Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

lundi 29 juillet 2024

Habiter sa vie

Une séparation, c'est comme une explosion dont on ne verrait pas tout de suite les effets. Entre le moment où elle se produit et celui où tout s'écroule s'installe un temps suspendu par les craintes et les questions. Votre identité à deux reste en l'air un moment, déchirée, méconnaissable. Votre histoire, celle que vous avez construite pas à pas, ne ressemble plus à aucun de vos souvenirs. Quand tout finit par retomber dans un fracas assourdissant, il faudra encore un moment pour y voire dans la poussière soulevée par cette chute.

Et ça, c'est si vous choisissez de voir.

Il y a des tas de gens aux couples bancals qui refusent catégoriquement de remettre en cause le bon fonctionnement de leur plan initial. Et qui sommes-nous pour les juger ? A peine pouvons-nous laisser la pensée nous effleurer, nous, vieux routards des histoires d'amour qui finissent mal, que si un jour ça s'effondre, plus dure sera la chute. Et encore. Si finalement le déni était une sorte de matelas ?

Aucun avis ne vous sera utile, aucune parole de mise en garde ne vous préparera. C'est vous contre vous, avant d'être vous en train de vous séparer de l'autre. Au moment où quelque chose en vous se sera mis en place.

Mais avant ? Tant de question ? Sais-je exister en tant qu'individu seul ? N'ai-je pas fusionné avec l'autre, suis-je encore capable de vivre sans me tourner constamment pour interroger du regard celui ou celle qui m'accompagne depuis si longtemps ? Et les amis tellement communs qu'on ne sait plus qui a rencontré qui en premier ? Pour beaucoup d'entre nous, la question financière est cruciale, ça n'est pas une partie de plaisir de réévaluer son train de vie parce qu'on a le cœur déserté. Alors oui, beaucoup restent en suspens parce que l'appart bien situé, les chouettes vacances, le quotidien confortable... et encore beaucoup plus encore parce que : la survie.

Et puis qui va faire tout ce qu'on a pas envie de faire au quotidien ?

Ce qui est bizarre, c'est que beaucoup de questions s'évaporent une fois qu'on a franchi le pas, bouclé les étapes logistiques nécessaires à toute séparation. Depuis un mois et demi j'ai bricolé avec ferveur, cuisiné avec nonchalance, lavé des tonnes de linge, nettoyé derrière moi, fait les courses et des papiers...

Je craignais un peu d'être submergée de tâches domestiques en repartant à neuf, une fois encore. Finalement mon quotidien est doux, même les jours d'enfants affamés pleins de requêtes et de vêtements boueux, il me reste du temps "à moi", celui dont j'ai découvert il y a si peu de temps qu'il était indispensable à mon bon fonctionnement.

Un mois et demi depuis que j'ai récupéré ma vie et mis un point final à cette explosion qui m'aura occupée de long mois.

Je pensais que juillet serait festif et solitaire. Il l'a été moins que prévu, riche de plein d'autres choses, du bon, du mauvais ; la vie.

Je suis peu sortie, ces derniers jours, à part pour de l'utilitaire bureau / courses. Je dors, enfin, raisonnablement bien, comme si mon corps m'autorisait le relâchement nécessaire, la récupération. Le repos de la guerrière est moins torride que celui du guerrier, mais indispensable. Alors j'y consacre le temps qu'il faut. Je me nourris de livres, de films, de temps de rêverie. Je passe des heures à regarder les couleurs du ciel, le soir. Ce moment de réappropriation me fait un bien fou ; j'invente des fonctionnements nouveaux dont je m'émerveille.

Après avoir beaucoup pensé à comment aider l'autre à aller moins mal et à comment cesser d'en souffrir, je fais des miracles pour ma couvée et de la douceur pour moi. Je ne pense quasi pas à ma vie d'il y a quelques semaines, quelques mois.

J'habite ma vie, enfin, comme jamais depuis un très long moment. Ca valait la peine.

mardi 23 juillet 2024

Hors cadre

Oui, d'accord, les temps changent, les choses évoluent. Les traditions font place à un peu de modernité, il est moins difficile de vivre hors des règles établies.

Mais quand même.

Même en mesurant à l'aune de ma vie, on se rend vite compte que le poids des règles plus ou moins dites de la société est lourd sur nos épaules.

L'idée générale est quand même que, pour une vie sans question, on va faire des études, rencontrer une personne avec qui on va se marier (vivre à la colle est mieux accepté, grande fantaisie dans le cadre), avoir 1,8 enfant (le "choix du roi" est un plus aux yeux de votre concierge), filer des vieux jours sereins après avoir dévoué une vie au labeur car le mérite, ma bonne dame.

Bon.

Pour le boulot je suis environ dans les clous.

Je ne me suis jamais mariée parce que non merci, le capitalisme patriarcal, ou parce qu'aucun mec n'a instillé en moi l'idée que ça pourrait être chouette. J'ai deux enfants de pères différents, dont un n'a pas le même genre qu'à sa naissance.

Vous allez vous exclamer qu'en 2024, ça ne pose pas questions et que d'ailleurs il y a un épisode de "Plus belle la vie" qui justement en parle, je peux vous assurer qu'au quotidien, ça demande un peu de caractère pour résister à la merde qu'on vous déverse dans les oreilles.

Ou de réaliser aux grands yeux de votre interlocuteur qu'il va falloir faire preuve de patience pour concilier sa vision de la vie à la vôtre.

Ca arrive : tous les jours. Les questions plus ou moins intrusives, plus ou moins maladroites, les piques pseudo humoristiques, les blagues pas drôles. C'est fatiguant. Et encore, je suis blanche, hétéro et éduquée, avec une garde rapprochée qui s'en fout et des parents qui me soutiennent. Imaginez... sortir du cadre quand on a déjà un sacré cumul de préjugés contre soi...

Si encore j'aimais Noël, comme les bonnes gens... mais non, je m'en fous, comme de Pâques, ou de mon anniversaire. Enfin je prends les jours fériés avec joie (pas pour mon anniversaire, malheureusement) mais pas les passages obligés.

L'autre jour, je racontais à une jeune collègue avec qui on vient de mondes assez différents que j'ai au moins une année par décennie où je me plante complètement sur mon âge (avec une tendance au vieillissement), et la gamine me répond "oui mais en même temps quand on est seule, c'est plus simple de se dire qu'on s'en fout plutôt que de penser que personne ne va nous inviter au resto".

Ca m'a un peu séchée.

Parce qu'en fait la dernière fois qu'on m'a invitée au resto pour mon anniversaire, c'est une amie qui était la puissance invitante. Et que ça faisait de longues années que ça ne m'était pas arrivé, avant. Je veux dire, il est déjà arrivé à mon ex et mes enfants d'oublier complètement mon anniversaire, alors un restaurant...

Bref.

Oui, le fait de choisir d'être hors cadre vous met face à des moments de solitude, comme ça. Comme plein d'autres. Le monde vous rappelle qu'on vous tolère plus qu'on ne vous accepte.

Et on relativise vite fait. Quitte à ne pas être dans le cadre, tant pis. Iconoclastes de tous pays, unissons-nous. Ca nous coûtera parfois des larmes amères et la sensation d'être abandonnés sur le côté de la route.

Mais si cette solitude n'est pas nouvelle, juste plus visible au monde, particulièrement au moment où la pression sociale s'exerce, qu'avons-nous perdu ?

Rien. Ou plutôt si, l'obligation de se conformer, le sentiment aigü d'être moins seul(e) avec soi qu'accompagné(e).

Ca demande un peu de cran, souvent. Mais c'est riche de beaucoup de choses qu'on imagine pas forcément.

(Merci Constantin pour l'illustration)

vendredi 19 juillet 2024

Est-on ce qu'on écrit ?

Cette question, uniquement applicable à mes babillages webesques, me vient à cause d'une drôle de suite de commentaires, sur les blogs ou dans la vie, de gens qui me lisent depuis deux décennies en silence ou quasi. Ou de gens de la vraie vie qui découvrent que j'ai un blog et avec qui ça augmente la relation d'une part inédite.

Oui ? Non ? Peut-être ?

Il me semble que dès qu'on raconte, ça n'est plus l'exacte réalité, déjà. Le fait de poser des mots fait prendre une distance, sélectionner, raccourcir, amplifier, accentuer le point de vue de qui raconte au détriment de ceux qui sont éventuellement racontés ? Bref, raconter, c'est déjà fictionner un peu, avec toute la sincérité du monde. Ce que je raconte ici ou sur l'un des satellites d'ici, c'est ce que je choisis, de la façon qui me va à l'instant où j'écris. Même sans mensonge, sans omission, ça n'est qu'un bout de la vie. De ma vie, en l'occurrence.

Par ailleurs, j'ai un rapport très.... ingrat, avec mes blogs. J'y laisse des trucs pour rire, pour parler. Très souvent, ces derniers temps, j'y pose des émotions pour qu'elles ne me débordent pas dans le quotidien. Parfois il s'agit de leur donner vie ici pour ne pas en étouffer, parfois je joue avec une idée / envie qui me plaît, souvent, surtout ces derniers mois, je gratte la plaie jusqu'à l'os pour faire place nette. Tout un tas de trucs que je mettrais sous un label "pas très intéressant", vu par une personne tout à fait ordinaire. Alors que bon, il existe la littérature, si vous voulez lire des trucs bien écrits et captivants[1].

On se parlait avec Luce, l'autre jour, de la force du témoignage. Bon, si d'autres personnes vivent des choses similaires et que ça les fait sentir un peu moins seuls, je comprends, un peu.

Il m'arrive aussi d'écrire ici pour le strict plaisir de jouer avec des mots et des phrases. Mais comme j'ai toujours été très dilettante, je fais ça mal : je me relis à peine (sans mentir, il m'arrive de corriger des coquilles ou de compléter un bout de phrase manquant des années après, en tombant par hasard ou mélancolie sur de vieux machins). Il y a des tas de gens qui écrivent bien avec un minimum de respect pour les personnes qui les lisent, on va dire que mon respect se place ailleurs.

Il se trouve que pour moi, ça marche mieux en lâchant ça au milieu des internets que sur un carnet ou un fichier au fond de mon disque dur. Certainement parce que ça m'a apporté des copains en masse.

Il arrive (fréquemment) que je me souvienne à peine de ce que j'ai raconté quelques heures après l'avoir posé ici ou là.

Alors quand de temps en temps, vous me dites que vous êtes là et que vous y revenez, je trouve ça merveilleusement gentil, bien sûr. Ca me touche, vraiment. Mais est-ce que vous êtes sûr(e)s que ça vaut la peine ? Et autant vous le dire, dans la vraie vie, bien sûr, vous me reconnaitriez, je crois. Mais pas complètement. Il y manquerait tous les morceaux que je pose en chemin pour alléger le flot constant des pensées, de la mémoire, des trop-plein. J'y suis plus sage, plus raisonnable, souvent (un peu contrainte, ne nous mentons pas). Enfin je n'en sais rien.

Elle est étrange, cette période, si vous voulez mon avis.

Ah, et si vous voulez lire du vachement bien, j'ai trouvé dans une boîte à livres cette petite merveille, il y a quelques jours. J'en suis tombée amoureuse en quelques lignes, j'espère que si certain(e)s d'entre vous auront la joie de ressentir la même chose. Ca parle d'adolescence dans l'Angleterre de Thatcher, c'est plein de tout, c'est de la bonne (oui, je le vends mal mais faites moi confiance, ça fait vingt ans que vous êtes là, bordel, osez, un peu !)

Note

[1] Attention, toute la littérature n'est pas captivante ou bien écrite. Mais quand même, il y a de quoi faire

mardi 16 juillet 2024

Le tour du nombril

En a-t-on jamais fini de faire, inlassablement, le tour pourtant réduit de son nombril, dans la vie ?

La semaine dernière j'ai enchaîné deux bonnes grosses erreurs de jugement, dont, par un twist final aussi ridicule qu'inespéré, je me suis sortie, disons pas si mal. Un peu de sous perdus dans la bataille, beaucoup d'énergie, de temps, un peu de vexation, quelques blessures physiques dont une effrayante mais qui n'est, a priori, pas grave.

J'ai passé un temps copieux à me détester d'avoir été aussi con.

Pour quelle utilité ? Demandez aux profondeurs de mon esprit torturé, le fait est, j'ai mariné dans une colère d'auto détestation, même quand j'ai fini, dimanche matin, de réparer l'intégralité des dommages.

Dans les moments de répit logistique[1], je me suis repliée sur moi, bras et jambes noués autour du traversin, à attendre que la tempête traverse. Impossible de parler à qui que ce soit, de demander quoi que ce soit, rien à faire qu'à garder la maîtrise approximative du souffle et atteindre le suivant.

C'est là que j'ai mis le doigt sur un truc qui ne sert à rien. Dans ces heures de solitude, j'ai constaté que j'éprouvais le manque d'une chose que je n'ai jamais eue. Le manque de cette personne qui sait à quel moment il n'y a rien à dire ni à faire mais qui vient nouer ses bras autour de vous, en silence. Sans vous dicter de solutions ou vous submerger de son impuissance à aider. Mais qui vous communique chaleur et souffles synchronisés. Qui est juste là.

Alors quoi ? Et ben on se démerde. On sait qu'on a envie de ça, mais ça n'existe pas, ou pas sous cette forme-là, dans votre vie, qu'il faut bien vivre. Alors d'inspirations en expirations on se laisse, petit à petit, calmer, quelque soit le temps que ça prend.

Là-dessus j'ai eu vent d'une vanne répétitive d'un mec qui se croit drôle et qui m'a gavée. Rendue triste, aussi. Beaucoup.

Quelques heures après, j'ai signé un papier avec la tête d'accord mais les tripes et le cœur contusionnés, roués de coups. Vortex infini de questions, impuissance à avoir la bonne réponse, qui n'existe pas. Faire un choix : être la personne qu'on veut être. Quoi qu'il en coûte ? Pour cette fois, oui.

Et toujours pas capable de parler au monde. Fonctionner, travailler, échanger vite fait avec Cro-Mi lors de ses apparitions, oui. Faire ce qui doit être fait pour rendre l'environnement vivable à nouveau, oui. Demander une épaule, un sourire, un mot qui fait rire, impossible, au-dessus de mes forces. Pas envie de peser sur qui que ce soit.

Petit à petit l'étau se desserre, la colère s'apaise, la tristesse aussi. J'ai profité de ce week-end pour ouvrir des livres qui m'ont conquise en quelques pages, vu un film qui m'a beaucoup plus, d'autres, plus oubliables, déjà presque oubliés.

Je reconnecte doucement, revois du monde.

Oublier la médiocrité de l'importance de ces tourments, les diluer dans le vrai monde, les choses plus ou moins essentielles. C'est fou comme relativiser, parfois ça ne sert à rien. J 'ai hâte de retrouver la stabilité de mes humeurs, ma bonne humeur, si pas constante, au moins dominante.

Bref, j'émerge de ma tanière. La violence de cette tempête passée complètement inaperçue aux yeux du reste du monde me sidère un peu. Tout ça pour ça ? Pour si peu.

Note

[1] au milieu de ça, Lomalarchovitch a eu dix ans, il est venu les fêter avec moi, il est reparti depuis, le manque de lui a été à la fois un atout pour la gestion matérielle des événements et un gouffre inattendu, je ne suis pas encore habituée à me séparer régulièrement de cet enfant-là.