J'ai été très marquée, ado, par la lecture d'un livre de Marie Cardinal, "La clé sur la porte". Il s'agissait d'une famille (enfin il me semble que le père était très absent) des années 70, avec une nichée d'enfants à eux plus ceux d'autour, voisins, copains, copains de copains, copains de voisins etc, qui avaient accès permanent à leur maison.
Je pense qu'il y avait un projet "politique" autour de cette clé sur la porte, mais surtout une femme qui daronnait à elle seule une improbable quantité d'enfants dont, finalement, l'immense majorité n'était que de passage. J'ai le vague souvenir qu'elle craquait un peu, sur la fin, mais cet esprit d'ouverture, d'accueil, de discussions avec des ados / jeunes adultes en tant que personnes à part entière m'a accompagnée depuis[1].
Il faut dire que mes parents n'étaient pas complètement étrangers à cette notion. Nos camarades étaient toujours bienvenus à la maison, le dégainage d'un couvert ou deux de plus très facile. Et si ça ne s'est jamais joué par douzaines, mon amie de fac a vécu chez nous, du lundi au vendredi, pendant presque toute la durée de notre première année.
Dans un grand élan d'échanges intergénérationnels, on était copains avec un certains nombres de leurs copains (dont certains venaient aux fêtes que j'organisais dès qu'ils tournaient le dos, dans la plus parfaite des discrétions, en tout cas c'est ce que raconte l'histoire officielle). C'est bien, je trouve, que les mômes aient d'autres adultes que leurs parents ou la famille, dans la vie[2].
C'est donc avec beaucoup de fierté et le poids de cet héritage, mi génétique, mi littéraire, que je porte la couronne de daronne préférée des potes de Cro-Mi. Chez nous aussi, ça défile, ça papote, on rit, on débat, on refait le monde. Les bébés queers savent qu'ils trouveront toujours un asile à ma table et sous mon toit. Et s'ils ne le savent pas, je fais passer le message. Même si tout ceci contient une part de flatterie de la part des "petits" et d'égo surdimensionné du mien, je suis bien dans cette posture (et honnêtement, le monde manque cruellement de mères qui se font des maquillages bigarrés pour un oui ou un non et écrivent des mails salés au proviseur au nom du respect dû aux élèves).
Cro-Mi est parti hier en Irlande avec quelques autres lycéens. Qui me saluent par l'intermédiaire de mon enfant, à l'occasion de nouvelles reçues cet après-midi.
"Salut les licornes. Ne faites rien que je ne ferais pas, ça vous laisse quand même de la marge" fût ma réponse.
Cro-Mi m'indique alors que parmi les consignes, on leur a interdit de danser sur les tables des pubs alentours avec deux grammes d'alcool dans le sang.
"Mais j'avais pas deux grammes et qui lui a dit, à ton prof, d'abord ???"
Message vocal récoltant l'hilarité de la troupe.
C'est facile, c'est cheap, mais ça me remplit de joie, de les faire rire. Ca me remplit de fierté de n'avoir jamais perdu ce lien privilégié avec mon aîné.
Je me demande si j'aurai autant de succès avec mes petits-enfants. Mais bon, avec l'hérédité et l'entraînement que j'ai commencé très tôt, je pense que j'ai un bon potentiel de vieille dame indigne. Soyons optimistes.