Petit à petit l'espace se réduit.
La cuisine est devenue hors limites il y a de nombreux mois déjà. Jamais propre, jamais accessible. Toujours à se marcher dessus, les rares moments à y exister ensemble. Une grande cuisine, pourtant, mais des normes d'hygiène et des attentes sur le rangement drastiquement différentes. Et ce renoncement qui devait être fait pour faire réagir : "tant que c'est comme ça, je n'y entre pas". Grosse maline. Plus de cuisine.
La salle de bains : envahie de piles de linges, le sale d'un côté, les panières pleines de propre jamais rangé de l'autre. C'était une bonne idée, pourtant, semblait-il. Une panière par habitant, à poser dans la chambre concernée une fois par semaine. Chacun range sa part. Jamais fait. Trop compliqué, encore. Et le linge sale des garçons qui surgit par sacs entiers, d'un coup, qui bloque tout le temps d'évacuer la corvée. La faute d'un gosse qui n'est même pas le mien qui trouve le couloir trop long. Sans parler de l'irracontable dégueulasserie.
Le salon devenu lieu de sommeil, aussi, abandonné. Il semblait humain de laisser à l'autre "son" espace qui ne redevient commun qu'au moment des repas partagés, comme si de rien n'était. Envie de vomir plutôt que de manger, souvent, devant le spectacle du déni.
Même ma chambre. Occupée cinq jours par semaine de 9 heures à 18 heures au moins. Sans aucun scrupule à s'attarder. Pièce dans laquelle, si la porte n'est pas fermée, on regarde, on entre sans prévenir, on interrompt.
Reste le lit. Même s'il a fallu batailler pour le déclarer zone interdite, à mon usage exclusif réservé. A part les chats. 2,8 mètres carrés où planquer le peu qui reste de ma vie intime. Enfin intime, calmons-nous. Hors de question d'en faire quoi que ça soit d'autre que ma retraite. Pas de changement d'agencement possible, non plus, pour le moment.
Litanie de la relativisation : c'est pas grave, c'est que du matériel, c'est à durée limitée, ok ça paraît long, pourquoi s'infliger ça, pourquoi être la seule à s'obstiner à considérer les autres, j'en rirai plus tard, déjà trois mois, tiens bon, c'est rien, il y aura un après.
Mais ne pas avoir envie d'en rire. Du tout. Rentrer parce que les enfants sont là, enfin au moins un, l'autre, une semaine sur deux. Rentrer parce que c'est le seul endroit possible. Rentrer parce que quand même, c'est chez moi, bordel. Mais n'avoir qu'une envie, à de rares moments près, quand j'y suis : être ailleurs. Tant que je ne peux pas refaire mon nid, m'y planquer.
2,8 m². C'est pas lourd, sauf dans ma tête et mes tripes.