La vie et toutes ces sortes de choses

lundi 3 février 2025

Le mec qui voulait porter plainte

L'autre jour, j'étais en route pour la gare Montparnasse et comme j'avais un appareil photo dans mon sac, je me suis dit, hey, sortons-le. On verra bien si quelque chose se présente à mes yeux (mais dans les grands bâtiments comme ça, entre métal et verre et beaucoup de gens qui passent, c'est rare qu'il n'y ait rien).

Me voici en avance (comme d'hab) et errant un peu au hasard, entre le métro et la gare.

Un mec passe devant moi en poussant son vélo. Rien de spécial, mais habillé tout en noir avec un bonnet et une écharpe rouges, joli contraste. Et un vélo à la main. Si vous me connaissez vous savez que je mate les vélos encore plus que les messieurs, donc difficile de résister. Le type prend l'escalator, et là, de dos, le vélo à la main, ça marche, je déclenche.

Arrivé en haut de l'escalier mécanique, il se retourne, voit mon appareil photo. Je lui fais un grand sourire, un pouce levé de remerciement en lui disant "joli vélo" (en fait non, assez banal, mais l'ensemble marchait).

Le voilà à m'attendre en haut de l'escalator en commençant à m'engueuler.

Ca arrive, et dans ces cas j'efface directement (ce ne sont que des photos, même quand par miracle elles sont un peu réussies), devant la personne pour qu'elle soit rassurée, je m'excuse platement et on part chacun de notre côté.

Pas ce jour-là.

Le type a passé d'interminables minutes à me gueuler dessus que j'ai pas le droit, blablabla, qu'est-ce que je vais en faire d'abord (rien, dans l'absolu, et encore moins maintenant qu'elles n'existent plus). Il n'écoute ni mes excuses renouvelées ni le fait qu'elles sont supprimées. Il réclame mon nom pour porter plainte (va crever). Vas-y mec, comment tu vas expliquer que tu portes plainte pour des photos qui n'existent pas ? T'es pas supposé être là, ou quoi ? (me dis-je in petto car je me dis qu'il n'a pas l'air d'être prêt à taper, mais quand même.)

J'étais un peu coincée, physiquement, avec son vélo qui faisait barrière. Mais à un moment, j'en ai eu marre, j'ai trouvé une ouverture et me suis cassée. Et le voilà à m'emboiter le pas en me disant qu'il va trouver un flic dans la gare pour porter plainte.

Je lui réponds, donc, lasse de cette discussion qui n'en est pas une : "OK"

J'aurais dû commencer par là puisque, pris au dépourvu par mon calme olympien, il m'a secoué le doigt (heureusement, le doigt) sous le nez en me disant "que ça ne se reproduise plus" et est parti là où son destin l'appelait.

Du coup vous ne verrez jamais cette photo, c'est con, elle était un peu pas trop mal.

A la place, une dame dont j'ai bien aimé l'allure dans les couloirs du métro.

Edit du 6 mars 2025 : pour un point complet un ouvrage existe sur le sujet

dimanche 2 février 2025

Freewheelin'

Si, comme moi, vous avez grandi dans une maison où on écoute de la musique, vous savez qu'il y a la musique qu'on découvre tout au long de sa vie, et celle avec laquelle on a été fabriqués.

Il y a un paquet d'artistes, plutôt rock et pop anglaise côté maman, folk et blues côté papa, qui se sont mélangés à mon ADN. Pour résumer à l'essentiel (et pardon à tous ceux et toutes celles que je ne citerai pas dans ce billet, une autre fois, promis), je suis la fille des Beatles et de Bob Dylan [1].

Ca n'est donc même pas une question de j'aime ou j'aime pas. C'est une question de chaque cellule de moi qui reconnaît leur musique, l'intégrale pour les Beatles, surtout la trilogie folk pour l'autre. J'ai été chercher la suite toute seule. Bon, quand on sait l'influence de l'un sur les autres, puis les "échanges" mutuels entre les deux parties plus tard, pas de contresens majeur non plus.

Quand j'ai grandi, en plus de reconnaître instinctivement "le son" dès les premiers accords et de l'incapacité à savoir si ça pouvait être autrement que faire partie de moi, je me suis intéressée aux textes de Dylan.

Disons le clairement, ses trois premiers albums m'ont appris plus sur les mouvements contestataires dans les Etats-Unis des années 60 que n'importe quel cours d'histoire par la suite.

Il y a des gens qui n'aiment violemment pas Dylan et je crois que je comprends pourquoi. De toute façon je n'ai pas tellement besoin de validation pour aimer ce que que j'aime et ce que les autres n'aiment pas ne m'enlève rien. Disons que pour ceux dont je suis le plus proche, ça me fait doucement rigoler : s'ils m'aiment bien, moi, ils aiment alors ce qui, dans son boulot depuis 64 ans m'a amenée à être moi. J'espère qu'ils ne s'en sentiront pas outrés si jamais ils découvrent cette terrible vérité.

Dylan, il m'a aussi appris un goût de la liberté, une envie, que je n'exerce pas aussi bien que lui, de faire les choses selon nos propres termes. A se soustraire à certaines contraintes inutiles, dont, parfois, plaire. Etre là où on veut être et pas là où nous attend.

Voilà. Je ne suis pas une technicienne ou une érudite de l'œuvre de qui que ce soit, alors je ne vais pas vous dire si la famille folk a eu raison de le conspuer quand il a mis de l'électricité dans sa guitare, si l'accident de moto était la fin de sa "vraie" carrière où juste un accident comme on en vit tous dans nos vies. Je ne vais pas vous dire ce qu'il faut avoir écouté pour se faire un avis. Faites comme bon vous semble.

J'ai été voir "A complete unknown" hier, j'ai rarement vu plus belle déclaration d'amour. Probablement, tout ce qui s'est ou va se dire et s'écrire sur ce film va m'exaspérer, les chroniques et critiques, particulièrement en matière d'art, à de rarissimes exceptions près, me mettent facilement dans des états de colère avancée (et parlent rarement de l'œuvre dont ils parlent, si vous avez remarqué).

Donc, ce qu'en pensent "Le casque et l'enclume", comme dirait mon père, les Inrocks ou Télérama, je m'en cogne.

Moi j'ai été faire une visite de 2 heures 20 dans une branche de ma famille. Certains sont d'intergalactiques trous du cul, et dans le même souffle des gens essentiels à la musique des six dernières décennies. J'étais heureuse de retrouver Pete Seeger, Woodie Guthrie, Joan Baez, Johnny Cash... et bien sûr Bob Dylan. Je suis restée jusqu'à la fin du générique, pas par principe cinéphile (je fais, ou pas, selon le film et ma difficulté à en sortir), juste pour savourer la dernière note et leur présence jusqu'au dernier moment (j'ai été mind-blown quand j'ai découvert que Chalamet et Norton faisaient les parties musicales, incroyables performances.)

J'ai un souvenir très récent de Dylan. Que je n'ai jamais été voir en concert, parce que ce mec prend un malin plaisir à te la faire à l'envers et que je ne lui donnerai pas ce plaisir.

En novembre dernier j'étais dans les premiers rangs de la fosse de Bercy pour écouter Nick Cave et ses Bad Seeds. C'était une baffe majeure de mon existence, je ne suis pas sûre d'avoir totalement compris ce qui s'est passé. La charge émotionnelle était dantesque. Nick Cave fait partie de ces artistes "acquis" qui ont rejoint dans mon cœur ceux "innés". Je ne sais pas si vous êtes aussi sensibles à ce que peut vous faire l'art que moi, mais voilà, ce concert, il m'a ouvert une porte vers un bout de moi, un bout de l'univers, je ne sais pas comment expliquer mais c'était un des moments importants de ma vie.

Quelques jours après, alors qu'on peinait à se remettre, les 20 000 émerveillés, Dylan a twitté qu'il avait aimé le concert. L'idée qu'on (commun des mortels) ait appris sa présence en même temps que Nick Cave me fait rigoler à voix haute. C'est à la fois du trollage de génie et une sorte de délicatesse de ne pas aller dans les loges d'un groupe extenué par une longue tournée qui finit aussi magistralement sa dernière date (ne parlons pas d'âge, s'il vous plaît).

Visiblement, Nick Cave, ça lui a fait un truc.

Moi aussi. Avoir ressenti au même endroit, au même moment, la même grâce musicale, avoir expiré mes émotions en même temps que Nick et Bob (et quelques autres), c'est sans doute un peu midinette, ou bien cinglée bonne à enfermer, mais c'était comme un bonus en plus d'un cadeau magnifique.

Je finis ce billet en écoutant "I want you", sourire aux lèvres. J'ai souvent ce couplet en tête en ce moment. I want you / I want you / I want you so bad / Honey I want you.

(Aucun rapport apparent entre Bob Dylan et ce type dans la rue, juste, j'écoutais "Like a rolling stone" au moment où je la prenais et ça allait bien ensemble. Et oui, il m'arrive de me souvenir précisément quelle bande son allait avec un instant de ma vie, va falloir faire avec).

Note

[1] Belle performance.

dimanche 26 janvier 2025

Oui

En ce moment je dis majoritairement "oui" aux propositions qui surgissent, signe assez certain que, bon an, mal an, les choses ne vont pas trop mal.

C'est ainsi que sur un décision qui datait de quelques heures, j'ai retrouvé samedi quelqu'un qui est très important pour vous. Hein ? Pour nous ? vous exclamez vous de votre côté de l'écran. Oui. Il existe quelqu'un qui vous relie tous et que vous ne connaissez pas, aucun d'entre vous.

C'est celle que j'appelais ma "marraine de blog", il y a quelques années. Celle que j'ai lue un jour, puis deux, en y revenant sans cesse, au début des années 2000. Celle qui a fait le lien entre l'idée de blog et de "tiens, si moi aussi, j'essayais ?"

Pourquoi ? Nos vies étaient assez différentes, à l'époque, mais il y avait en elle comme en moi ce mélange de tourbillon d'émotions, d'incertitudes sur l'usage qu'on devait leur réserver, et un humour qui me fait toujours rire, 22 ans et quelques après.

Et, comme vous le savez, elle a changé ma vie. En écrivant sur internet, j'ai non seulement économisé une fortune en psys de tous genre, mais aussi trouvé à quelques clics des gens avec qui j'arrivais à fonctionner, avec qui on se disait "oh ! moi aussi". J'ai rencontré des gens, plein, dont un nombre certain fait toujours partie de ma tribu, certain(e)s de façon très rapprochée. Mes amis, ma famille d'élection.

C'est curieux parce qu'avec elle, on ne se connait finalement pas tant que ça et pourtant on est liées depuis presque la moitié de nos vies par ce fil. Alors oui, peut-être, si je ne l'avais pas croisée elle, l'envie serait venue autrement. Ou alors pas du tout et ma vie serait alors très différente d'aujourd'hui. Comme j'aime bien ma vie, quand je pense à elle, je pense "merci". Et j'aime penser qu'elle était la seule à pouvoir faire ça.

On s'est retrouvées après une longue absence et je lui dois encore un merci d'être venue me débusquer.

Et puis surtout, on a passé un bon moment (on est entrées dans un monde où quand tu achètes des livres, on t'en offre d'autres, ce qui est mon monde préféré entre tous ou presque).

Au moment où elle est repartie j'ai constaté que j'avais un message de ma "cousine" (pas du tout de mes cousines germaines qui crèveraient plutôt que de m'adresser la parole, et vu ce qu'elles ont dans la tête.... je leur retourne le compliment, non, donc, pas MA cousine, mais la femme du cousin de mon ex).

Une cousine pas cousine mais avec qui on s'entend bien et on a décidé de garder le titre quoi qu'il arrive. Elle était de passage à Paris, je n'en étais pas encore repartie, un coup de tête, un de ligne 4 - et deux déclarations (un hommage de style à une nonagénaire, et une de quasi amour à une femme splendide qui aurait presque pu me convaincre de m'intéresser de plus près à la grande cause lesbienne), nous voici dans un café à rattraper, là aussi, les dernières nouvelles.

Et c'est donc trempée par la pluie parisienne, puis banlieusarde que je suis rentrée chez moi, treize mille pas et plus de douze heures après en être sortie.

J'aime bien, quand la dernière minute vient mettre de la joie dans la vie.

vendredi 24 janvier 2025

Le cahier

J'ai retrouvé un cahier. Enfin il n'était pas perdu, j'avais juste complètement oublié son existence, bien que rangé au bas d'une étagère, à portée d'œil et de bras de mon bureau et de mon lit.

Ce matin je l'ai vu, vraiment vu, attrapé, ouvert.

Mandieu, mandieu quelle horreur.

En fait c'était comme un blog, mais dans un cahier. Ca évoquait notre quotidien d'étudiantes, Tante O et moi, j'y trouve mentionnés des gens dont je me souviens, d'autres pas du tout.

C'est tarte, misère.

Enfin, au moins, j'étais contente de dire au moi d'il y a trente ans que j'avais résolu la question de "celui avec qui on peut être soi".

Ne pas attendre de celui. S'en foutre, tant qu'on ne blesse pas, des avis des autres sur qui on est et vivre, point barre, comme on disait à l'époque.

Ah, aussi, j'avais une jolie graphie, quand j'écrivais beaucoup à la main.

Voilà, case closed. Pour le moment je l'ai planqué dans un coin, coming soon, la poubelle.

Est-ce que quand j'aurai 80 ans, si je les ai un jour, je regarderai mes vieux blogs avec le même mélange 1/4 attendrissement, 3/4 envie de me hurler dessus de fermer ma grande gueule ? (Probable) (C'est déjà le cas avec les billets d'il y a 20 ans). (Au secours).

mardi 21 janvier 2025

Dans la lumière

Je sors d'un tunnel joyeux et social. Mes parents, de passage à Paris, venus déjeuner deux fois, deux jours de suite. L'an dernier à la même époque, on avait peur de perdre ma mère, elle est bien chez nous, chez les vivants. Je ne saurais dire à quel point sa présence sur mon canapé me met en joie. Et puis 4 films de Lynch pendant le week-end, saisie d'une envie de saluer son départ comme ça[1].

De la cuisine, des rires, et puis plus tard une virée chez Ikea, un dîner avec des camarades de médecine de Cro-mi, joyeux aussi. Il faut dire qu'avec les ami(e)s de mon aîné, je suis chargée de raconter des horreurs à table, ce qui me réjouit hautement.

"Je n'ai pas débranché le câble pour ton imprimante, mon cœur, il fallait se mettre à genoux sous mon bureau et ça me rappelle de mauvaises heures de ma carrière". Genre.

Hier des hommes, des hommes, des hommes, celui du midi, les deux du soir, mon estomac m'indique qu'il est au bord du burn-out mais les moments ont été bons. Quand je pense que certains trouvent que je mène une vie calme.

Jusqu'à ce que je me retrouve sur le coup de 22h20 sur le quai de la 14 à Chatelet et qu'au moment où j'ai posé les pieds sur ledit quai, la mémoire me revienne. En semaine, la 14 s'arrête à 22 heures à cause détravo. Quels travaux, pourquoi encore ? Il semble que létravo soit un phénomène né avec les transports en commun et que personne ne comprenne exactement leur étendue ou durée.

Retraversée (à, ce que j'aimerais décrire "grand pas" mais qui dans la vérité de la vie doit être "ridiculement petits pas") de l'immense gare pour choper la 1 en vue d'attraper la 13. C'est plein de marches et long et mon genou hurle qu'il n'aime pas le froid, mais encouragée par les messages joyeux de mes camarades de soirée, j'avance, optimiste, résolue, confiante en mon destin.

(Interlude à lire ici).

Ca doit être une toile de fond de ma vie en ce moment. Foncer dans le tas avec confiance, menton levé, comme si le monde m'appartenait.

Note

[1] Toutefois, un conseil, ne regardez pas Eraserhead avant de dormir, ça donne des effets étranges. Oui, même si vous l'avez déjà vu. Plusieurs fois.