(Billet foutraque et décousu sans ligne particulière. On s'en fout). Vieillir, au stade où j'en suis, est une expérience formidable. D'abord, d'être dans un état global suffisant pour en arriver là. Ensuite parce que ce qui se joue à l'intérieur est tellement libérateur que je souhaite ça à tout le monde, se rencontrer, se regarder en face, se dire ok et arrêter de s'excuser d'exister.

Et c'est ainsi que j'ai passé la journée dans la piscine avec mes collègues pour démarrer juillet. Les seules choses qui me sont parvenues c'est "mais tu es un poisson dans l'eau, c'est kiffant de te voir aussi heureuse" et "canon ton maillot" (dont j'avais oublié la fâcheuse propension à ne pas tellement tenir du haut, mais lui et moi avons géré la situation avec le plus de dignité possible. Libérateur, donc, d’exister avec les mêmes droits que les autres à découvrir ma peau, un exercice qui a probablement mis mal à l'aise quelques uns d'entre vous ces derniers temps, mais c'est pour la bonne cause.

Un jeune homme filme Jim Jarmusch depuis le balcon de la Cigale

Ce jour-là, une collègue de longue date m'a engueulée et son engueulade était un cadeau. "Tu n'apprends rien, me dit-elle, tu vieillis mais tu n'apprends rien !" Je me suis donc enquise des raisons de cette certitude tranquillement assénée, il paraît que je lui avais survendu quelqu'un de l'équipe qui a été l'objet d'une lourde déconvenue pour elle. "Non, mais toi, tu vois le bien chez tout le monde mais à force, tu es déçue et tu souffres".

Pas faux. Mais bon. Je suis aussi beaucoup plus capable de m'en foutre qu'avant. Alors tant pis, continuons comme ça et n'apprenons pas.

Depuis l'un des balcons de la salle Pierre Boulez à la Philharmonie de Paris

Il y a quelques mois j'ai vu que Nick Cave serait présent deux soirs de cet été à la Philharmonie de Paris. J'ai passé 25 minutes dans une file d'attente et acheté une place pour dimanche dernier. Et puis, dans les deux heures qui ont suivi, j'ai reçu en cadeau de copains une place pour samedi.

Encore un peu après j'ai vu que Jim Jarmusch (ouiiii celui qui fait des films !) jouait sur scène avec son pote joueur de luth électrique, et j'ai dit banco parce qu'ils ont fait ensemble la musique de Only lovers left alive, un film que j'adore dont la musique m'envoûte.

Une femme prend la scène de la CIgale en photo

Et puis j'ai vu que j'avais des concerts trois soirs de suite. La vie est courte, profitons.

J'ai fait un truc que je n'aurais fait il y a quelques années : j'ai pris des vacances pour moi. Avant, chacun de mes moments de congé devait être dédié à mes enfants. Là, non, je voulais me poser, faire des siestes à des heures improbables, prendre du temps pour faire des choses que j'aime. Un luxe incroyable dans une vie de parent.

Alors voilà, j'ai passé le week-end avec Nick Cave. Je suis passée de "centrist" à "balcony girl", ce qui ne fera rire que ceux qui étaient là. C'était beau, et puissant. J'en parlerai, je pense, un peu plus avant dans un billet que j'ai en tête pour le couvent, ce type est essentiel à la survie des âmes, voilà l'essentiel (et pourquoi Colin Greenwood, qui a quand même joué sur quelques scènes à dimensions incroyables dans sa vie, a-t-il toujours l'air de sortir d'un épisode de Mister Bean et d'avoir atterri devant nous on ne sait pas trop comment ? Ce mystère me fera rire ma vie entière, je pense).

Nick Cave et Colin Greenwood sur la scène de la Philharmonie de Paris.

Lundi j'ai lu et glandé et dormi puis je suis allée voir "L'accident de piano" avant d'aller à la Cigale. Gens, sachez que j'ai été dans la même pièce que Jim Jarmusch. Ca fait un truc. Et c'est drôle de le voir un peu pataud, en tout cas pas habitué, sur scène ; c'est vrai que ça n'est pas son "vrai" métier.

Je crains que tout le monde n'ait pas aimé cet improbable moment d'expérimentation musicale, j'inclus dedans la première partie (un morceau, 35 minutes). Moi ? J'ai volé bien haut. Et papoté avec mon jeune voisin de concert, qui avait l'air de voir flou d'avoir une conversation sur l'art et le sens de la vie avec une daronne à pins et DocMartens. Il m'a demandé ce que je faisais de mes photos, après, "rien", lui ai-je répondu, "c'est pour l'exercice de l'œil"

Un spectateur attentif à la Cigale

La photo, c'est dessiner avec la lumière et le temps, disait... qui ? Un de mes photographes de référence ? Ou Wim Wenders ? Je ne sais plus. Un mec qui s'y connaissait. Bon, l'absence de lumière avec le matériel et les conditions dont je disposais, c'était plus de la contrainte artistique, c'était un pari foutu d'avance, mais j'ai aimé ce que j'ai vu, ça en laisse une trace infime.

Jozef van Wissem au luth électrique et Jim Jarmusch à la guitare sur scène à la Cigale

Hier glande, siestes et lecture, puis ciné avec Cro-Mi qui m'a traîné voire une merde sans nom un film que je n'ai pas aimé (oui mais avec Pedro Pascal - je ne comprends toujours pas à l'issue du film pourquoi, à part qu'il paraît qu'il serait vaguement un mec bien, jusqu'à preuve du contraire, il émouvait tant les meufs et les mecs trans). Retour progressif à la vie, puis au bureau. Tiens, on vide d'une partie de son sens un de mes projets. Oui. Bon.

Encore suffisamment planante de ce qui donne vraiment du sens à ma vie pour en être plus triste que nécessaire. On verra.

Je racontais hier à Cro-Mi ma rencontre avec le jeune fan de Jarmusch. En lui disant : quand je commence à faire la vieille qui fait comme si elle était jeune, dis moi, hein. Et sa réponse était tellement chouette. Il m'a dit : "Non mais toi, on voit que tu kiffes ce que tu vis et ça fait de la lumière partout autour".

Mon ombre le matin quand je prends mon café en regardant les toits de Paris

J'aime comme la vie cet enfant terriblement chiant mais qui a appris à me flatter exactement comme il faut. Non, je rigole. Il n'a pas été le seul, à dire des mots perçants de justesse et de beauté. Des mots qui me disent qu'il n'y a, au fond, pas d'autre solution que d'être soi, jusqu'au bout des fibres.

Ca m'a pris du temps, si vous saviez. Et oui, c'est maintenant : fini de s'excuser d'exister, si je vous gêne, il y 8 milliards d'autres humains à fréquenter, basta. Il est des chemins pour lesquels on ne peut pas prendre de raccourcis, mais qui sonnent tellement juste quand on a choisi l'embranchement qui nous va.

Edit

J'ai repensé à ce poème de William Carlos Williams en écrivant ce billet. Il y a un lien qui ne sera peut-être pas évident pour tout le monde ; Jim Jarmusch lui rend hommage merveilleux dans son très beau film Paterson. Ca date d'il y a presque 100 ans et ça n'a pas pris une ride (comme moi) :

Le vent forcit


La terre harcelée
est balayée
Les arbres
les crêtes brillantes des
tulipes

se dérobent et
tressautent –

Lâche les rênes
à ton amour

Souffle !

Bon Dieu, qu’est-ce
qu’un poète – si cela existe ?
un homme
dont les mots
mordent
droit
au but – bien réels

pétris
de mouvement

Au bout de chaque rameau

neuf

sur le corps
torturé de la pensée
agrippée
au sol

un chemin
jusqu’au bout de la dernière feuille

Commentaires

1. Le mercredi 9 juillet 2025, 17:58 par Anna

Suis-je en train de verser une larmichette, beaucoup par bonheur pour toi et un peu par envie aussi ? Oui.

2. Le mercredi 9 juillet 2025, 18:22 par Sylvie

C’est beau ! Je nage avec toi dans la piscine <3

3. Le mercredi 9 juillet 2025, 18:49 par Sacrip'Anne

Anna Merci et je te souhaite ça sur ta route. C'est puissant. Violent parfois, bouleversant souvent, mais une force immense.

Sylvie tu es l'une de mes inspirations "vivre sa meilleure vie" ma belle. Je t'embrasse, à bientôt !!

4. Le samedi 12 juillet 2025, 00:54 par Tomek

Piscine + concerts : un combo parfait pour moi ! 😎
(Mais Colin ou Jonny, ils sont un peu pareil sur ce point-là j'ai l'impression, non ?)

Le coup du "Non mais toi, on voit que tu kiffes ce que tu vis et ça fait de la lumière partout autour", est-ce vraiment de la flatterie ? J'ai comme l'impression que non. C'est bon de te voir kiffer.

5. Le samedi 12 juillet 2025, 06:41 par Sacrip'Anne

Tomek on n'est pas copains pour rien ! Jonny, sait-on, sempiternellement caché derrière son rideau de cheveux ? 🤣

Non ça n'était pas ma flatterie, c'est juste ma pudeur à recevoir qui met un filtre d'humour pour ne pas pleurer. Merci !

Ajouter un commentaire

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : https://sacripanne.net/trackback/2977