Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

dimanche 2 mars 2025

Des films psychanalystes

J'ai vu "A real pain" ce midi, à l'issue d'une promenade dont vous pouvez voir quelques images ici.

On va commencer par dire que c'est un excellent film.

Quelqu'un dont j'admire le talent a écrit un jour "All stories are love stories", et s'est mis du même coup dans la poche quelques millions de lecteurs, acquis à la cause de son bouquin dès la première phrase. Parmi ces histoires, il y a celles qui nous parlent de nous et qui nous font ainsi plus d'effet que d'autres.

Les deux s'appliquent parfaitement à ce film ; une histoire d'amour familial : deux cousins, Benjamin et David, élevés comme deux frères à l'ombre d'une grand-mère aimée et récemment décédée, un peu éloignés depuis, partent sur les traces de son histoire en Pologne.

Je ne suis ni polonaise, ni cousine proche dans le cœur de qui que ce soit, mais Benjamin et David, ce sont deux bouts de moi.

D'un côté le sociable Benjamin, en contact direct avec ses émotions et toujours heureux de les faire partager, pour le meilleur et pour le pire. Celui qui connecte avec les gens en quelques secondes, aime rire et faire rire. Qui dit ce qu'il pense quoi qu'il en coûte. Tissé de doutes, de valeurs incompréhensibles par d'autres. Celui, aussi, qui vit une peine plus grande que lui et se trouve seul au monde. Pas sans famille, non, pas sans amis, sans doute, mais seul comme on l'est quand on a pas, ou plus, la personne qui détient la deuxième clé de notre âme.

De l'autre, David, son angoisse omniprésente, sa résilience raisonneuse, son soucis de ne pas faire peser ses drames existentiels sur les autres.

Entre eux, comme en moi, en dialogue intérieur, de l'exaspération, de la tendresse, de la compréhension, de l'impossibilité à se faire comprendre. L'un qui tend la main à l'autre qui la prend ou la repousse, selon.

Alors voilà, ces deux personnages et leurs relations compliquées, ça m'a touchée, en plus de l'histoire belle et poignante et drôle, souvent, comme un reflet tendu par un miroir auquel je ne m'attendais pas.

Loin de la drôlerie, cette image de fin qui me hante plusieurs heures après[1].

Note

[1] De même que me hante ce moment d'absolue beauté dans l'épilogue de "The Brustalist", dont je suis bien incapable de dire un mot tant il m'a émue, désolée, toi, au fond, qui attendait ça. Je suis sûre que plein de gens intelligents l'auront fait mieux que moi, va.

jeudi 27 février 2025

A l'oeil

Depuis très longtemps la photo est un art qui me touche, me parle.

Pas TOUTES les photos, évidemment, mais il y a quelque chose de magique à fabriquer de l'art avec du temps et de la lumière (la formule n'est pas de moi). Cette façon d'attraper un instant fugace et de lui offrir une sorte de petite éternité. Ce regard qui trouve du beau même dans ce qui ne semble pas l'être.

Les portraitistes qui me lisent doivent le savoir, il y a une sorte de sorcellerie à restituer en photo la beauté des gens qu'on capture, et il ne s'agit pas de perfection des traits, d'alignements dentaires parfaits mais bien de capter une lumière dans l'oeil, l'éclat d'un rire, ce qui rend la personne humaine et unique et infiniment belle.

D'ailleurs c'est bien simple, j'en apprends beaucoup sur ce que j'aime chez les gens quand je les prends en photo, même vite fait, pour un souvenir express d'un instant. Ceux que je n'arrive jamais à saisir vraiment comme je le vois, ça me dit quelque chose (ça parle à quelqu'un d'autre ou je déconne à plein tube ?)

J'ai toujours aimé prendre de (mauvaises photos) (ou passables, parfois), là, ces dernières années, j'essaie de progresser un peu.

Comme je suis quelqu'un qui n'entre jamais dans les sujets par la technique et toujours par l'émotion, j'enrichis doucement la première en prenant les choses sous l'angle (c'est le cas de le dire) de ce qu'elle peut apporter à la seconde. C'est un long chemin sur lequel je n'irai pas très loin, mais ça n'est pas grave. Je l'apprécie grâce au plaisir qu'il me procure, au fait de voir que de temps en temps j'arrive à sortir quelque chose qui me plaît au moins un peu.

Je me cherche un peu en terme d'appareil, aussi, pas complètement satisfaite du parc actuel. Mais comme c'est un sport de riche, ça limite mes envies. Ceci dit je tends des perches grosses comme moi à mes parents pour mes 50 ans, sait-on jamais.

Sur cette route, la vie moderne apporte vraiment quelque chose, youtube fourmille de photographes qui partagent leurs trucs, leur vision. Alors on se nourrit des grands d'antan, mais aussi de gens beaucoup plus contemporais. Je suis ultra fan, par exemple, du travail et des vidéos de David Ken. Il est rare que je 'nai pas d'émotion à voir ses photos, un rire, un sourire, un coup au coeur, un coup de coeur. Merci à lui de partager avec générosité son savoir-faire immense et son humanité, son talent. J'apprends beaucoup à l'écouter, à regarder son boulot. J'apprends sur moi, aussi.

(Je sais qu'il y a de nombreux photographes ici, dont un avec qui on a même partagé une promenade dédiée dont je garde un excellent souvenir. Il faut qu'on recommence en Bretonnie ! Un excellent moyen de silencier ! Ce billet n'est pas une demande de conseils ou de références. En revanche si vous avez des références coup de cœur sur des chaînes / comptes qui vous ont marqués, partagez généreusement ! On est, comme toujours chez moi, dans le "j'aime beaucoup" et pas dans le "tu devrais".)

Pour faire le lien avec un autre art qui me touche...

Le cinéma UGC du Forum des Halles vu de l'extérieur

jeudi 20 février 2025

Dans la liste de mes rêves

Quand j'avais 18 (ou 19) ans, lors d'un voyage chez ma tante au Québec, nous sommes allées à Tadoussac voir les baleines. Il y avait moins de précautions que maintenant, les sorties se faisaient en zodiac, au plus près de ces gigantesques créatures, on parlait moins de ce que ça leur faisait à elles que du plaisir qu'on y prenait nous.

De fait, c'est l'un des souvenirs les plus puissants, les plus émouvants de la vie. Nous en avons vu une de très près, tellement près qu'elle était sous notre bateau, perpendiculaire.

Résultat ? Un peu de frayeur (que se passe-t-il si on l'agace ?), mais surtout une émotion qui est venue m'attraper un peu par surprise, comme une conscience accrue d'être minuscule et très temporaire en ce monde, face à cette immense baleine, sous mes yeux comme venue du fond des âges.

Depuis on a un peu progressé sur ce genre de tourisme, je crois qu'on se préoccupe un peu plus de la préservation de leur environnement. Comme si on en avait pas déjà massacré l'essentiel.

Dans la liste de mes rêves, il y a(vait) aussi : être pote avec un éléphant. Je crois que j'ai un truc avec les animaux colossaux. Je suis dingue d'eux, j'adore qu'on les trouve intelligents, qu'on raconte qu'ils nous trouvent mignons, qu'on leur prête des caractères de drama queens. Au delà de l'anthropomorphisme et des approximations pseudo scientifiques, j'aimerais bien avoir un copain éléphant. J'ai déjà des copains chats, pourquoi pas un éléphant (à condition qu'il ne saute pas à pieds jointe sur moi quand je lis, comme les deux velus qui partagent mon existence, ou qu'il ne me donne pas des coups de boule furieux pour me dire qu'il m'aime et qu'il voudrait une place entre le plaid et moi, n'est-ce pas Maïa ?).

Mais bon, voilà. L'éléphant il n'habite pas tout près. Et j'ai, maintenant, très présent à l'esprit le fait qu'on lui a piqué son habitat naturel, compromis sa bouffe, empoisonné l'existence en lui tournicotant autour. Je trouve ça assez insupportable. Et puis j'essaie de ne pas prendre l'avion. (Et puis je n'ai pas de thunes pour de grands voyages, de toute façon).

Alors je reste chez moi et je rêve d'éléphants. Et de tant d'autres choses. Je voyage en train, parfois en voiture quand on est plusieurs dedans.

A quelque chose, malheur est bon. Mon empreinte carbone calculée récemment à la faveur d'un atelier au bureau est de 5,3t de CO2e par an, celle du français moyen (pas celui de Cabu, la moyenne de celle des français) de 9,1 tonnes. Peut nettement mieux faire, mais fait mieux que beaucoup.

Les matins désabusés, je me dis que ça ne sert à rien, que de toute façon on a le pied sur l'accélérateur et qu'on va tous crever, quoi qu'il en soit. Et que ça sera tout aussi difficile pour ceux qui ont essayé de faire un peu mieux que pour les autres. (Et même : pire ?) Si celles et ceux qui ont les moyens d'inverser la tendance, de nous épargner famines, guerre civile, désastres s'en foutent, pourquoi je m'en ferais ?

Et puis je pense au copain éléphant dans ma tête, je me demande si à une personne près, ça change la donne, pour lui. Sans doute que ça ne se calcule pas comme ça.

Peut-être qu'un jour j'aurai plus de sous, et que ça sera encore possible. Ou alors qu'un mec plus malin que les autres ne me laissera pas le choix de mettre ce rêve de côté, peut-être qu'au final, un jour, je serai la pote d'un éléphant. Si le mec en question veut bien m'offrir le Leica D-Lux 8 qui me fait de l'œil, pour qu'on rapporte des souvenirs, aussi ? Non, j'abuse ?

Il y a des rêves auxquels on doit renoncer, tous, au cours de nos vies. D'autres qui sont accessibles et qu'on ne réalise pas parce qu'ils semblent égoïstes, inconsidérés.

J'ai l'impression, parfois, ça va vous faire rire, d'être trop raisonnable. Puisque tout le monde s'en fout et que presque personne n'est prêt(e) à renoncer à son plaisir immédiat, pourquoi je m'emmerde ?

samedi 15 février 2025

L'odeur du pot-au-feu le premier jour des vacances.

Hier en fin d'après-midi j'ai éteint mon ordinateur, et c'était là, enfin. J'étais en vacances.

Après 36 heures de maux diverses et deux nuits hachées, mais aussi de rires de deux amies chères dans mon téléphone, j'émerge ce matin, crevée, à me demander quel goût elles vont avoir, ces vacances, si malade je suis, si épuisée je redeviens.

Et puis j'ai levé les volets et j'ai trouvé la lune comme en plein jour, alors qu'il n'était même pas 8 heures. Baignée d'une lumière un peu jaune, un peu martienne, qui était le reflet du soleil qui émergeait de l'autre côté de l'appartement.

(Pardon pour cette perspective claquée au sol, mais vous admettrez qu'il est un peu difficile d'être droite dans tous les sens face à ces colosses de banlieue. J'en ai une mieux, mais elle était pour quelqu'un d'autre, oui, je suis exclusive dans le choix des photos)

Alors je suis allée me faire du thé en regardant les lumières du levant en face de l'autre côté de l'appartement.

J'ai petit déjeuné de fruits et de fromage, me suis mis un monumental coup de pieds aux fesses pour me propulser au marché, et devinez ce que j'ai trouvé sur la route ?

Des fleurs au jardin des senteurs !

Des bourgeons sur le grand machin juste devant l'entrée du marché ! Du ciel bleu !

C'est souvent comme ça, le marché. Je ronchonne avant, mais entre les microscopiques nouvelles de ce qui sera un jour une nouvelle saison, les bavardages joyeux, la promesse de délices à manger, j'en sors toujours heureuse du moment passé. Figurez-vous que le volailler qui devait être fermé était ouvert quand même et que j'y ai trouvé un poulet dont l'odeur, arrosto, fait bondir mes doigts sur le clavier pour finir vite ce billet et aller le dévorer.

Car, oui, rentrée, j'ai lancé la cuisson du pot-au-feu, enfourné le poulet, préparé la pâte pour les gaufres de demain matin. Efficace, concentrée, couteau aiguisé, ça me permet d'avoir tout le temps qu'il faut pour ramasser le contenu d'une boîte de poivre que j'ai laissée échapper de mes mains. L'organisation, c'est un métier, comme j'aime à le répéter. Ca sert à dégager du temps pour réparer ses conneries.

Je me pose et ce sont les vacances, enfin, l'appartement sent bon la cuisine de grand-mère qui nous durera plusieurs repas, je vais essayer de dormir - lire - écouter de musique pour le reste de la journée, demain double ciné en vue avant de récupérer Lomalarchovitch.

Ca ne commence pas si mal, finalement[1].

Note

[1] Et pour celles et ceux qui ont commenté mes menus de la semaine, amendés avant même d'être cuisinés, oui, il y aura gaufres demain matin et crêpes demain soir. Et d'une j'avais zappé la Chandeleur, et de deux, c'est mes vacances, kestuvafer ?

lundi 10 février 2025

A quoi reconnaitre son train quand on monte dans une rame au hasard

Les habitués de la ligne J prise de la gare Saint-Lazare en direction d'Ermont-Eaubonne le savent bien : les trains sont annoncés très tard, particulièrement en heure de pointe.

Quand le boulot a déménagé et que j'ai recommencé à prendre les transports en commun, il y a bientôt deux ans, j'étais fascinée par une espèce particulière de voyageurs.

Bien avant l'affichage de la voie, ils prenaient, d'un air décidé, la direction d'un quai en particulier et s'installaient dans le train, l'air de rien. Comme s'ils étaient les gardiens d'un secret bien gardé.

Je les enviais un peu, consciente de mes limites : je suis capable de me plonger dans la lecture et de me rendre compte, train déjà lancé vers sa première étape, que je ne suis pas dans le bon.

Je les ai observés de près. Ai tenu une liste mentale des correspondances entre horaire du train et quai de départ (relativement fiable mais pas complètement non plus). J'ai cherché des martingales sur les affichages latéraux des trains, la tête des gens qui l'attendaient, etc.

Presque deux ans d'entraînement intensif plus tard, il m'arrive assez souvent de prendre place dans un train avant que sa destination ne soit connue. Par élimination (type de train, plage de voies possibles, juste arrivé ou déjà vide, zone violette ou verte, etc), un peu d'instinct, je me prends à ce jeu avec eux.

J'ai toujours un petit frisson aventurier, quand je fais ça ; une fois je suis descendue persuadée d'avoir tort et me suis fait piquer ma place assise, alors que j'avais raison (à ma décharge la liste des stations desservies était exotique).

Il y a un facteur qui s'ajoute et qui ne s'acquiert qu'avec l'expérience : la tête des habitués. Oui, la dame avec la canne qui s'assied toujours à cette place va là où je vais. Ah, la dame qui tient toujours l'ascenseur à la gare du Stade est là, c'est bon. Oh, je le connais ce gamin à la magnifique tignasse bouclée. Etc.

Quand je reconnais une tête d'habitué, je replonge le nez dans ma lecture en cours et mon attention se relâche. Au moins je ne serai pas seule si on se retrouve entre égarés à une destination qui n'est pas la nôtre. #AirRésolu