C'est magnifique, le déni.
Fantastique.
On se lance dans un projet amoureux, une envie d'étendre à un individu de plus nos capacités à aimer. On se souvient qu'on était, la première fois, tout à fait fatigués (même si on l'était chacun de notre côté). On se souvient que les couches, bah, c'est pas marrant, mais bon.
On se souvient de loin, avec des petites fleurs et des gazou-gazou gouzi-gouzi de partout.
Jusqu'à ce que ces petites choses potelées et bavouilleuses vous ramènent directement les pieds sur Terre, à une vitesse foudroyante.
Par exemple ce premier rhume, toujours trop tôt dans son histoire. [1]
Ce premier rhume où la chair de votre chair, non seulement malade, vous regarde avec toute la panique du monde dans les yeux, en mode "mais Môman, qu'est-ce qu'il m'arrive, j'me sens pas biiiiiennnnn ouiiiiiiiinnn !!!!!" (car le rhume n'affaiblit pas le décibel, bien au contraire).
Ce premier rhume vous permet de constater que dans un grand élan de "ma fille sait se moucher et soyons raisonnable, je n'aurai pas d'autre enfant", vous avez bazardé le tuyau de plastique gerbant mouche-bébé, ou vous l'avez refilé au père de la gamine, on s'en fout.
Curieusement, pour ma part, j'avais complètement oublié l'avoir bazardé, donné, que sais-je. J'étais persuadée que cet engin du diable était encore dans nos murs. Nos relations ont été tellement conflictuelles que, des années après, je le vois encore à sa place dans la salle de bains, même en son absence.
Pourquoi ces visions ? Parce que truc, qui relie directement votre bouche aux orifices nasaux de votre bébé, vous propulse en quelques secondes du monde des bien-portants à celui des malades. Car si on recommande de se laver copieusement les mains en vue de limiter la contagion, on ne vous parle pas de ce tube à aspirer le rhume.
Certains escrocs vous la joueront en mode Tchernobyl. Les microbes et autres virus s'arrêteront à la frontière dans le réservoir à morve gluante.
Comme vous n'êtes pas nés de la dernière pluie, vous comprendrez très vite que c'est pas plus vrai que pour le nuage radioactif et vous ferez, comme moi, provision de rhinadvil (car oui, au moins, on peut prendre des médicaments en se faisant croire que ça va nous guérir, autant qu'on peut avec un rhume).
Or donc ce foutu mouche-bébé a disparu. Heureusement j'en ai un modèle "poire" dans la trousse de toilette du bébé tout neuf. Le mouche-bébé aussi est tout neuf.
3 minutes plus tard, force est de constater que ça aspire autant que les genoux de ma grand-mère coupent.
Évidemment le rhume s'est déclaré après la fermeture des commerces à proximité. Il faut donc parer au plus pressé, telle la survivor de la maternité. Fabriquer un aspirateur à morve avec l'embout de la poire et une paille, par exemple. Constater que ça ne marche pas, couvrir pudiquement le bout de l'embout qui va aller dans la bouche par une compresse pour éviter de s'avaler un gros paquet de mucus, fermer les yeux, faire une prière à Sainte Rita, savoir que dans 48 heures ça en sera fini de l'insolente bonne santé de la jeune parturiente.
Aspirer.
Recommencer.
Plusieurs fois dans la nuit.
(Avoir beaucoup envie de vomir, aussi).
Le lendemain, dès l'ouverture, envoyer quérir un mouche-bébé dégueulasse du diable qui sera quand même moins pire.
Dans le même temps, lancer un benchmark auprès des jeunes mères du bureau sur les mouche-bébé électriques, sujet sur lequel, perso, je me suis beaucoup interrogée lors des premières années de Cro-Mignonne. Mais que je n'avais jamais tranché, comme la prose ci-dessus vous en aura convaincu.
Aux premiers signes d'arrière-nez-gorge qui pique, se jeter sur le premier site marchand et commander, avec livraison premium en express dans l'heure, que dis-je, dans le quart d'heure qui vient !
En vrai, attendre la livraison avec une impatience teintée de curiosité.
Recevoir l'objet juste avant un bib, lui coller des piles. Envoyer une pipette de sérum phy dans les narines de l'héritier. Aspirer électriquement.
Constater que ce putain d'objet très cher est quand même aussi efficace que celui par aspiration, finalement.
Se désoler pour tous les rhumes chopés à aspirer le nez de sa fille.
Faire une prière à Sainte Rita pour que sur les 3 millions 975 mille 499 rhumes à venir dans les 4 prochaines années, l'Objet Miraculeux m'en épargne quelques uns.
Faites des gosses, qu'ils disaient. Encore un coup des labos pour nous faire bouffer du médoc qui sert à rien.
(Pardon, Lizly, je sais que pour toi c'est trop tard. J'ai tardé, je ne voulais pas être celle qui te le dit. Mais moucher son môme, c'est un coup à rester nullipare, si on Sait).
Note
[1] Il faut dire que la frangine, toute nourrie au biberon qu'elle était, n'a pas fait son premier rhume avant 6 ou 7 mois. J'espérais que l'envie de lui ressembler, tout ça. Que dalle. QUE DALLE !!! Cet enfant est ingrat.