L'autre jour, au travail, privée de mon ordinateur, je faisais une fantaisiste to do des tâches en cours dans ma vie, et comme je prends internet pour mon psychanalyste, l'ai postée dans la foulée sur les réseaux sociaux. Dans les items en cours mais pas cochés : "Buter ma saboteuse intérieure". "Mais comment tu fais ça ?" me demande-t-on à divers endroits.
Pas. La. Moindre. Idée.
L'escroquerie de ce titre est donc totale.
Mais quand même, je constate. Après un bas vertigineusement bas en fin d'automne, un autre en janvier, je l'ai fréquentée de près, ma saboteuse intérieure. Et elle m'a bien bien gonflée.
J'ai donc décidé que j'avais l'âge et la détermination pour lui péter la gueule proposer un plan de carrière avec une légère reconversion.
Il me semble qu'il est vain d'attendre que nos contradicteurs internes ferment leurs grandes gueules. J'ai donc décidé de nommer la mienne conseillère en catastrophisme. De la remercier poliment des faits qu'elle porte à mon attention parce que, tout de même, c'est gentil d'être venue et d'avoir pris la peine, tout ça. Et de la faire attendre dans un boudoir reculé la prochaine occasion.
Après tout cette saboteuse, elle est un bout de moi. Née des injonctions des uns, des interprétations que j'ai pu faire. D'une envie générale de plaire ou complaire. D'obtenir de l'approbation, de la crainte de ne pas mériter l'amour ou l'affection qu'on me porte.
Rien que de très banal, en somme.
Ma saboteuse, je lui dois des trucs assez pratiques, quand même. Ces stratégies de survie en milieu hostile qui font croire à la terre entière que j'ai un sens de l'organisation hors du commun. Alors que je suis la fille qui a perdu ses clés dans un congélateur. Alors voilà, elle a fait ça. Trouver des hacks pour compenser mon poil dans la main et ma tête dans les nuages. Ca marche pas mal. Elle a un peu viré control freak, les années de jeunes enfants, mais mon naturel reprend solidement le dessus, ces derniers mois. L'équilibre me plaît pas mal. Il me sauve la peau à fréquence élevée et me laisse de l'air à respirer.
Probablement je lui dois d'autres choses aussi, l'absence de peur à me coltiner à mains nues avec le difficile, entre autres. Enfin non, ce n'est pas une absence de peur. J'y vais mais j'ai peur. Mais j'y vais. Ce genre d'ambiance.
Merci. Mais non merci pour prendre le dessus et me faire vivre dans l'illusion que ce qui n'est pas perfection, chez moi, je peux le cacher, le grimer, le rendre invisible aux yeux du monde.
Simultanément, vous, gens bien intentionnés, vous êtes promus. Je vous nomme conseillers en toutes bonnes choses. Vos avis, mots gentils, vos regards, j'ai décidé de les prendre au premier degré. Après tout, c'est vous qui me voyez de l'extérieur et je ne suis pas si bonne comédienne. Personne n'ayant intérêt à flagorner (je n'ai aucune influence sur vos vies ou vos comptes en banques), je considère, désormais, que vous dites la vérité et qu'elle est incontestable.
Lundi c'était l'épreuve du feu, ça se jouait au physique. Une tenue qui m'a valu des compliments, pour lesquels j'ai vaguement pensé "mais ça ne peut pas être vrai que ça me va car je suis grosse et que ça se voit". Et ben merde. De quel droit je retire à mes chers collègues leur droit à me trouver à mon avantage malgré ce "détail" anatomique, hein ? Donc j'ai dit merci avec un grand sourire et savouré la gentillesse des mots.
Quant à l'horrible personne que je suis mais tout le monde l'ignore sauf moi, j'ai fini par considérer que si, vraiment, personne n'était au courant, c'est qu'il devait y avoir une raison. Je ne suis pas la seule sorcière de mon entourage, voyez-vous.
Faites gaffe néanmoins [1], si vous vous risquez à me dire des douceurs, je veux vous croire, maintenant.
Alors j'écris ça comme j'ai écrit bien d'autres choses, au fil des années. Mais ces jours-ci ça va plutôt bien, entre moi, et j'espère que ça va durer parce que c'est assez... agréable, de se vouloir du bien. On est con, hein ?
Et vous, jolies personnes qui partagez mes jours, de près, de loin, "en vré" ou en ligne et même un petit peu de tout ça, je vous souhaite à vous aussi d'être, un peu de temps en temps et si possible de plus en plus souvent, en paix avec qui vous êtes. Car vous êtes magnifiques.
Note
[1] oreille en plus