cristalliser.

Je viens de me souvenir pourquoi j'avais arrêté de porter badges et pins, il y a quelques décennies.

Le taux de perte est effarant.

J'ai dû changer de blouson en jean (alors que le précédent avait à peine douze ou treize ans, c'est un scandale), et sur le nouveau, je ne sais pas ce qu'il se passe mais les pins se détachent et, quand je m'en rends compte, la plupart du temps, il est trop tard.

Au registre des pertes douloureuses, il y a mon adoré crâne qui fume de Van Gogh. Je l'avais déjà perdu et une super chouette meuf sur Twitter m'en avait rapporté un du musée Van Gogh à Amsterdam, où elle allait justement.

J'adore ce pins. Je ne sais pas pourquoi lui plus qu'un autre, mais je l'adore et je suis triste de l'avoir perdu.

Dans une vie parfaite, il y aurait un amoureux formidable dans ma vie qui me dirait "viens, on saute dans le train, on passe le week-end à Amsterdam, on ira saluer Vincent et on rachètera ton pins, mon amour".

Je suis sûre que ce type existe, peut-être dans une réalité alternative. Mais dans ma vie à moi, celle d'où je vous écris, non (enfin à part Cro-Mi à qui je l'ai dit vous êtes les premiers au courant, mais même vous considérant informés, je crains que ça ne suffise pas).

Du coup j'ai retiré beaucoup de mes badges et pins. Il m'en reste juste assez pour que Lomalarchovitch me dise que sur trois, il y en avait deux sur lesquels le mot fuck était écrit. "Je ne suis pas une mère très polie, que veux-tu", lui ai-je répondu.

C'est con, ça me rend un peu triste alors que bon. C'est de la verroterie, ça n'est pas grave, c'est un détail.

Où vont se nicher la peine et la rage au bide, donc.

mardi 15 octobre 2024

Mon chat, (finalement) un génie.

J'ai deux chats dont Obiwan, un chat juif russe fils de psychanalyste, codépendant affectif, magnifique, il a la gueule d'Ewan McGregor jeune si Ewan McGregor avait été un chat, le poil long et doux. Et con. Vraiment très avancé dans la malcomprenance.

Rappelez-vous, il lui a fallu plusieurs semaines (mois ?) pour comprendre comment passer au travers d'une chatière qui fonctionne exactement comme sa litière de l'époque. Et maintenant qu'il sait, il s'indigne quand elle est fermée et tape sur la trappe à grands coups de patte rageurs. Bref, comme un mec.

Obiwan adore la nouvelle canne à pêche (pour chats) que j'ai rapportée de chez Leclerc l'autre jour. Contrairement à celle d'Ikea qu'il compisse de son mépris depuis des années.

Nous nous livrons donc à des parties de jeu effrénées, les chats et moi. Au bout de quelques minutes, Maïa se pose dans un coin pour nous regarder mais Obiwan est inlassable.

Or, je range cette canne à pêche dans une sorte de grand vide-poche posé sur ma tête de lit qui contient en général mon téléphone, une paire de lunettes non progressive qui ne craint rien pour lire allongée sur le côté, des télécommandes, mon PC, une liseuse, un bouquin en cours, une certaine quantité de câble, de la Ventoline, bref, la base.

Il a fallu quelques heures pour que le matou ne me grimpe sur la tronche en pleine nuit pour essayer de récupérer sa canne à pêche.

Pire, le lendemain, j'ai trouvé, après moins de trois minutes d'absence de la pièce, une partie du contenu du vide-poche réparti sur mon lit, dont la canne à pêche, hélas beaucoup moins marrante quand il n'y a personne pour l'agiter.

Quand il le veut, donc, mon chat est un génie (du mal) (du mâle ?).

Vivez avec un chat, vous ne vous ennuierez plus un jour de votre vie....

jeudi 10 octobre 2024

On pourrait ne jamais le voir

Je ne sais pas pourquoi j'aime tant regarder le ciel.

A vrai dire, je pourrais tenter une réponse simple ; j'aime le ciel parce qu'il est beau, de multiples façons.

Il est beau sans le faire exprès, il ne résulte d'aucune démarche artistique. Sa beauté est fortuite. Peut-être même forgée par l'aptitude humaine à regarder loin, peut-être que si nous étions une autre forme de vie consciente on en aurait rien à faire, de la beauté du ciel.

Sa beauté est gratuite ; si personne ne le regardait jamais, il serait quand même beau, parfois d'une manière dramatique et colorée, parfois plus discrète en nuances de gris, parfois d'un bleu implacable qui transperce l'âme.

Le matin, souvent, quand je monte sur le toit de l'immeuble prendre un café, je suis seule. Il y a des instants sublimes pendant lesquels que je suis absolument seule à voir de ce point de vue-là. C'est un cadeau vertigineux (non, je ne me penche pas dessus le rooftop) de se dire que, même si absolument aucun humain ne le voyait, aucune espèce de vie, il serait beau de la même façon, le ciel, pour rien, par essence, comme ça. Et que moi, bim, j'ai la chance d'être là.

Il y a sur mon téléphone des milliers de photos du ciel. Ici, ailleurs. La plupart ne me servent à rien, j'oublie quel jour, quelle saison, parfois quel lieu. Elle me servent à célébrer l'instant, assez humblement : il est presque impossible de faire une photo qui soit aussi belle que la réalité. Les couleurs sont trop spectaculaires, les nuances trop infinies pour nos capteurs, c'est à l'image de cette beauté sans objet ; la magnificence du ciel est impossible à capturer pleinement autrement que par nos yeux. Et encore, sans doute ne voient-ils pas tout.

En fait, elles ne servent pas qu'à encombrer des serveurs de stockage, elles servent aussi à dire bonjour, à ma mère, toujours, à un autre, souvent. A vous, ici ou sur les réseaux sociaux, parfois. Chaque fois, choisie pour son ou sa destinataire, sur des critères qui m'échappent complètement mais qui ne me laissent aucun doute au moment de l'envoi.

Dont acte.

Toits de paris le 10 octobre 2024

lundi 7 octobre 2024

Parfum bribes de tendresse

Je retrouve le plaisir de la cuisine, ces derniers temps.

Cette pièce a fait l'objet de tant de tensions au cours des années passées qu'elle était devenue un endroit où je mettais les pieds aussi peu que possible, constamment sale, mal rangée, impraticable, en tout cas dans les conditions dans lesquelles je m'y sens bien.

La semaine, c'est le "plat gagnant" un minimum d'efforts pour un maximum de plaisir à manger, qui a notre préférence, aux enfants et à moi. Ma pente naturelle cuisinière me porte vers l'élaboration de plats mijotés le week-end, que ce soit pour accueillir les copains (ma vie sociale de fin de semaine a repris avec vigueur et nous avons une invitée du mardi récurrente qu'il faut régaler) ou pour prévoir deux ou trois tournées dans la semaine.

Il faut imaginer la maison parfumée aux effluves de boeuf bourguignon ou de pot-au-feu qui mijote, l'odeur de la sauce aux champignons qui accompagnera riz et haricots verts du soir, on tire le meilleur parti de l'automne, de nos envies et de la nécessité à se nourrir. Voilà : une maison. Une maison c'est accueillant, ça sent bon le plat qui bloblotte sur le feu et on y trouvera toujours de quoi faire manger l'ami(e) de passage. Simplement, mais avec du goût.

Souvent, donc, le retour de marché du samedi est un moment d'épluchage, de taille de légume, de débuts de cuisson.

J'ai toujours aimé cette étape préparatoire, elle me vide la tête des soucis presque aussi sûrement qu'un kilomètre dans l'eau chlorée de la piscine. C'est un peu fastidieux, ça oblige à une légère concentration, mais sans non plus prendre toute la place.

Chez moi, c'est souvent l'occasion de saisir au passage les jolis souvenirs qui remontent à la surface. Cuisiner pour l'autre est un acte d'amour répandu dans ma famille, comme dans tant d'autres.

Ainsi, les girolles m'évoquent mon grand-père paternel, nos chasses aux champignons, la complicité qu'il y avait entre nous, la tendresse dont il m'entourait (et qu'il n'avais sans doute pas tellement témoignée à ses enfants). Le pot-au-feu me ramène immanquablement à une antique conversation avec N. L'équeutage des haricots ravive les séances de cuisine guidée par ma grand-mère paternelle. Ma blanquette est celle d'Emile Zola, un peu métissée à l'insu de son plein gré (un nombre très limité de personnes savent pourquoi mais c'est ainsi). Le gâteau au chocolat que je fais depuis 20 ans tellement il plaît et m'est réclamé évoque une ribambelle de sourires, de mines gourmandes, de gémissements de plaisir gustatif (oui), d'actes sournois pour s'assurer la dernière part dans un éclat de rire généralisé. La pasta, faite maison, me plonge dans les délices de mon enfance, l'odeur de la farine qui se mêle aux œufs m'est irrésistible et répond sans doute à des souvenirs très anciens, bien rangés. Le gâteau que j'ai fait hier pour aller chez des amis est issu d'un livre qui appelle souvent une conversation complice avec mon hôtesse dominicale, chaque revisite améliorée par ses soins ou les miens est une sorte de victoire qui nous lie contre le livre.

Ces bribes de tendresse qui me reviennent quand je cuisine parfument les ingrédients d'un arôme qu'on ne trouve nulle par ailleurs que dans le plaisir d'anticiper la gourmandise des autres, les expressions de plaisir[1], ceux pour qui j'aurais envie de faire à manger. De l'amour, encore, en somme.

Note

[1] Il m'arrive de foirer magistralement, rarement, mais spectaculairement. Ne m'en veuillez pas si ça tombe sur vous.