Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

vendredi 8 mars 2024

La fabrique du joli

J'allais commencer en disant : "Quand la vie ne va pas complètement comme on voudrait". Mais non. Cette recette peut être utilisée absolument tout le temps, même quand tout vous sourit [1]. Il est possible toutefois qu'on en ait encore plus besoin dans certains moments que dans d'autres alors... rêvons.

Que faudrait-il pour fabriquer du joli ?

Si le soleil se pointait, ça serait bien. Pas totalement indispensable, on ferait quand même, sans lui. Mais sa présence insolente et, n'ayons pas peur des lieux communs, lumineuse, pile au bon moment, serait un plus. Surtout en sortie d'hiver, quand on a bien fait le plein de sombre, de nuances de gris et d'humide.

Il faut du beau, aussi. Du paysage, de l'architecture. De l'art. Que l'œil puisse se poser dessus et s'illuminer de joie, s'interroger, râler, s'enthousiasmer.

Dans mon cas, et je comprends absolument les gens qui n'éprouvent pas cette nécessité, c'est bien s'il y a des gens (pas BEAUCOUP de gens, souvent, à l'unité). Ils peuvent être de nature un peu étrange, comme ceux dont on retient dès le début des choses inaccoutumées, ou pas, comme vous voulez. Pour moi, c'est plutôt oui. Pour fabriquer du joli, il faut des sourires, des rires. De la curiosité, quelque chose de l'ordre de l'addition de nos énergies qui donne une atmosphère dont on ressort avec le sourire et qui flotte un peu autour pendant un moment.

Du bon manger (oh que je vous plains, gens pas gourmands), du bon boire.

Des bêtises qui resteront longtemps accrochées à un souvenir, des choses plus ou moins sérieuses qui prendront du temps, sans doute, à être racontées au moins en partie.

Et puis, comme je suis une sauvage rebelle qui ne s'ignore pas tout le temps, ça serait bien de piquer un peu de temps à la productivité capitaliste. D'être l'artisan d'un morceau de liberté dans un bout de semaine habituellement peu dédié au plaisir. Fabriquer un bout de week-end au milieu de la semaine, en somme. Quelques heures de vacances piquées au sens du devoir.

Un peu d'arpentage, des endroits qu'on aime. Ou à découvrir, je ne suis pas chiante (pas sur ça).

Ça ne serait pas bien, de se fabriquer un coin de joli au nez et à la barbe des gens sérieux ?

Note

[1] ça arrive combien d'heures dans une vie, finalement, que TOUT aille bien en même temps, d'ailleurs ?

mercredi 6 mars 2024

Quelqu'un est mort

Quelqu'un est mort et ça me laisse stupéfaite.

Oui, je sais bien que des centaines de milliers d'humains meurent chaque jour. Mais celui-ci me touchait d'un peu plus près. Juste un peu.

On se connaissait, on ne se connaissait pas. J'aimais le lire, en grand ou en petit.

Il avait du talent. Il avait des gros soucis. Il n'était pas le premier dans ma vie avec des problèmes d'addiction.

Alors quoi ?

On aide un tout petit peu, comme on peut. En se doutant bien qu'on se fait couillonner, au moins un peu. En se demandant si on ne finance pas le truc en trop, qui fera tout basculer.

Mais parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, on aide. Un tout petit peu. On parle, aussi. On soutient.

On ne s'est jamais vus. Pas eu le temps. Grand projet 2024 à oublier dès mars. Allez vous demander pourquoi j'ai tant d'impatience à voir celles et ceux qui comptent : la seule garantie c'est maintenant. Alors voyez, écoutez, embrassez, aimez, vivez, faites ce que vous voulez, mais faites-le avant le grand trop tard, bordel.

On s'est échangé des confidences, entre membres de la famille des grands sensibles accros aux mots et au rock'n'roll.

On s'est recommandé des bouquins. On s'est dit du bien de son mec. On s'est dit du bien de quelques gens qu'on avait en commun.

Et là il n'y a plus rien que quelques messages, quelques élans.

Je n'ai pas de mots pour dire ce qu'on était : copains ? C'est beaucoup ou pas pour quelqu'un qu'on a jamais vu ? Mettons, tous les deux membres de la grande famille des beautiful freaks.

Et malgré cette petite amertume en forme de point d'interrogation, et même si, finalement, c'était une possibilité tellement forte que je ne devrais pas en être si surprise, je suis sidérée par la tristesse de sa mort.

Salut Alexandre. Je suis debout.

lundi 4 mars 2024

Les affreux

Il y a une joie irremplaçable dans ma vie, un monstre à cinq têtes qui rugit de rire régulièrement, c'est ma bande de collègues. Et encore, on en a perdu quelques uns avec le temps... mais qui restent présent, à défaut du quotidien, au moins régulièrement.

On est le gang de bisounours de l'open space, à l'humour aussi acide que notre tendresse est velours. Pas un pour rattraper l'autre en termes d'humour. (Et en plus on bosse bien, ensemble). Que ce soit un moment où les journées sont chouettes ou par gros temps, le plaisir de se retrouver, c'est notre moteur à nous. Celui de faire hausser un sourcil ou éclater de rire les collègues d'autres équipes vient en deuxième. Les affreux.

Amis du politiquement incorrect, des câlins et du marketing digital, c'est nous.

Pour preuve ? Echantillon de ce qui fuse entre deux réunions. Ou en plein milieu. Enfin juste un lundi matin plutôt calme.

Esprits sensibles s'abstenir de lire.

"Ah non mais c'est un crush qui va rester un crush. C'est bien dommage mais au moins, s'il embrasse comme un labrador, je ne le saurai jamais !"

"J'ai testé le form, ça a marché, j'ai bien reçu le doc." "Ah, c'est toi my submissive ?"

"Je crois que c'est foutu pour moi, j'ai perdu le pouvoir des nichons. Je suis restée une heure en face de lui, je ne l'ai même pas vu checker mes boobs une seule fois." "Ah non mais ça c'est pas toi, c'est MeToo"

Mon autocorrect a changé "Si j'ai besoin de sucre à 3 heures du mat" en "si j'ai besoin de suc e r à 3 heures du mat, j'ai trop honte" (et pour celles et ceux qui savent à quel point je déteste me relire et combien de fois je me suis fait piéger par l'autocorrect : NON ça n'est pas moi !!)

Ouah les meufs, vous êtes habillées pour ne pas le rester longtemps !! Canon !!

"Non mais le mot gros, il a une connotation à géométrie variable. Un gros chien, un gros gâteau, une grosse b1te, tout le monde trouve ça super. Une grosse daronne, par contre..."

Voilà, c'est nous l'élite de la nation, les dieux du digital. Ajoutons notre sale manie de jouer à "titre" toute la journée. Il se peut qu'on soit légèrement insupportables. Mais qu'est-ce qu'on s'aime.

lundi 26 février 2024

Deux virgule huit mètres carrés

Petit à petit l'espace se réduit.

La cuisine est devenue hors limites il y a de nombreux mois déjà. Jamais propre, jamais accessible. Toujours à se marcher dessus, les rares moments à y exister ensemble. Une grande cuisine, pourtant, mais des normes d'hygiène et des attentes sur le rangement drastiquement différentes. Et ce renoncement qui devait être fait pour faire réagir : "tant que c'est comme ça, je n'y entre pas". Grosse maline. Plus de cuisine.

La salle de bains : envahie de piles de linges, le sale d'un côté, les panières pleines de propre jamais rangé de l'autre. C'était une bonne idée, pourtant, semblait-il. Une panière par habitant, à poser dans la chambre concernée une fois par semaine. Chacun range sa part. Jamais fait. Trop compliqué, encore. Et le linge sale des garçons qui surgit par sacs entiers, d'un coup, qui bloque tout le temps d'évacuer la corvée. La faute d'un gosse qui n'est même pas le mien qui trouve le couloir trop long. Sans parler de l'irracontable dégueulasserie.

Le salon devenu lieu de sommeil, aussi, abandonné. Il semblait humain de laisser à l'autre "son" espace qui ne redevient commun qu'au moment des repas partagés, comme si de rien n'était. Envie de vomir plutôt que de manger, souvent, devant le spectacle du déni.

Même ma chambre. Occupée cinq jours par semaine de 9 heures à 18 heures au moins. Sans aucun scrupule à s'attarder. Pièce dans laquelle, si la porte n'est pas fermée, on regarde, on entre sans prévenir, on interrompt.

Reste le lit. Même s'il a fallu batailler pour le déclarer zone interdite, à mon usage exclusif réservé. A part les chats. 2,8 mètres carrés où planquer le peu qui reste de ma vie intime. Enfin intime, calmons-nous. Hors de question d'en faire quoi que ça soit d'autre que ma retraite. Pas de changement d'agencement possible, non plus, pour le moment.

Litanie de la relativisation : c'est pas grave, c'est que du matériel, c'est à durée limitée, ok ça paraît long, pourquoi s'infliger ça, pourquoi être la seule à s'obstiner à considérer les autres, j'en rirai plus tard, déjà trois mois, tiens bon, c'est rien, il y aura un après.

Mais ne pas avoir envie d'en rire. Du tout. Rentrer parce que les enfants sont là, enfin au moins un, l'autre, une semaine sur deux. Rentrer parce que c'est le seul endroit possible. Rentrer parce que quand même, c'est chez moi, bordel. Mais n'avoir qu'une envie, à de rares moments près, quand j'y suis : être ailleurs. Tant que je ne peux pas refaire mon nid, m'y planquer.

2,8 m². C'est pas lourd, sauf dans ma tête et mes tripes.

samedi 24 février 2024

En vie

En vie. Ce truc puissant qui nous saisit la veille et le lendemain des grandes décisions [1], ou quand le tonnerre gronde fort dans nos vies. Ou les deux. La vie c'est maintenant, profitons.

En vie, en pleine décompensation, mais aussi vibrante d'envies. Oui, mais lesquelles ?

Dans une sorte de drôle d'entre deux, plus la vie d'avant mais pas encore celle d'après, je me replie souvent dans ma chambre. Chacun son territoire et c'est, de toute façon, mon endroit préféré. Il m'arrive de m'y sentir un peu recluse, confinée. Principalement, c'est aussi l'endroit où je prends du temps pour moi, pour lire, pour écouter de la musique. Ça fait presque 25 ans que ce que je fais des concessions musicales, il est temps de replonger dedans. J'y retrouve la joie de l'immersion d'il y a fort longtemps, j'explore puis je renoue avec ce qui me fait vibrer. En prenant à nouveau du temps pour vraiment écouter, sans autre activité parallèle. Ça m'avait manqué à un point que je n'avais pas réalisé.

Et pour le reste, de quoi ai-je envie ? D'équilibre, sans doute, entre les enfants, le boulot, les amis, les gens nouveaux à rencontrer, mais aussi des moments d'indispensable solitude[2] De rires, de joies.

Penser à l'avenir, aussi. Changer de boulot ? J'aime ce que je fais mais les conditions évoluent et les perspectives à moyen terme me laissent pensives. Ou alors attendre que le vent tourne en restant dans ma bulle ? Pas la tête à y penser sérieusement, encore.

Pour ma vie sentimentale, qu'est-ce qui me tente ? Sûre de rien, au moment où on se parle. Je me méfie de ma capacité à faire des déclarations fracassantes qui seront démenties dès la première surprise de la vie. Sans doute un peu désabusée par la vie adulte. Par tout ce qui transforme les battements frénétiques du cœur en soupirs ennuyés. Je ne sais pas si, demain, l'idée de mettre ce fort joli crush à l'épreuve de la réalité sera irrésistible. Ou si l'aliénation à un autre me semblera insupportable. Aucune idée, mon manque de clairvoyance à ce sujet étant connue, je me garderai bien, donc, de formuler quelque pronostic que ce soit. On verra bien.

En attendant, je sors, je m'échappe, je m'étourdis et me retrouve à la fois dans des rires amis et des pétillements d'yeux. Je rentre et m'emplis d'amour aux rires de mes enfants, aux ronronnements de mes chats. Je vibre aux émotions par art interposé. Je savoure la lumière, les gourmandises, les moments hors du temps et tout ce qui rend quelques instants hors du commun[3].

Et là, tout de suite, à l'instant où on se parle, je ne suis pas sûre que ça ne soit pas très grave de n'avoir d'autre plan pour la vie que de se la réapproprier. Contrairement à Maïa le chat dont le regard semble me demander "Kestchuvafer ?" (oui, j'ai un chat professionnel de l'affrication, c'est incroyaux).

Notes

[1] ou la veille des révolutions, dirait Julie Corrençon

[2] On ne dirait pas, car mon tempérament sociable est plus visible et parce que je suis très amatrice de choses cachées sous le nez des gens, mais j'ai besoin de calme et de solitude, régulièrement. Juste ce qu'il faut.

[3] Un jour un sociologue se penchera peut-être sur ces curieux humains du premier quart de troisième millénaire qui bondissaient aux vibrations des notifications, croyant recevoir un message, déçus par une pub, mais parfois rendus souriants par quelques mots.