Je me fatigue, je me saoule. Je me suis mise au tas, toute seule, comme une grande. Sur un bout de conversation que j'ai lancé, en plus, merde. Pas vu la sortie de virage. Sur quelques mots je me suis mise à douter et j'ai passé la nuit à me demander si je n'avais pas, en toute légèreté, bazardé une douzaine d'années de vie commune par la fenêtre. Alors j'ai refait le film. Pour la millième fois, au moins. J'ai cherché tout ce que j'aurais pu faire de différent, tout ce que je n'avais pas essayé, pour éviter cette conclusion.
Evidemment je n'ai trouvé aucun élément neuf. Il se trouve que j'avais vraiment réfléchi, avant, au mal que je faisais, à la déception que je créais. Pour moi, pour lui, pour les autres. Parce que moi qui viens d'une famille heureuse, j'ai rêvé de ça, de créer la mienne. Un endroit où il se passe de jolies choses, où on a plaisir à se réfugier quand la vie est ce qu'elle est.
Et oui, j'en ai sacrifié, des choses, à cette envie. Et je m'en suis raconté, des choses, vous savez comme je suis douée pour prendre une minute de joli et cacher 23h59 de difficile et douloureux, derrière. Tout était vrai. Mais tout n'était pas dans le récit. Ceux qui savent se souviennent peut-être que dès le début, on a eu notre lot de choses difficiles. Je me souviens nettement d'avertissements bienveillants, aussi, dans la phase "juste avant". Je ne regrette rien, j'ai cru, pendant des années, au-delà du raisonnable, sans doute, qu'avec beaucoup d'amour et un cadre familial réconfortant, on aurait tous de la place pour s'épanouir. Le loupé est fatal. Le sentiment d'échec énorme. La culpabilité encore pire. Mais je crois, vraiment, profondément, que je ne suis pas la bonne personne pour continuer à apporter ça sans devoir effacer qui je suis au passage. Sans mettre à risque la mère que je suis pour mes enfants.
Alors voilà. On en a tiré le plus joli, de cette histoire. On a un enfant qui est impossible à regretter et pour qui on va continuer d'être des parents concertés et qui le feront passer par dessus toute autre considération.
Et moi je rebaptise mon projet : "avoir une famille qui est ma vie" en "avoir des enfants qui sont ma vie". De ce côté là, ça va plutôt bien.
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Au-delà de ça je crois que ça n'est pas tellement la peine que je m'illusionne plus longtemps. Je crois que je suis strictement incompétente à faire entrer une chose aussi déraisonnable que l'amour dans un truc cadré et raisonné qui aurait un début, des passages obligés, des rites auxquels se plier. Je disais hier et je complète : je ne crois pas aux serments d'éternité, aux pour toujours qu'on signerait un vendredi matin à 9h31 et qui seraient strictement incapable de prévoir ce qui se passerait si... Je ne crois pas aux briseur(se)s de ménage, je crois que si une place s'occupe dans nos cœurs c'est qu'elle était disponible avant. Je ne crois pas aux ultimatums. Je ne crois pas à contraindre l'autre à devenir ce qu'il ou elle n'est pas. Je crois en l'amour gratuit, qu'on donne sans présumer de ce qu'on recevra en retour. Je crois en l'invention d'une relation qui fasse la place à chacune des parties concernées. J'ai des doutes sur la vie domestique partagée (j'adore l'intimité du quotidien, je déteste la charge ingrate qu'elle fait peser sur les sentiments). Je déteste les mariages, leurs symboles mignons et la confusion entre amour et administration de patrimoine commun (Tarquine va hurler en lisant ça, si elle lit).
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D'ailleurs, pour vous dire à quel point je n'entre pas dans les cases, l'histoire qui m'a le plus guidée vers celle que je suis aujourd'hui, je ne l'ai jamais vécue. Il était (est toujours !) anglo-danois et barman au pub O'Sullivans de St Germain en Laye. J'avais ma résidence secondaire dans celui de Cergy. J'avais une vingtaine d'années, à peine. Je me suis pointée un jour avec une gueule de bois monumentale, il était en visite en vue de prendre un poste à Cergy. Il m'a demandé ce que j'avais bu la veille (un Long Island Ice Tea, probablement plusieurs, ne faites pas ça chez vous, les enfants). M'en a fabriqué un qu'il a fait glisser vers moi en me disant dans un français charmant "Le mal par le mal".
Je suis tombée amoureuse en un rien de temps et comme je n'ai jamais eu peur de mes sentiments, lui ai dit telle l'écorchée vive que j'étais déjà (pire, même). Et ben lui, pas. Mais il a accueilli tout ce qu'il pouvait sans me faire du mal. Il m'a fait découvrir Douglas Adams. Je pense que c'est moi qui ai mis Radiohead sur le tapis et lui les Pixies, mais je peux avoir inversé. On a beuglé sans fin sur Alanis Morissette. On a découvert Jeff Buckley ensemble, la mâchoire décrochée de stupéfaction. J'ai sur une cassette à la cave le message qu'il m'a laissé juste avant d'entrer dans son avion pour le Danemark, où il vit toujours. Il a perdu mes coordonnées. Je l'ai retrouvé, suis allée le voir, plusieurs fois. Il a rencontré sa femme qui m'a détestée immédiatement (alors que bon, si j'étais une menace, elle ne serait pas là, hein). On s'est fâchés. Je l'ai re-retrouvé. A une époque où Internet n'était pas ce qu'il est maintenant. On se voit une fois tous les dix ans, on se parle sporadiquement sur Facebook mais il n'oublie jamais mon anniversaire et j'ai son livre préféré (son exemplaire à lui, pas n'importe lequel) dans mes étagères. J'ai porté son parfum pendant 25 ans et d'ailleurs, je me suis levée il y a 5 minutes pour aller m'en mettre parce que la pensée de lui me réconcilie avec plein de trucs que j'ai foirés. C'est à cette date l'unique personne avec qui je peux écouter de la musique sans que l'un parasite le plaisir de l'autre. Et l'une des seules personnes qui ait pris qui je suis, sauf ça, sauf la possibilité d'une histoire d'amour (car de l'amour, il y en a. Une autre forme, maintenant), tout ce que je suis sans froncer un sourcil. Ca fait 30 ans et c'est toujours aussi important pour moi qu'il existe, qu'on se soit rencontrés et qu'on soit à un clic de pouvoir se parler. (Aux dernières nouvelles, sa femme me déteste toujours, toutefois).
Alors, une fois qu'on s'est dit ça, allez donc être raisonnable, avec des sentiments qui prennent une forme pareille. Rien n'est prévisible.
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Donc j'ai passé la nuit à re re re réfléchir. Et je crois que je n'ai aucun regret, ni d'avoir vécu cette histoire en dépit des probabilités, ni d'y mettre fin. Avec toute la douleur que ça procure, d'arrêter de se raconter une vie qui n'est pas complètement réelle. J'admire, un peu envieuse, les amoureux.ses au long cours. Je ne suis pas naïve, je sais que tous les jours ne sont pas faciles, que tout le monde a ses crises et ses doutes. Mais c'est un truc qu'ils ont réussi et pas moi, de dompter le déraisonnable. Chapeau.
Et là, tout de suite, je me sens à la retraite sentimentale anticipée. Comme une vieille bagnole cabossée au fond d'une fourrière : qui voudrait ça ? Mais s'il prenait l'envie saugrenue à un type qui me plairait aussi de m'aimer, je crois que c'est le plus bel acte d'amour que j'ai à offrir. Ne pas promettre de "pour toujours" mais y croire tous les jours. Et si la vie n'est pas une pute, ça peut faire une sacrée série de jours. Mais ça, c'est (ou ça ne sera pas) une autre histoire.
Pardon aussi, j'ai conscience de me répandre indécemment sur les internets ces jours-ci. Ca m'aide à mettre un peu de clarté dans mon bordel intérieur. Je vais songer à me mettre au vert, à garder ça dans un coin. Ca suffit de vous peser dessus avec mes états d'âme.