Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

samedi 27 avril 2024

L'énergie à croum

Dans la grande famille des maladies chroniques, il y en a des plus chiantes que d'autres. J'ai du bol, la mienne s'oublie plutôt bien quand tout est calé. Quand elle se rappelle à moi, je fais moins la maline, mais 90 % du temps on se fout la paix, modulo un pauvre comprimé quotidien pour le reste de mes jours et les contrôles à faire, un peu contraignants mais pas au point de s'en bouffer la vie.

Depuis quelques mois, elle est en mode attention whore.

Depuis quelques mois, je vis donc sur une énergie que je ne possède pas. Je me fournis, à crédit, un peu dans la rage de vivre, un peu dans un entêtement (futile ?) à fabriquer autre chose que du noir.

D'ailleurs ça fonctionne, globalement. Je revois des couleurs au fil des bulletins de santé insolents, des rires, des amis, des moments qui font du bien, passés ou à venir.

Le problème du crédit, c'est toujours les intérêts. Il n'y a pas grand chose de gratuit en ce bas monde.

Chez moi les intérêts ça se paye avec un système immunitaire qui a décidé de jouer au contrôleur de gestion. On dirait que pour me forcer à récupérer un peu, il a vendu son âme au premier virus qui passe, roulé des pelles[1] à toutes les jolies petites bactéries sexy qui se trémoussent sur son chemin.

Il y a dix jours je me suis retrouvée clouée au lit par la crève que tout le monde se traine. 24 heures sous la couette. Là, je recommence (chats à l'appui, ils me veillent comme si mon trépas était prévu pour dans 12 minutes) à cause du tacos de retour de Cro-Mi. J'en avais même pas envie, de ce tacos, en plus, j'en ai pris un petit, des crudités avec parce que c'était plutôt ça dont j'avais faim, et j'étais pas arrivée à la dernière bouchée que je SAVAIS que ça allait mal tourner.

Il faut prendre les choses avec humilité. Si jamais, quand vous exultez de vous sentir en vie, vous êtes pris d'un léger sentiment de surpuissance, ces moments, en plus de vous forcer enfin à vous (re)poser quelques heures, vous mettent une petite claque derrière la tête pour vous rappeler votre triste condition humaine.

Il faut prendre les choses avec humour [2], mais aussi avec rationalité. Oui c'est inconfortable, très. Mais pas mortel.

Alors je lis dix pages, je dors trente minutes, je me réveille et tente, face à une vague douloureuse, de chercher à savoir si ça fait assez mal pour valoir la peine de me lever et me faire un Smecta de l'enfer ou pas. (Oui, j'ai fini par craquer). On recommence le cycle jusqu'à l'heure de dormir plusieurs heures d'un coup. Ou disparition des symptômes.

On médite sur le fait qu'on réfléchira à prendre un rythme plus serein, peut-être, mais pas la semaine prochaine qui est bien chargée, ni celle d'après.

On pense à ce qui fait du bien, on se laisse traverser, on paie gentiment les intérêts. Et dès qu'on peut on bondit sur ses pieds pour aller d'un pas (lent mais) déterminé vers la prochaine aventure.

Notes

[1] Réjouissons-nous, au moins l'un de nous deux embrasse quelque chose

[2] Enfin peut-être pas quand le coloc vient ouvrir la porte en grand sur votre corps à moitié nu pour vous dire que c'est l'heure de manger, sans frapper, alors que vous avez déjà signifié que vous êtes malade, que vous voulez qu'on vous foute la paix et que la moindre mention de bouffe vous envoie un spasme abdominal assorti d'un début de nausée. Là vous avez le droit de grogner, en tout cas je l'ai pris.

lundi 22 avril 2024

Dans le nichoir

J'ai été très marquée, ado, par la lecture d'un livre de Marie Cardinal, "La clé sur la porte". Il s'agissait d'une famille (enfin il me semble que le père était très absent) des années 70, avec une nichée d'enfants à eux plus ceux d'autour, voisins, copains, copains de copains, copains de voisins etc, qui avaient accès permanent à leur maison.

Je pense qu'il y avait un projet "politique" autour de cette clé sur la porte, mais surtout une femme qui daronnait à elle seule une improbable quantité d'enfants dont, finalement, l'immense majorité n'était que de passage. J'ai le vague souvenir qu'elle craquait un peu, sur la fin, mais cet esprit d'ouverture, d'accueil, de discussions avec des ados / jeunes adultes en tant que personnes à part entière m'a accompagnée depuis[1].

Il faut dire que mes parents n'étaient pas complètement étrangers à cette notion. Nos camarades étaient toujours bienvenus à la maison, le dégainage d'un couvert ou deux de plus très facile. Et si ça ne s'est jamais joué par douzaines, mon amie de fac a vécu chez nous, du lundi au vendredi, pendant presque toute la durée de notre première année.

Dans un grand élan d'échanges intergénérationnels, on était copains avec un certains nombres de leurs copains (dont certains venaient aux fêtes que j'organisais dès qu'ils tournaient le dos, dans la plus parfaite des discrétions, en tout cas c'est ce que raconte l'histoire officielle). C'est bien, je trouve, que les mômes aient d'autres adultes que leurs parents ou la famille, dans la vie[2].

C'est donc avec beaucoup de fierté et le poids de cet héritage, mi génétique, mi littéraire, que je porte la couronne de daronne préférée des potes de Cro-Mi. Chez nous aussi, ça défile, ça papote, on rit, on débat, on refait le monde. Les bébés queers savent qu'ils trouveront toujours un asile à ma table et sous mon toit. Et s'ils ne le savent pas, je fais passer le message. Même si tout ceci contient une part de flatterie de la part des "petits" et d'égo surdimensionné du mien, je suis bien dans cette posture (et honnêtement, le monde manque cruellement de mères qui se font des maquillages bigarrés pour un oui ou un non et écrivent des mails salés au proviseur au nom du respect dû aux élèves).

Cro-Mi est parti hier en Irlande avec quelques autres lycéens. Qui me saluent par l'intermédiaire de mon enfant, à l'occasion de nouvelles reçues cet après-midi.

"Salut les licornes. Ne faites rien que je ne ferais pas, ça vous laisse quand même de la marge" fût ma réponse.

Cro-Mi m'indique alors que parmi les consignes, on leur a interdit de danser sur les tables des pubs alentours avec deux grammes d'alcool dans le sang.

"Mais j'avais pas deux grammes et qui lui a dit, à ton prof, d'abord ???"

Message vocal récoltant l'hilarité de la troupe.

C'est facile, c'est cheap, mais ça me remplit de joie, de les faire rire. Ca me remplit de fierté de n'avoir jamais perdu ce lien privilégié avec mon aîné.

Je me demande si j'aurai autant de succès avec mes petits-enfants. Mais bon, avec l'hérédité et l'entraînement que j'ai commencé très tôt, je pense que j'ai un bon potentiel de vieille dame indigne. Soyons optimistes.

Notes

[1] Prise de nostalgie je l'ai racheté mais ne suis pas complètement sûre d'avoir envie de le relire. Comment ce livre aura-t-il vieilli avec moi ?

[2] Etant entendu qu'il s'agit de personnes fréquentables à tous points de vue.

mardi 16 avril 2024

Savoir gérer ses priorités

J'ai commencé un livre, le pauvre, ça fait quatre fois que je m'arrête pour en commencer un autre qui m'est plus prioritaire (comprendre : j'ai carrément envie de le prendre là, maintenant, tout de suite et si tout va bien, ne plus le lâcher jusqu'à la dernière page).

Et pourtant je n'ose pas avoir avec lui LA grande conversation. Qu'on ira pas plus loin, lui et moi. Pour d'improbables raisons dont presque aucune n'a de lien avec notre relation d'histoire / lectrice.

Il attend, donc, sans doute un peu agacé, ou peut-être anxieux. Je le regarde du coin de l'œil, coupable mais incapable d'être responsable de son désamour. Bref. C'est compliqué.

A sa place, je lis un livre qu'aime une personne qui m'est importante[1].

C'est toujours bizarre de lire un livre aimé par une personne qu'on aime, parce qu'au delà de la légère angoisse ("et si moi, je n'aime pas, qu'est-ce que ça dit de notre relation ?"), on y cherche des traces de l'autre, un peu. Ou alors c'est moi ? Je suis complètement folle, c'est ça ?

Et là, il se trouve que dans ce livre, j'ai trouvé quelque chose qui m'est important et que je n'ai lu/vu/entendu que très rarement par ailleurs, dans la vie et le vaste monde, y compris dans la fiction. Tout soudain, je me sens personnage de roman ! Non, pas vraiment, mais ça me fait sourire de savoir qu'il y a ça entre nous. (Je suis probablement la seule de nous trois, l'autre, le roman, moi, à avoir noté ce détail. Mais il est des secrets qu'on a entre soi et soi qui nous font comme une douceur à l'âme.)

Existe-t-il des gens qui choisissent leur prochaine lecture rationnellement ? Par ordre d'écriture, de sortie, alphabétique, d'arrivée dans une file d'attente ?

Je me demande à quoi ils ressemblent (et quels sont leurs réseaux).

Note

[1] Références sur demande en privé.

samedi 13 avril 2024

Princesse Woke et l'ascenseur

Jeudi matin, je suis partie au bureau, comme beaucoup de jeudis et de matins.

J'avais le pas conquérant et une assurance au taquet car j'avais, pour célébrer ma joie d'aller, le soir, voir Paloma aux Folies Bergère, sorti mon plus bel arc en ciel sur les yeux. C'est fou, tu passes ta vie à dire que le maquillage, bah, vous êtes belles, les meufs, telles que vous êtes. Et tu te peinturlures un peu plus que d'habitude : paf, t'es la reine du monde. Je comprends tellement le drag, ce que ça ouvre de ta personnalité que même toi, tu ne connais peut-être pas.

Bon, je suis vite retombée de mon petit nuage : de chez moi au bureau : rien. Personne n'a même fait mine de me regarder un peu fixement. Les gens ne voient rien. Alors on s'en fout un peu, c'était pour moi, pour mon grand, pour le fun. Mais quand même, mon goût de la délicieuse provocation était un peu frustré.

Jusqu'à ce que je monte sur le toit du bureau pour un café matinal. Il faut savoir que nos locaux sont un labyrinthe (probablement conçu par les mêmes mecs que ceux qui ont conçu le plan de circulation automobile sous la Défense). Il y a un seul ascenseur qui va directement sur le toit, les autres s'arrêtent l'étage en dessous. Et la seule façon d'attraper cet ascenseur et pas un autre consiste à l'appeler pour descendre et pas pour monter, puisque c'est également celui qui sert de monte-charge pour les activités de restauration. Et donc parfois, descendre avant de monter. Je vois bien que ça a l'air énigmatique et je ne suis pas sûre d'être très claire, mais telle est la vie, je ne fais que vous exposer des faits.

Bref, j'appelle l'ascenseur, monte dedans et me rends vite compte qu'on est un de ces jours où je vais descendre avant de remonter.

Au -1, un chariot entre dans l'ascenseur, suivi par le type qui le pousse. Le type me voit et ouvre grand la bouche, façon mâchoire qui se décroche. Je me marre et lui dis "Bonjour, je suis venue vous chercher !". Il appuie sur un bouton, me répond que c'est très gentil, merci, la porte s'ouvre à l'étage qu'il a demandé, il se rend compte qu'en fait il va plus haut. "Vous m'avez troublé, je vais au 2e, refaites ça aussi souvent que vous voulez", me dit-il avant de me saluer joyeusement en sortant.

Ca m'a fait le début de journée. C'est pas le truc qui m'arrive le plus souvent au monde, qu'un mec perde ses moyens en me voyant, figurez-vous, cet instant Princesse Woke[1] dans son ascenseur restera donc un moment aussi joyeux que rare dans ma mémoire.

Et bien qu'un peu teintée de tristesses qui s'installent, cette journée a finalement suivi le ton de cette rencontre matinale. Beaucoup de joies, aussi. Et "Paloma au plurielles", c'était incroyablement bon. Allez-y si elle passe près de chez vous (et pas utile, pour ce faire, de vous faire un maquillage comme le mien, le public hétéro chiant est nombreux dans la salle !)

Note

[1] Je voulais tenter un truc du genre Princesse Monowoke mais même moi je l'ai trouvée moyenne.

mardi 9 avril 2024

Une vie parfaitement scandaleuse

Hier soir quand je suis rentrée, Cro-Mi était à la maison. On a passé cinq minutes à s'extasier sur le fait que la maison était rangée, et calme, puis papoté pendant une heure sur le canapé. Au demeurant, une conversation au cours de laquelle je me suis demandé ce que j'avais spectaculairement foiré ou magistralement réussi dans son éducation, voire, les deux, simultanément. (Vous voulez que je vous raconte ? Peut-être pour l'autre blog ? Oui ? Non ? C'est scandaleux, je vous préviens.)

Je suis allée bouquiner dans un bain, porte ouverte. Même pas un chat pour venir flipper du fait que je trempe dans l'eau. Le calme. Le bonheur.

J'en ai émergé un certain moment plus tard pour découvrir que mon enfant chéri avait... fait à manger.

On a dîné en papotant, puis passé une bonne demi-heure à s'extasier que ça nous avait pris 5 minutes montre en main pour débarrasser, mettre au lave-vaisselle, nettoyer la cuisine et préparer de quoi rendre le lendemain matin fonctionnel. Je ne sais pas combien de temps ça va me durer, ce petit bonheur d'un truc qui fonctionne comme on veut, mais c'est du grand kif.

Ce matin, j'ai fait pour la deuxième fois le constat que le petit déjeuner préparé par mes soins ne me faisait pas perdre de temps par rapport aux matins où le coloc veut le faire. Etonnante chose que les rythmes humains discordants. En plus j'ai mangé ce que je veux (j'adore ne pas avoir d'habitudes immuables sur le petit déjeuner).

Le bus était quasi vide (vacances) mais pas la ligne 13. Arrivée à Liège j'ai pris mon air le plus assertif et ai lancé un "pardon" à la cantonade. Une demi douzaine de mecs sont descendus sur le quai pour me laisser passer. Je les ai remerciés, royale, d'un "merci messieurs, bonne journée". L'un d'entre eux m'a même répondu "Vous aussi", imaginez-vous.

Bref, je suis tellement calme et sereine de cette maison qui ne m'agresse plus du tout (enfin pas la maison, vous voyez) que j'ai l'impression de marcher dans le monde telle une meneuse de revue, parée de ses plus belles plumes, dans le meilleur des shows de Broadway.

Ne vous habituez pas. Ca ne durera pas. En attendant, c'est proprement scandaleux.

Que c'est bon à savourer.

(A vrai dire je me demande si ce n'est pas ce badge, confectionné par mon fils bien aimé, qui m'a valu tant de politesse dans le métro ce matin. Scandaleuse, je vous dis)