Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

lundi 26 février 2024

Deux virgule huit mètres carrés

Petit à petit l'espace se réduit.

La cuisine est devenue hors limites il y a de nombreux mois déjà. Jamais propre, jamais accessible. Toujours à se marcher dessus, les rares moments à y exister ensemble. Une grande cuisine, pourtant, mais des normes d'hygiène et des attentes sur le rangement drastiquement différentes. Et ce renoncement qui devait être fait pour faire réagir : "tant que c'est comme ça, je n'y entre pas". Grosse maline. Plus de cuisine.

La salle de bains : envahie de piles de linges, le sale d'un côté, les panières pleines de propre jamais rangé de l'autre. C'était une bonne idée, pourtant, semblait-il. Une panière par habitant, à poser dans la chambre concernée une fois par semaine. Chacun range sa part. Jamais fait. Trop compliqué, encore. Et le linge sale des garçons qui surgit par sacs entiers, d'un coup, qui bloque tout le temps d'évacuer la corvée. La faute d'un gosse qui n'est même pas le mien qui trouve le couloir trop long. Sans parler de l'irracontable dégueulasserie.

Le salon devenu lieu de sommeil, aussi, abandonné. Il semblait humain de laisser à l'autre "son" espace qui ne redevient commun qu'au moment des repas partagés, comme si de rien n'était. Envie de vomir plutôt que de manger, souvent, devant le spectacle du déni.

Même ma chambre. Occupée cinq jours par semaine de 9 heures à 18 heures au moins. Sans aucun scrupule à s'attarder. Pièce dans laquelle, si la porte n'est pas fermée, on regarde, on entre sans prévenir, on interrompt.

Reste le lit. Même s'il a fallu batailler pour le déclarer zone interdite, à mon usage exclusif réservé. A part les chats. 2,8 mètres carrés où planquer le peu qui reste de ma vie intime. Enfin intime, calmons-nous. Hors de question d'en faire quoi que ça soit d'autre que ma retraite. Pas de changement d'agencement possible, non plus, pour le moment.

Litanie de la relativisation : c'est pas grave, c'est que du matériel, c'est à durée limitée, ok ça paraît long, pourquoi s'infliger ça, pourquoi être la seule à s'obstiner à considérer les autres, j'en rirai plus tard, déjà trois mois, tiens bon, c'est rien, il y aura un après.

Mais ne pas avoir envie d'en rire. Du tout. Rentrer parce que les enfants sont là, enfin au moins un, l'autre, une semaine sur deux. Rentrer parce que c'est le seul endroit possible. Rentrer parce que quand même, c'est chez moi, bordel. Mais n'avoir qu'une envie, à de rares moments près, quand j'y suis : être ailleurs. Tant que je ne peux pas refaire mon nid, m'y planquer.

2,8 m². C'est pas lourd, sauf dans ma tête et mes tripes.

samedi 24 février 2024

En vie

En vie. Ce truc puissant qui nous saisit la veille et le lendemain des grandes décisions [1], ou quand le tonnerre gronde fort dans nos vies. Ou les deux. La vie c'est maintenant, profitons.

En vie, en pleine décompensation, mais aussi vibrante d'envies. Oui, mais lesquelles ?

Dans une sorte de drôle d'entre deux, plus la vie d'avant mais pas encore celle d'après, je me replie souvent dans ma chambre. Chacun son territoire et c'est, de toute façon, mon endroit préféré. Il m'arrive de m'y sentir un peu recluse, confinée. Principalement, c'est aussi l'endroit où je prends du temps pour moi, pour lire, pour écouter de la musique. Ça fait presque 25 ans que ce que je fais des concessions musicales, il est temps de replonger dedans. J'y retrouve la joie de l'immersion d'il y a fort longtemps, j'explore puis je renoue avec ce qui me fait vibrer. En prenant à nouveau du temps pour vraiment écouter, sans autre activité parallèle. Ça m'avait manqué à un point que je n'avais pas réalisé.

Et pour le reste, de quoi ai-je envie ? D'équilibre, sans doute, entre les enfants, le boulot, les amis, les gens nouveaux à rencontrer, mais aussi des moments d'indispensable solitude[2] De rires, de joies.

Penser à l'avenir, aussi. Changer de boulot ? J'aime ce que je fais mais les conditions évoluent et les perspectives à moyen terme me laissent pensives. Ou alors attendre que le vent tourne en restant dans ma bulle ? Pas la tête à y penser sérieusement, encore.

Pour ma vie sentimentale, qu'est-ce qui me tente ? Sûre de rien, au moment où on se parle. Je me méfie de ma capacité à faire des déclarations fracassantes qui seront démenties dès la première surprise de la vie. Sans doute un peu désabusée par la vie adulte. Par tout ce qui transforme les battements frénétiques du cœur en soupirs ennuyés. Je ne sais pas si, demain, l'idée de mettre ce fort joli crush à l'épreuve de la réalité sera irrésistible. Ou si l'aliénation à un autre me semblera insupportable. Aucune idée, mon manque de clairvoyance à ce sujet étant connue, je me garderai bien, donc, de formuler quelque pronostic que ce soit. On verra bien.

En attendant, je sors, je m'échappe, je m'étourdis et me retrouve à la fois dans des rires amis et des pétillements d'yeux. Je rentre et m'emplis d'amour aux rires de mes enfants, aux ronronnements de mes chats. Je vibre aux émotions par art interposé. Je savoure la lumière, les gourmandises, les moments hors du temps et tout ce qui rend quelques instants hors du commun[3].

Et là, tout de suite, à l'instant où on se parle, je ne suis pas sûre que ça ne soit pas très grave de n'avoir d'autre plan pour la vie que de se la réapproprier. Contrairement à Maïa le chat dont le regard semble me demander "Kestchuvafer ?" (oui, j'ai un chat professionnel de l'affrication, c'est incroyaux).

Notes

[1] ou la veille des révolutions, dirait Julie Corrençon

[2] On ne dirait pas, car mon tempérament sociable est plus visible et parce que je suis très amatrice de choses cachées sous le nez des gens, mais j'ai besoin de calme et de solitude, régulièrement. Juste ce qu'il faut.

[3] Un jour un sociologue se penchera peut-être sur ces curieux humains du premier quart de troisième millénaire qui bondissaient aux vibrations des notifications, croyant recevoir un message, déçus par une pub, mais parfois rendus souriants par quelques mots.

mardi 20 février 2024

Les passeuses, les passeurs

Je faisais, l'autre jour, le constat que ma culture est... a... on a probablement le même caractère. Curieux. Mais capable de se braquer assez vite. J'ai grandi au milieu de livres dans lesquels il n'y avait qu'à piocher, entourée de musique, de films, de théâtre, autant dire que mon accès à l'art n'a pas été une lutte de chaque instant. Dedans j'ai picoré, connu de grands émois, quasi fusionné avec certaines œuvres majeures ou mineures, dans une grande liberté et avec beaucoup d'entrain.

Mes références se sont construites d'enthousiasme, de rencontres, de hasards. Pleines de trous, pleines d'envies [1]

En revanche, s'il y a bien un truc qui me fait fuir en courant, ce sont les discours de "sachants" (pas ceux qui sachent chasser en passant chez Sacha, non). Les dogmes. Il FAUT avoir lu. C'est une œuvre indispensable à écouter. Le dernier film détestable de machin chose. Les gens qui vous font descendre leur avis dessus comme un passage obligé, ça me met illico dans un état de rébellion avancée, dans lequel je pourrais prononcer à voix haute quelques insultes bien senties. Mais comme les sachants, parfois, sachent un peu, ou ont bon goût à l'occasion, je loupe des choses ou les découvre un million d'années plus tard que tout le monde. Il suffit de mettre le "Masque et la plume" cinq à dix minutes pour me voir me transformer en Hulk.

Ce qui n'empêche pas du tout d'adorer les recommandations. Les gens proches ou moins, qui pensent que quelque chose va te plaire et te mettent sur le chemin plus ou moins directement. Les gens à la culture infinie qui ont toujours quelque chose à faire découvrir, ressentir, qui donnent envie, tout simplement.

Du coup, souvent, l’œuvre reste attachée, dans un coin de mes souvenirs, au passeur ou à la passeuse qui me les a fait découvrir. Et ça ne rend le tout que plus joli. Encore plus précieux. Surtout si ça m'a plu.

Note

[1] d'ailleurs depuis hier soir, j'ai envie de relire au moins une partie des Rougon-Macquart, merci Franck, ça me réjouit à l'avance de retrouver mon cher vieil Emile !

jeudi 15 février 2024

Comment buter sa saboteuse intérieure ?

L'autre jour, au travail, privée de mon ordinateur, je faisais une fantaisiste to do des tâches en cours dans ma vie, et comme je prends internet pour mon psychanalyste, l'ai postée dans la foulée sur les réseaux sociaux. Dans les items en cours mais pas cochés : "Buter ma saboteuse intérieure". "Mais comment tu fais ça ?" me demande-t-on à divers endroits.

Pas. La. Moindre. Idée.

L'escroquerie de ce titre est donc totale.

Mais quand même, je constate. Après un bas vertigineusement bas en fin d'automne, un autre en janvier, je l'ai fréquentée de près, ma saboteuse intérieure. Et elle m'a bien bien gonflée.

J'ai donc décidé que j'avais l'âge et la détermination pour lui péter la gueule proposer un plan de carrière avec une légère reconversion.

Il me semble qu'il est vain d'attendre que nos contradicteurs internes ferment leurs grandes gueules. J'ai donc décidé de nommer la mienne conseillère en catastrophisme. De la remercier poliment des faits qu'elle porte à mon attention parce que, tout de même, c'est gentil d'être venue et d'avoir pris la peine, tout ça. Et de la faire attendre dans un boudoir reculé la prochaine occasion.

Après tout cette saboteuse, elle est un bout de moi. Née des injonctions des uns, des interprétations que j'ai pu faire. D'une envie générale de plaire ou complaire. D'obtenir de l'approbation, de la crainte de ne pas mériter l'amour ou l'affection qu'on me porte.

Rien que de très banal, en somme.

Ma saboteuse, je lui dois des trucs assez pratiques, quand même. Ces stratégies de survie en milieu hostile qui font croire à la terre entière que j'ai un sens de l'organisation hors du commun. Alors que je suis la fille qui a perdu ses clés dans un congélateur. Alors voilà, elle a fait ça. Trouver des hacks pour compenser mon poil dans la main et ma tête dans les nuages. Ca marche pas mal. Elle a un peu viré control freak, les années de jeunes enfants, mais mon naturel reprend solidement le dessus, ces derniers mois. L'équilibre me plaît pas mal. Il me sauve la peau à fréquence élevée et me laisse de l'air à respirer.

Probablement je lui dois d'autres choses aussi, l'absence de peur à me coltiner à mains nues avec le difficile, entre autres. Enfin non, ce n'est pas une absence de peur. J'y vais mais j'ai peur. Mais j'y vais. Ce genre d'ambiance.

Merci. Mais non merci pour prendre le dessus et me faire vivre dans l'illusion que ce qui n'est pas perfection, chez moi, je peux le cacher, le grimer, le rendre invisible aux yeux du monde.

Simultanément, vous, gens bien intentionnés, vous êtes promus. Je vous nomme conseillers en toutes bonnes choses. Vos avis, mots gentils, vos regards, j'ai décidé de les prendre au premier degré. Après tout, c'est vous qui me voyez de l'extérieur et je ne suis pas si bonne comédienne. Personne n'ayant intérêt à flagorner (je n'ai aucune influence sur vos vies ou vos comptes en banques), je considère, désormais, que vous dites la vérité et qu'elle est incontestable.

Lundi c'était l'épreuve du feu, ça se jouait au physique. Une tenue qui m'a valu des compliments, pour lesquels j'ai vaguement pensé "mais ça ne peut pas être vrai que ça me va car je suis grosse et que ça se voit". Et ben merde. De quel droit je retire à mes chers collègues leur droit à me trouver à mon avantage malgré ce "détail" anatomique, hein ? Donc j'ai dit merci avec un grand sourire et savouré la gentillesse des mots.

Quant à l'horrible personne que je suis mais tout le monde l'ignore sauf moi, j'ai fini par considérer que si, vraiment, personne n'était au courant, c'est qu'il devait y avoir une raison. Je ne suis pas la seule sorcière de mon entourage, voyez-vous.

Faites gaffe néanmoins [1], si vous vous risquez à me dire des douceurs, je veux vous croire, maintenant.

Alors j'écris ça comme j'ai écrit bien d'autres choses, au fil des années. Mais ces jours-ci ça va plutôt bien, entre moi, et j'espère que ça va durer parce que c'est assez... agréable, de se vouloir du bien. On est con, hein ?

Et vous, jolies personnes qui partagez mes jours, de près, de loin, "en vré" ou en ligne et même un petit peu de tout ça, je vous souhaite à vous aussi d'être, un peu de temps en temps et si possible de plus en plus souvent, en paix avec qui vous êtes. Car vous êtes magnifiques.

Note

[1] oreille en plus

dimanche 11 février 2024

Votre âme qui palpite au creux de ses mains

Je ne sais pas s'il existe un mot pour décrire ça. L'intimité ? Oui, dans une certaine mesure. Une sorte de sommet dans l'intimité, alors. La sensation que vous avez quand quelque chose vous touche de si près que vous en frissonnez. Ça peut être de la musique, des mots, des images. Ça peut être aussi la proximité d'une autre personne.

Vous savez ? Le battement de votre cœur, lourd, bas dans la poitrine, animal. Le souffle en écho. La sensation de plénitude. D'absolu. Vous venez de déposer vos 21 grammes tout palpitants au creux d'une paume. Un doigt l'effleure et au cœur de cet instant, c'est comme si l'autre savait tout de vous et que c'était la plus juste chose qui puisse vous arriver à ce moment-là.

Il y a des gens avec qui on sait, que cet instant est partagé, qu'il ou elle ressent le même genre de choses.

D'autres pour lesquels on ne perçoit que la partie qui nous concerne.

Pour autant que vous sachiez, l'autre est peut-être, si près de votre essence, en train de faire sa liste de courses.

Ça n'a finalement pas une si grande importance, d'ailleurs. Comme un orgasme solitaire né de la pensée d'un(e) autre, c'est peut-être vous qui imaginez l'essentiel. Mais le plaisir est bien réel.

Et puis la redescente. Le manque de ce qui vous a rempli si fort. L'envie d'y retourner. La sagesse qui vous murmure que la vie serait invivable si elle se jouait à ces hauteurs en permanence. Le retour au normal. Oui, mais bientôt, alors, d'accord ?

Parce que cette caresse-là sur votre âme vibrante, ça ressemble fort à un rendez-vous avec votre vie.

PXL_20240208_070305523.jpg, févr. 2024