Je dis souvent que je me mets dans une bulle, loin de l'actualité, ce qui n'est pas exactement vrai.
Disons que je la subis un peu moins au sens où je ne regarde ni n'écoute les JT, je vais consulter des titres choisis, sur des sujets choisis. En choisissant mon moment, également. Ca évite une submersion par le spectacle qu'est devenu chaque événement, une agressive lecture qui facilite la haine et la colère plutôt que la pensée.
Pour autant, je ne suis pas coupée du monde et ça ne me rend pas optimiste.
Comment en est-on arrivé là ? Comme quand il nous arrive une tuile, l'explication facile serait la faute à l'autre. Une tasse fracassée ? La faute au chat qui m'a zigzagué entre les jambes. Un machine en panne ? La faute à la douce moitié qui devait vérifier les conditions de son bon fonctionnement. C'est facile, on sait qui est le méchant ; l'autre, immanquablement. Tellement plus confortable.
Or, d'un point de vue national, international, climatique, je ne sais pas toujours dire qui est le bad guy. Je sais dire parfois avec qui je suis OK pour être d'accord, sur certains points dans certaines circonstances. Ceux avec qui je refuse de l'être. Je ne suis pas experte de 7.000 ans d'histoire au Proche Orient ou des théories économiques les plus pointues pour dire qui a raison ou à tort, dans une immense majorité de cas.
Je déteste, de façon tout à fait naïve, les morts inutiles, qu'elles soient dues au terrorisme, à la faim, à des maladies qu'on sait soigner dans une autre partie du monde. Mais je suis consciente qu'avec l'envie de faire bien, on peut aussi faire mal, sans trop le faire exprès, ou en priorisant selon ses propres grilles de lecture. Est-ce qu'un bébé riche qui meurt c'est moins grave qu'un bébé pauvre ? Ah oui, ça se complique. Je rêve, comme une enfant, d'un monde plus équitable où chacun trouverait une place en paix, serait nourri et à l'abri, mais est-ce seulement possible ?
Ce que je sais, c'est que j'ai eu du bol. Je n'ai jamais eu faim. Je me plains de mon budget serré mais un peu de fromage en moins au marché du samedi, ou alors revendre la voiture, et même sans : c'est vivable, on est loin de la précarité. Je n'ai jamais douté que mon prochain repas serait dans quelques heures. Je n'ai jamais eu peur de me prendre une bombe sur la gueule, d'être massacrée pour un oui ou pour un non. Je n'ai jamais été détestée pour ce que je suis, enfin si, en tant que meuf, dans un pays où tout est loin d'être parfait mais où je risque beaucoup moins ma peau en tant que femme que dans d'autres coins du monde.
Et tous ces gens, qui ont vécu ou vivent avec ces très réelles trouilles dans leurs tripes, tous les jours, à chaque instant, on ne les entend pas beaucoup. Ou on les entend, sans les écouter. On a un avis sur ce qu'ils vivent, sur comment ils feraient mieux de faire. Sur toutes les raisons pour lesquelles ils ont quand même un peu mérité ce qui leur arrive. La faute à l'autre, encore. Ou on les oublie commodément au profit d'un intérêt supérieur (surtout s'il ne nous coûte rien, à nous).
Il suffit de décréter n'importe quoi et de le marteler à la télé pour que ça devienne "vrai". Les faits sont commodément niés au profit d'une phrase choc qui claque. Il est impossible de ne pas savoir, il faut avoir une idée tranchée de qui est le con et qui est l'autre. Là, tout de suite, sur la foi de la gueule du dernier qui a parlé, qu'il ait raison ou tort, on s'en fout. Au milieu ? Rien.
Pourquoi les gens font ce qu'ils font ? Que sont leurs vies ? Leurs besoins, leurs rêves ? Les électeurs des grands méchants sont-ils tous de grands méchants ?
Trop dur, de se poser des questions, d'accepter de ne pas avoir toutes les réponses, toutes les certitudes.
Alors je reste dans ma bulle et je filtre ce qui y entre. Hurlez-vous dessus tant que vous voulez. Faites vos grimaces outrées dans la télé que je n'allumerai pas. Moi ? J'essaie juste de résister à la haine.