La vie et toutes ces sortes de choses

mardi 8 août 2023

S'il y a une chose que vous devez savoir sur ma conception du bonheur

Contrairement à ce que beaucoup pensent, la Méditerranée n'est pas une fille facile qui vous accueille à bras ouverts sans la moindre question. Fille du Sud, elle est aussi chaleureuse que colérique, aussi belle qu'imprévisible. Ne pas écouter ses humeurs est toujours une grave erreur.

C'est munie de cette sagesse ancestrale que j'ai patiemment attendu trois jours et demi (autant dire une éternité) que le Mistral tombe et que le soleil la réchauffe - un peu.

Ce matin, nous y voilà et à peine arrivée sur le sable, à l'endroit où la mer s'abat et se retire, une méduse. Puis une autre et une autre. Tous les deux pas, des méduses échouées. Et dans l'eau des dizaines de méduses pas du tout échouées et pleines de filaments hautement brûlants.

Autant dire que ma frustration est grande.

S'il y a une chose que vous devez savoir sur ma conception du bonheur, c'est que cette plage en fait partie. Les caresses du soleil tôt le matin et du vent sur la peau. L'entrée dans la Méditerranée, où je ne suis plus qu'une peau au contact de l'eau salée, libre, le flux des pensées calé sur le mouvement des vagues. Les joies qui se diffusent et les peines qui se dissolvent, pour rejoindre celles de milliers d'humains et de générations avant moi.

Ces étés de tablées familiales, à se nourrir de fruits et de légumes gorgés de soleil, de centaines de livres dévorées pendant les siestes à l'abri de la morsure du soleil, bercées par le chant des cigales. D'heures passées à regarder le vent circuler dans la cimes des pins parasols.

Les pieds sales du premier au dernier jour à force de marcher pieds nus dans le jardin aride et sablonneux, les extractions d'épine d'oursins à plat ventre sur la table de la terrasse, toujours flanquée d'un chien au moins, longtemps en mission pour ré apprivoiser une paire de chattes blanches efflanquées et retournées à l'état quasi sauvage.

Bref. qu'on me rende ma plage, c'est urgent.

vendredi 28 juillet 2023

20 ans

Pour tout vous dire, j'ai caressé (en riant) l'idée de demander à une AI de se comporter comme une blogueuse de l'ère péri LLM (mais tout le monde a oublié qui c'était sauf moi qui me complait à me rappeler à l'occasion comme j'aime le détester), et d'écrire un billet pour marquer mes 20 ans de blogs.

Mais j'aime trop fabriquer moi-même mes propres conneries pour ça.

Me voilà donc.

A une date aléatoirement choisie - un jour où j'ai un peu de temps - car, avouons-le tout de go : j'ai oublié le jour d'ouverture de mon premier blog. C'était l'été 2003 et tu ressemblais à une aquarelle de Marie Laurencin probablement en juillet. J'avais découvert le phénomène quelques mois plus tôt et j'ai eu envie de voir ce que je pourrais bien en faire (comprendre : quelles conneries je pourrais bien inventer).

Une drogue dure, 20 ans que ça dure, donc, à un pouillème près, et même si j'ai perdu depuis bien longtemps le rythme quotidien, voire mensuel, je suis toujours là.

20 ans d'une ligne éditorial erratique où l'on trouvera des œuvres d'art sur les mouche-bébés, les dispositifs pour se rincer le cul aux toilettes et le durian. J'en passe quelques centaines à l'intérêt général variable mais que je parcours parfois avec nostalgie. Ou consternation. Ou les deux.

20 ans et trois blogs successifs, le premier sur une plate-forme disparue maintenant, le second déjà "chez moi" grâce à Dotclear et celui-ci, symbolique de changement de vie et de pseudo. Et oui, je sais que certain(e)s d'entre vous m'appellent encore par l'ancien et c'est signe que ça fait longtemps qu'on s'aime alors tout va bien.

20 ans et beaucoup de rires, des amitiés qui durent depuis (Junko, Chris Mallory depuis le tout début, mes sorcières Samantdi, Kozlika et Tellinestory pas loin derrière, tous ceux et celles qui sont arrivé(e)s par la suite. Des qui ont disparu, aussi, quelques uns avec qui on s'est fâchés. Pas tant.

Et ma vie en quelques centaines de billets, de la presque trentenaire sans enfants à la daronne pas loin de quinqua à tribu compliquée.

Avant que Moukmouk, avec qui l'histoire dure depuis longtemps aussi, ne se mette à râler, non, je n'ai toujours pas écrit de roman. (Son commentaire principal à chaque fois qu'il commente un billet). Grâce aux blogs, aux jeux et aux copains j'ai juste un vieux russe fou comme colocataire dans ma tête depuis quelques années, mais il refuse de sortir.

Et toujours au coeur de ce que j'aime le plus dans ma vie, ce blog, à savoir jouer avec les mots et de se faire des copains, des amis.

Je vous aime si fort d'être entrés dans ma vie par ce blog et d'être restés. J'ai longtemps été la fille bizarre qui lisait beaucoup et n'avait pas tellement de copains parce que... elle est bizarre. Et doucement je guéris de ça parce que vous, notamment. Merci. Même si on me rappelle que je ne guéris pas d'être bizarre, hein. Juste je me sens moins seule de savoir que vous l'êtes à votre jolie façon à vous aussi.

Zou, je vous fais le bisou, qu'on ne va pas se mettre à pleurer le vendredi matin, quand même. Et on se parle vite. Ici ou ailleurs. (Et je n'aime toujours pas me relire donc corrections de coquilles à mesure qu'elles me tomberont sous l'oeil).

mercredi 26 juillet 2023

L'art délicat de la conversation

A force de s'asséner chacun nos vérités dans un nombre plus ou moins limité de caractères, de vouloir dire vite et fort, est-ce qu'on sait encore ce que c'est qu'une conversation ?

Vous savez, ce moment qui se passe avec une ou plusieurs personnes, qui ne pensent pas exactement la même chose que nous. Si si, je vous jure. Parfois c'en est même drôle, ou ça donne des occasions d'en rire. D'ailleurs qui pense EXACTEMENT comme nous, en fait ? Personne, il me semble, c'est toute l'idée de la singularité.

Bref, un échange qui n'est pas fondé sur le besoin de convaincre ou de gagner à tout prix, d'avoir raison mais de partager des points de vues, des idées, des éclairages.

C'est écouter l'autre et ce qu'il a à dire. Rebondir. Mais aussi laisser infuser, donner du temps aux idées de se connecter, d'en créer de nouvelles, de se faire grandir mutuellement.

J'avais oublié comme ça peut être épuisant, une conversation. Emotionnellement, intellectuellement. Parce que ça peut être sans complaisance, et qu'il faut accepter de reformuler, préciser, affiner. Quand je dis "sans complaisance", il n'est pas question de nuire à l'autre mais de ne pas le laisser glisser dans le confort d'idées reçues ou de formules faciles.

C'est aussi sortir d'une envie de convaincre absolument, se laisser de l'espace pour jouer avec des idées, ne pas s'oublier soi, qui on est. Se forcer à creuser. Trouver un juste équilibre aussi entre laisser de la place à ce que dit l'autre, la réponse immédiate et ce qui en sortira plus tard.

Bref, hier j'ai eu une longue conversation. Du genre qui vient mettre le doigt sur les zones qu'on aimerait mieux laisser sous le tapis. Qui m'a remise en face d'une question assez centrale. Ca secoue, un peu. Beaucoup. Mais c'était riche et profond. Et je ne crois pas que sur ce sujet-là, j'en aie jamais eu de plus utile.

Ca m'a coûté quelques heures de sommeil[1] mais des idées ont surgi des mots. Des bébés idées qu'il faut faire grandir, enrichir.

De ces tous ces mots échangés je suis sorti épuisée, remuée, mais je crois que j'ai retrouvé un bout de moi que j'avais dû, pour nécessité de survie de ma santé mentale, museler un peu. C'était bien. C'était le bon moment.

Note

[1] aucun rapport avec les verres présents sur la table PENDANT

mercredi 19 juillet 2023

Mon guide ultime pour lire "Ulysse" de James Joyce

Ce titre est un pur mensonge. Une putacliquerie de haut vol. Une escroquerie majeure. Chacun lit bien ce qu'il veut quand il veut et comme il veut. Mais comme ça m'a fait rire d'élaborer cette stratégie de lecture, autant partager (et merci Thierry pour le feu aux poudres de l'élan pour écrire le billet !)

Or donc il y a quelques mois j'écoutais avec intérêt parler de la traduction en français d'Ulysse, de James Joyce.

A ma grande honte, j'étais à cette époque (février dernier, donc) arrivée sur cette pente descendante qui mène avec brutalité à la cinquantaine sans l'avoir ouvert. Et ça prétend aimer les histoires. Et avoir fait des études de lettres. Imposteresse, va ![1]

Alors j'ai tourné un peu autour de l'idée. Lu un peu "autour" de l’œuvre. Attrapé les mots "flux de pensée". Ça m'a bien plu, ça, moi qui suis strictement incapable d'arrêter les miennes.

Et puis mon bureau a déménagé et j'ai commencé à prendre les transports en commun. Quel régal ! (non je ne plaisante pas. Quiconque a trois enfants et récupéré une grosse demi heure de lecture par jour "sur site" saura à quel point c'était une bonne nouvelle !). J'ai donc fait l'acquisition d'une toute petite liseuse qui tient dans la petite poche de mon sac à dos, et j'y ai mis le long roman.

Vous pourrez bien débattre des vertus du papier contre l'électronique, moi, j'aime les deux. Mais pouvoir lire 1 600 ou 1 700 pages sans se faire une tendinite ou blesser son voisin de ligne 13, ça présente des avantages certains. Et surtout : c'est pas décourageant de se dire "il me reste tout ça !"[2]

Lecture dédiée aux transports en commun, donc. Incluant les transports en commun de longue distance : j'ai emmené Bloom à Marseille en TGV. Il a bien aimé, je pense. Parce que ça déambule sérieusement, dans Ulysse. Donc si moi aussi j'étais en mouvement en lisant, c'était logique, non ? [3]

Dernière règle de lecture : puisqu'on est dans le flux de pensée, on avance. Si je m'emmerde ? Je continue. Si j'ai loupé un bout ? Pas grave, on avance. Ce n'est pas le genre de roman pour lequel, si vous loupez une phrase, vous risquez de ne pas comprendre qui a tué le Colonel Moutarde avec le chandelier dans la cuisine. Et si vous êtes comme moi vous le refermerez en ayant principalement l'envie de le recommencer. Donc pas de problème.

Et donc j'ai lu. Je l'ai emporté avec moi, dans le Var, à Marseille, dans le 9e (de Paris), un peu dans le 15e et le 10e (toujours de Paris) aussi. On a passé deux mois ensemble. Je m'étais interdit de lire hors des moments de transport juste pour le plaisir de me frustrer un peu et d'avoir encore plus hâte de le reprendre. Quand je vous dis que je ne suis pas une lectrice très sérieuse, ni érudite.

J'ai loupé deux fois ma station de métro. Eclaté de rire plusieurs fois dans un bus ou un train ("le ciel incertain comme un derrière d'enfant", ça va me durer jusqu'à mon dernier souffle, je la recase dès que je peux). J'avais peur un peu, de la dernière partie, je l'ai adorée.

Et quand je l'ai fermé, Molly et Leo ont continué à flotter autour de moi. Je pense à eux, souvent. Je ne comprends pas pourquoi tant de gens s'en font une montagne, qualifient ce bouquin d'illisible. C'est juste la vie qui grouille et les humains, tels qu'ils sont, absolument imparfaits. Et vivants.

Je me dis parfois qu'il faudrait que je relise l'autre, Ulysse, pour mieux avoir les clins d'yeux en tête. Mais je trouve que c'est un récit fait pour être raconté, et pas lu, alors je renâcle. Et que je potasse un peu mon histoire de l'Irlande. Mieux choper certaines choses. Mais tout ça n'a pas été nécessaire à passer un formidable moment.

Du coup mon vrai conseil de lecture, si vous en voulez un : arrêtez de prendre les histoires au sérieux. Prenez les au vol, surtout, et laissez-vous embarquer, laissez votre cœur battre.

(et si vous n'en voulez pas ne lisez pas la phrase au-dessus).

Notes

[1] J'invente des mots si je veux.

[2] d'ailleurs c'était un préjugé qui s'est retourné contre moi. Sur la fin j'ai ralenti tant que j'ai pu tellement je n'avais pas envie que ça s'arrête.

[3] Oui, je suis un peu folle, mais une fois la phase d'adaptation passée c'est généralement la raison pour laquelle les gens m'aiment.

samedi 24 juin 2023

L'invasion bourgeoise est en route

Je vis depuis 18 ans dans un quartier populaire de Colombes. Pas celui qui est tristement célèbre pour ses règlements de comptes entre dealers, celui tout à l'opposé.

Il y règne une atmosphère détendue et familiale. La foule y est multicolore, multiconfessionnelle (on m'a même dit qu'on y trouve une famille pastafariste !) Et nous avons parfois, souvent, fait partie des "derniers servis" en termes de travaux et aménagements au détriment des quartiers bourgeois à habitants mieux payés.

J'y mets régulièrement 30 minutes pour faire 200 mètres, à force de croiser voisins ou inconnus avec qui on fait les bazarettes[1] et c'est l'une des choses que je préfère, dans mon quartier. Ce côté "tout le monde parle avec tout le monde". Les immeubles y sont globalement assez laids, la vue, moyenne, la vie commerçante limitée mais on a une énorme médiathèque (dorée) (si je vous jure), une troupe de théâtre de rue et un établissement musical difficile à définir qui garantissent une animation régulière.

Mon quartier s.png, juin 2023
Mon quartier à Colombes

Mes enfants vont tous dans les établissements publics du quartier. Le petit dernier, seul blond aux yeux bleus de sa fratrie, fait très visage pâle à côté de beaucoup de ses copains de classe. Les enseignants sont très souvent militants, surimpliqués et très fiers de leurs mômes de banlieue. Faut dire, à voir les bulletins scolaires de mon aîné, ils peuvent !

Ne nous leurrons pas. On est blancs et même si chez les "riches", on est dans les plus pauvres, pour les revenus moyens du quartier on est dans les grands bourgeois. Pour autant, les VRAIS bourgeois, dans ma ville, ils habitent d'anciens pavillons ouvriers agrandis et aménagés classieusement, avec des jardins. Voire des maisons en meulière. Bref, ils ne viennent pas s'entasser à 5 humains, 2 chats, 1 chien dans 78 m². On est à cheval entre deux classes. On a pas les moyens des grandes maisons et des jardins. Et les codes bourgeois nous font un peu chier, on s'y sent bien, nous, dans notre quartier, j'y ai de jolies relations avec quelques autres mamans d'élèves, notamment. Bref, on l'aime comme il est. Surtout avec le petit coup de ravalement qui sévit ses dernières années. On a perdu un peu en végétalisation foutraque, mais gagné en pimpant.

Fait important, mon quartier, il attend son tramway. On en parle depuis que j'ai emménagé et il ne sera pas là avant quelques années encore, mais il est sur le chemin, si j'ose dire, alors que ses rails ne sont pas encore dans nos rues. Il aura juste mis 25 ans, en somme. Le "tramvé" [2], il va sacrément désenclaver le coin. C'est le symbole des espoirs de gentrification qu'entretiennent les promoteurs immobiliers depuis presque deux décennies.

On a un Leclerc à quelques pas de la maison qui nous sert d'épicerie du coin de la rue. Il est question de son déménagement depuis une petite décennie, pour aller dans un nouveau quartier en construction. En attendant il est toujours là, un peu décrépi, résolument moche. Pas cher. On y croise les habitants du quartier, souvent en train de compter les centimes pour boucler les courses de la semaine.

Et là ça fait deux semaines que je prends mon bon vieux Leclerc de quartier populaire en flagrant délit d'embourgeoisement. Des petites dames habillées de coton, accompagnées de gamines à tote-bag de chez Sézane, des jupes longues en jean avec la petite blouse bleue bien sage et bien coupée. Moins de wax, plus de carreaux et de rayures. Des blonds. Aux yeux bleus. Qui piaillent dans les allées façon "Oui Célestine, prends deux sprays dégraissants, la maison est dans un état la-men-table".

Bref, le grand remplacement bourgeois est en route. Je suppose qu'il en est pour se frotter les mains. Moi, moyen. Ils m'agacent un peu. Je devrais me réjouir, la réputation des écoles va y gagner, on aura plus de sous pour les familles qui en ont besoin, peut-être. Mais en fait je crains pour les familles les plus précaires. J'espère qu'il ne sera pas question de les pousser dehors pour faire de la place aux nouveaux. Du coup j'arpente les allées maugréant sur le grand remplacement bourgeois en cours, en y achetant du PQ bio. Enfin vous voyez le genre. C'est pas facile d'avoir le cul entre deux chaises, vous savez ?

Notes

[1] bavardes, à Marseille

[2] Mon aîné vous dirait que j'attrape l'accent Marseillais, à force d'avoir envie d'y vivre