La vie et toutes ces sortes de choses

samedi 17 août 2024

La réinvention de la roue de la solitude

Je crois que c'est la chose qui est la plus (et la seule à être vraiment) effrayante, dans le retour à la vie célibataire : et s'il m'arrive quelque chose d'embêtant ? Accident, gros pépin de santé, dans quel délai vais-je mourir, qui, des chats et des enfants, me mangera en premier ?

Plus sérieusement, c'est surtout aux enfants, que je pense. Ils ont chacun un père, ils ne seront pas rejetés sur le rivage, mais quand même. C'est pas rien, un parent, quand on essaie de faire environ bien les choses. Il y a donc une sorte de responsabilité supplémentaire qu'on se créé à vivre seul avec charge d'âme.

Pour les angoisses de mort solitaire d'une vieille dame à chats, ça peut encore attendre un peu.

Pour être honnête, ça n'est pas non plus une pensée quotidienne qui me conduit à marcher en chaussettes antidérapantes pour éviter l'accident domestique bête, juste une pensée, de loin en loin, une vague inquiétude.

Il y a aussi l'épreuve de la réalité. L'autre jour je disais que j'ai peu de goût pour les fêtes "conventionnelles" dont mon anniversaire. C'est plutôt une bonne nouvelle, car ce qui me reste des 13 derniers, ce sont ceux pour lesquels les ami(e)s ont mis la main à la patte d'une façon ou d'une autre. J'ai perdu l'habitude que quelqu'un fasse "quelque chose" de particulier (à part me laisser choisir la sauce de la pasta) à cette occasion si je ne l'ai pas expressément demandé.

Mais là, dans la vraie vie, on verra si je fais autant la maline. Et ça approche à grands pas. Peut-être que j'y pense aussi parce que c'est la première fois depuis longtemps que je suis réellement seule à cette date ? Effet de cap à passer qui s'accroche à ce qu'il peut ?

Je ne suis pas très inquiète ; dans aucun des cas possible il n'y aura de drame. Juste un de ces moments où la vie peut, éventuellement, ricaner un peu en disant "tu fais toujours la fière avec tes cases dont tu n'as rien à faire ?"

samedi 10 août 2024

Les moments parfaits (face A)

J'ai passé, à deux ou trois années près, tous mes étés dans cette maison. J'y croise les ombres de mon enfance partout, j'ai été puissamment heureuse ici, entourée de famille, d'amis, de rires, mon attachement à cet endroit est fort. C'est grâce à ça que j'arrive à mettre des œillères et ignorer le trop de monde, le trop de bouchons, les comportements aberrants qui sont fréquents en été, là-bas.

Tous les jours, après le déjeuner dehors, je retrouve ma grande joie de toujours, lire, dans une chambre plongée dans la pénombre, bercée par le ronronnement du ventilateur. J'ai vécu des vacances thématiques : Labiche un été, dans des vieux livres même pas coupés, pour certains, l'essentiel des Rougon-Macquart le suivant.

Presque tous les arbres du jardin et de ceux alentours sont de vieux copains, pour l'essentiel plus vieux que moi. Regarder l'air bouger entre leurs branches et la lumière changer dans leurs feuilles ou épines occupe de nombreuses heures de mes vacances.

Cet été, précisément, s'arrêter avant d'arriver à la maison pour manger un sorbet, avec Lomalarchovitch, en soupirant qu'enfin, ça commence pour de bon, nos vacances partagées.

Et puis la première baignade dans l'eau chaude et curieusement claire pour une fin d'après-midi. Le corps qui se détend dans l'eau, qui oublie ses frontières, sa forme. Nager ensemble en bavardant. Les dépressions de l'eau qui vibrent sous mes doigts, le bleu cru du ciel, celui de la mer.

Le temps passé à bavarder, lui et moi, à partir en mission tous les deux.

D'une certaine façon, c'est un bout de mon essence à la source de laquelle je retourne, tous les ans. Malgré tout ce qui est compliqué. Malgré tout ce qui fonctionne de moins en moins.

jeudi 1 août 2024

Je ne sais pas nager

"Mais qu'est-ce qu'elle nous a gonflés avec sa piscine, alors, si elle ne sait pas nager ?" êtes-vous en droit de réagir au titre de ce billet. En fait je sais nager, c'est juste qu'on ne m'a jamais appris.

Il se trouve que j'ai très tôt flotté intuitivement, j'étais de ces enfants qui n'avaient pas peur de l'eau, s'y sentaient bien, peu à peu j'ai bougé les bras et les jambes de façon désordonnée, puis un peu moins, puis de plus en plus en imitant les grands et voilà. Dans ma famille on ne plaisante pas avec un sujet : les enfants doivent pouvoir flotter et se diriger en cas de chute à l'eau.

Ah oui, et quand on est cap d'aller chercher une pièce de 10 francs (now 2 euros, bonjour l'augmentation des prix) au fond de la mer là où on a pas pied, on gagne un masque, des palmes et un tuba pour aller mater les poissons en se faisant rôtir le dos.

Le reste est littérature.

Ca m'a pris très longtemps et un grand nombre de lumbagos avant de réaliser que je pourrais faire ça régulièrement dans une piscine plutôt que d'attendre l'été et ses vacances méditerranéennes. Une fois immergée et après quelques séances, je me suis un peu interrogée et c'est dotée des encouragements de fredoche, elle-même nageuse sérieuse, et de quelques tutos youtube que j'ai appris la brasse coulée, steuplé. J'avais même démarré un dégrossissage de mon embryon de crawl de débutante [1], j'ai même eu droit à un bref coaching (sur la terre ferme de la belle Avignon, pas dans la piscine) d'un champion olympique, un vrai, sur le sujet[2]...

... quand ma piscine a fermé pour cause de gros travaux, à l'heure où on se parle elle sert de site d'entraînement pour les épreuves de natation synchronisée pour les JO. Il paraît qu'on en récupérera pas l'usage avant début 2025, j'ai hâte de la retrouver.

Quand on bossait encore à Nanterre, une fois par semaine, j'allais nager le midi, une pause d'un kilomètre qui me faisait du bien au corps et à la tête.

Je suis complètement consciente de n'avoir aucune technique, de nager de la façon très inefficace. Mais j'ai la grande fierté de faire mon kilomètre sans m'arrêter à chaque bout de ligne, PAS comme un certain nombre de frimeurs croisés dans les couloirs (de natation, pas du métro) vite hors de combat.

Et lente, aussi. Je veux dire, le temps que je fasse un kilomètre, Léon Marchand fait le sien, fait des enfants, les élève et les envoie à l'université, genre. Et il a préparé le dîner en plus.

Mais je m'en fous complètement. Je suis en train de faire des voeux pour échapper aux méduses cet été et faire des tours de zone de baignade avec mon fils. Je me languis de ma piscine, qui aura sans doute pas mal changé quand j'y retournerai. Et de ces quelques dizaines de minutes méditatives et mouillées qu'on partage, elle et moi (oui, en novembre aussi, même quand il pleut).

Et oui j'aurais pu aller dans une autre piscine mais j'aime les bassins de 50m, parce que dans les plus petits on passe son temps à tourner, et puis celle de la ville d'à côté, je l'aime pas et celle d'une autre ville pas loin, elle est hors de prix. Globalement ça coûte une blinde quand on est pas résident de la ville de la piscine.

Vivement, donc.

Ah oui, je fais moteur immergé de stand up padel plein d'enfants, à mes heures perdues, aussi.

Notes

[1] Moins spectaculaire que celui de Lomalarchovitch qui a longtemps pratiqué une sorte de crawl-boxe très inefficace et éclaboussant, dois-je avouer

[2] C"est absolument véridique et la source d'une cruelle désillusion.

mardi 30 juillet 2024

Le thé à la menthe des fins de journées chaudes

Quand la vie offre de toutes petites, toutes simples gourmandises, sans que vous ayez fait autre chose que d'être là, il faut se laisser faire, ne pas hésiter ou compliquer les choses, accepter, curiosité et cœur grand ouverts !

J'étais un peu circonspecte sur cette semaine de télétravail avant mes congés. Entendons-nous bien : j'aime le télétravail. Mais j'aime aussi voir des humains, de préférence amicaux, or, cette semaine, je suis absolument seule (enfin !) à la maison, hors la présence de mes deux félins habituels. Petit goût de retour du confinement et pas complètement certaine d'y faire face avec contentement en continu.

Je l'ai commencée par un petit déj au lit, à bouquiner avant l'heure de se mettre au boulot. Je vois très bien comment la vie est faite pour que ces moments soient littéralement impossibles, la plupart du temps, j'y ai trouvé beaucoup de douceur à vivre, moins photogénique mais tout aussi agréable que mes cafés-rooftop.

Au bout de ma journée de travail, plutôt calme, d'ailleurs, pour la première fois depuis des années j'ai une sensation de ralentissement estival (est-ce que tout le monde a pris ses vacances pour esquiver les JO ?), j'ai enflié des sandales pour descendre aux encombrants un gros carton. J'en ai profité pour attraper un livre, un éventail et me voilà partie pour une fière épopée : le square en bas de chez moi.

Il est ombragé par quelques acacias aussi vieux que moi, et quelques-uns plus jeunes mais déjà touffus et larges. Il fait chaud, un peu lourd mais pas au point de ruisseler sans rien faire ; me voilà vite installée sur un "piano"[1].

J'ai choisi celui qui est le plus près du tout nouveau bateau pirate - aire de jeux, afin d'admirer d'un peu près ce nouvel eldorado enfantin. Sûr qu'il m'aurait plu, si j'avais encore l'âge d'y jouer, alors ne boudons pas notre plaisir et mettons-nous à portée de la joyeuse contagion enfantine.

Je lis un peu, mais suis vite distraite par une antique vieille dame, qui en salue une autre, elle, installée à l'intérieur de l'enclos qui entoure le bateau, et qui dirige à la voix les quelques enfants dont elle a la charge.

La vieille entreprend la moins vieille et les voici à se raconter des histoires de vols de chariots dans notre Leclerc local. Depuis des années, il est interdit, pour éviter les vols, d'entrer dans les rayons avec les chariots de courses, que nous stockons où nous pouvons près des caisses. Et voilà qu'effarée, je découvre qu'il existe un trafic de chariots ![2]. Les bras m'en tombent carrément quand j'apprends que l'une des coupables démasquées est une autre vieille, qui vit deux entrées avant moi dans mon immeuble. D'après le récit de Renée (la vieille qui raconte, suivez, un peu), la dame aurait avoué son méfait d'un laconique "j'en avais plus, le mien était cassé, alors j'en ai pris un". Un tel culot me laisse estomaquée. On a plus les vieux qu'on avait, bande de délinquants gériatriques. Renée ponctue son récit indigné de "elle est costaud, là" dont l'accent non identifié (par moi) signe une naissance un peu loin de Paris... mais où ? Les a bien fermés m'évoquent un gros quart Nord-est, mais où ?

Bref, la mère de famille qui suivait avec attention le récit du vol enchaîne en expliquant qu'elle s'est fait échanger son propre chariot, neuf, pour un similaire mais beaucoup plus ancien. Elle l'a en travers de la gorge, ce qui ne l'empêche pas d'offrir un thé à la menthe à Renée... et à moi. Je suppose que j'étais si près qu'elle aurait trouvé impoli de ne pas m'en proposer, ou alors c'est une perle de gentillesse, à défaut de me compliquer la vie à chercher la réponse attendue, j'ai accepté, avec raison, il était délicieux. Renée découvre (est-ce possible ?) la magie du thermos et du thé chaud comme s'il venait d'être fait. Je souris, in petto.

Renée est vite entourée d'une bande de dames du quartier, de jeunes mères à plus du tout jeunes camarades. Elle m'a l'air d'être une star du quartier dont j'ignorais l'existence. Pourtant pas loin de 20 ans que j'y vis, mais nous sommes nombreux et les horaires des différents flux sont d'une précision redoutable, il est facile de s'y louper.

Impossible de continuer à lire ; j'ai envie d'écrire ce billet. J'y joins quelques photos prises sur place : le grand immeuble est celui que vous verrez, peut-être, dans des plans larges à l'occasion des matchs de hockey sur gazon olympiens. J'habite celui beaucoup plus bas qu'on aperçoit devant, ainsi que la redoutable voleuse de chariots. Si vous voulez tout savoir, elle vit du côté bleu et mes fenêtres sont hors cadre, un peu plus à gauche. Vous voilà bien avancés. J'ai de la bière au frais, si vous voulez vous rendre compte sur place !

J'ai aimé cette journée. Rien de fou, rien de grand, rien de très mémorable. Mais du bonheur simple à saisir pour qui sait s'y rendre disponible.

Notes

[1] Ce square est équipé de bancs en bois qui ont une allure générale de pianos à queue. Ils sont mal foutus, à part à se mettre debout dessus pour déclamer, assez peu confortables. Mais leur anticonformisme me plaît tant que je les préfère souvent aux bancs traditionnels, des bêtes bancs, quoi.

[2] Ca n'arrange pas mes affaires car quand j'y passe, c'est souvent en sortant du marché et le mien est rempli de victuailles savoureuses autant que dispendieuses. Prévoir d'enquêter sur la possibilité d'une alarme ? Ou alors emprunter notre chien à mon ex pour monter la garde quand j'en ai besoin

lundi 29 juillet 2024

Habiter sa vie

Une séparation, c'est comme une explosion dont on ne verrait pas tout de suite les effets. Entre le moment où elle se produit et celui où tout s'écroule s'installe un temps suspendu par les craintes et les questions. Votre identité à deux reste en l'air un moment, déchirée, méconnaissable. Votre histoire, celle que vous avez construite pas à pas, ne ressemble plus à aucun de vos souvenirs. Quand tout finit par retomber dans un fracas assourdissant, il faudra encore un moment pour y voire dans la poussière soulevée par cette chute.

Et ça, c'est si vous choisissez de voir.

Il y a des tas de gens aux couples bancals qui refusent catégoriquement de remettre en cause le bon fonctionnement de leur plan initial. Et qui sommes-nous pour les juger ? A peine pouvons-nous laisser la pensée nous effleurer, nous, vieux routards des histoires d'amour qui finissent mal, que si un jour ça s'effondre, plus dure sera la chute. Et encore. Si finalement le déni était une sorte de matelas ?

Aucun avis ne vous sera utile, aucune parole de mise en garde ne vous préparera. C'est vous contre vous, avant d'être vous en train de vous séparer de l'autre. Au moment où quelque chose en vous se sera mis en place.

Mais avant ? Tant de question ? Sais-je exister en tant qu'individu seul ? N'ai-je pas fusionné avec l'autre, suis-je encore capable de vivre sans me tourner constamment pour interroger du regard celui ou celle qui m'accompagne depuis si longtemps ? Et les amis tellement communs qu'on ne sait plus qui a rencontré qui en premier ? Pour beaucoup d'entre nous, la question financière est cruciale, ça n'est pas une partie de plaisir de réévaluer son train de vie parce qu'on a le cœur déserté. Alors oui, beaucoup restent en suspens parce que l'appart bien situé, les chouettes vacances, le quotidien confortable... et encore beaucoup plus encore parce que : la survie.

Et puis qui va faire tout ce qu'on a pas envie de faire au quotidien ?

Ce qui est bizarre, c'est que beaucoup de questions s'évaporent une fois qu'on a franchi le pas, bouclé les étapes logistiques nécessaires à toute séparation. Depuis un mois et demi j'ai bricolé avec ferveur, cuisiné avec nonchalance, lavé des tonnes de linge, nettoyé derrière moi, fait les courses et des papiers...

Je craignais un peu d'être submergée de tâches domestiques en repartant à neuf, une fois encore. Finalement mon quotidien est doux, même les jours d'enfants affamés pleins de requêtes et de vêtements boueux, il me reste du temps "à moi", celui dont j'ai découvert il y a si peu de temps qu'il était indispensable à mon bon fonctionnement.

Un mois et demi depuis que j'ai récupéré ma vie et mis un point final à cette explosion qui m'aura occupée de long mois.

Je pensais que juillet serait festif et solitaire. Il l'a été moins que prévu, riche de plein d'autres choses, du bon, du mauvais ; la vie.

Je suis peu sortie, ces derniers jours, à part pour de l'utilitaire bureau / courses. Je dors, enfin, raisonnablement bien, comme si mon corps m'autorisait le relâchement nécessaire, la récupération. Le repos de la guerrière est moins torride que celui du guerrier, mais indispensable. Alors j'y consacre le temps qu'il faut. Je me nourris de livres, de films, de temps de rêverie. Je passe des heures à regarder les couleurs du ciel, le soir. Ce moment de réappropriation me fait un bien fou ; j'invente des fonctionnements nouveaux dont je m'émerveille.

Après avoir beaucoup pensé à comment aider l'autre à aller moins mal et à comment cesser d'en souffrir, je fais des miracles pour ma couvée et de la douceur pour moi. Je ne pense quasi pas à ma vie d'il y a quelques semaines, quelques mois.

J'habite ma vie, enfin, comme jamais depuis un très long moment. Ca valait la peine.