Je n'ai jamais été douée pour les émotions mesurées.
Fort heureusement, je crois que j'ai aussi la chance d'être particulièrement sensible à tous les petits riens joyeux, souriants, heureux qui jalonnent notre route, tous les jours. Et si je ne peux pas affirmer que c'est ça, la vie, un tourbillon d'émotions simultanées qui font qu'on peut être profondément triste tout en riant sincèrement à une blague ou en souriant à une douce attention, je peux en revanche vous dire que c'est comme ça que se vit la mienne, de l'intérieur.
Pour être honnête, ça n'est pas reposant, mais ça participe, je crois, à un truc assez puissant pour me ramener à la surface à chaque fois que j'en ai eu besoin. C'est pas rien. C'est pas rien du tout surtout quand, je vous le dis tout de go, on en chie. Et là, j'en chie depuis pas loin d'un an et demi. C'est un combat quotidien pour aller au delà de ma crise existentielle intérieure, mais aussi à d'envahissantes émotions qui ne m'appartiennent pas mais font contagion (pas assez d'empathie, c'est la merde, trop d'empathie, ça peut tourner à la damnation).
Tout ça pour dire que j'avais une conversation cet été dans laquelle je disais avoir été terriblement déçue d'avoir été laissée tomber quand j'en avais besoin. Et à m'interroger sur la question de ce qui m'aurait fait du bien.
Evidemment, on est souvent parfaitement aveugle quand il s'agit de soi, et puis tout ça s'inscrivait dans un ensemble tellement plus grand qu'une sorte de trahison émotionnelle liée à un seul sujet. Mais je me suis un peu convaincue qu'il y avait une malédiction des gens solides qui ont pour habitude de prendre en charge sur leurs larges épaules le bien-être de ceux qui les entourent (et d'un bon tiers de l'humanité, pour la beauté du geste).
On a eu à nouveau, il y a peu de temps, la même conversation (enfin pas la même, vous voyez bien, mais le même thème, faites un effort !) avec mon amie Joëlle. Qui est une sorte de jumelle pour moi sauf qu'elle est plus jeune, plus grande, plus belle, plus mieux. On a fini par constater de concert que demander de l'aide, c'est environ le truc qu'on sait le moins faire au monde.
C'est une super recette pour se sentir très seul(e) au monde, ça, aller mal, serrer les mâchoires, foncer dans le tas et ne surtout jamais dire à personne qu'on ne va pas bien et qu'on a besoin de quelque chose mais on ne sait vraiment pas quoi. Je ne recommande pas.
Alors voilà, j'étais assise confortablement sur des certitudes, enfin est-on jamais sûr de rien, non, bien sûr, mais une sorte de conviction intime que la vie n'a aucun sens autres que l'amour qu'on donne, si on a de la chance, celui qu'on reçoit, et la capacité à s'émouvoir pour le meilleur (quelques livres qui viennent s'entremêler avec nos fibres intimes, quelques chansons qui nous piétinent l'âme en trois notes, quelques moments d'humanité partagée, la beauté stupéfiante du monde). Et que dans le lot il y avait des malheurs auxquels on ne peut pas échapper et qu'au fond, on est toujours seul(e)s pour le faire.
Là-dessus mon ami Moukmouk se fait la malle. Pour toujours et définitivement. Il était très malade et dans ses derniers message, disait souffrir beaucoup et sentir que c'était la fin. J'espère que les médecins auront pu apaiser la douleur pour qu'il puisse vivre ses dernières heures le plus calmement possible. Lundi, j'ai passé des heures en boucle sur le fait que je n'avais plus du tout de nouvelles et que je pensais que ça y était, il était mort. Et que je ne le saurai pas. J'ai fait chier la terre entière, presque littéralement, avec ça (désolée).
Comme ça arrive parfois, les coïncidences, quelques heures après je suis tombée sur un tweet de Mouette Moqueuse qui annonçait le décès de Moukmouk quelques jours avant. On ne va pas fabriquer du sens avec des perceptions extra sensorielles, hein. Juste, y avait un paquet d'indices et des raisons de penser, tout s'est concentré sur lundi.
Et là faut faire de la place à une tristesse immense. J'ai eu l'impression de prendre un tsunami sur la gueule. Franchement ça me fait marrer, les gens qui se sont évertués à dire que les personnes qu'on rencontrait via les blogs, c'était pas la vraie vie. Ok on ne s'est pas vus de nombreuses fois dans la même pièce, mais Moukmouk, c'était mon papa bis (d'ailleurs ils sont nés à quelques jours d'écart), c'était mon ami des coups durs et des joies, c'est la seule personne qui m'a appelée baleine (enfin mégaptère) et que ça soit un immense compliment. Le seul qui a osé prendre le droit de m'appeler "petite fille" sans risquer de graves conséquences. C'était un confident, un troll de compétition quand il s'agissait des chats, un humain comme y en a pas des tonnes et assez irremplaçable. Vous avez beaucoup d'amis qui sont amérindiens, vous ? Et qui vous parlent d'histoires de la forêt ? Et qui aiment exactement comme vous êtes avec la tendresse que de rares personnes ont pour les humains tels qu'ils sont ? Moi j'en avais qu'un pour cumuler tout ça.
Si on additionne tous ces paragraphes, on arrive à un lundi soir où la vie commence à être salement moche, même pour un soir de novembre. Mais vos réactions. La sensation de ne pas être seule à pleurer. Et puis des mots dans la nuit. Enfin c'était pas vraiment au milieu de la nuit (enfin qu'est-ce qui n'est pas la nuit en novembre ?) Une phrase sortie de nulle part qui était exactement celle que j'avais besoin de lire et que j'aurais jamais su demander. Une dizaine de mots qui m'ont ancrée du côté où on sait que ça ne va pas mais que ça ira mieux. Qui m'ont accompagnée dans une nuit quasi blanche comme un mantra. Même pas des mots compliqués.
Alors oui, la route est longue. Il va falloir du temps, avant de parler de lui sans les larmes qui montent (et redescendent, soyons honnêtes. D'ailleurs je pleure en écrivant et ça n'est pas extrêmement pratique). Mais ça me paraît un peu moins difficile.
Merci à vous de partager cette tristesse là. Merci à qui a partagé ces quelques mots avec moi si jamais tu traînes par là.