dimanche 10 décembre 2023

Loin

Je n'aime pas Noël.

Voilà, c'est dit, comme une atrocité dans la bouche d'une jeune fille bien éduquée, comme on viendrait faire un bruit malséant à une table de gens raffinés, l'horreur. Comment peut-on ne pas aimer Noël ? On peut (je crois même que nous sommes nombreux).

Ca date, je pense, du moment où le mois de novembre/début décembre a commencé à ressembler à une sorte de calendrier macabre de dates où des gens que j'aimais ne seraient plus jamais là pour se l'entendre dire. D'ailleurs, c'est pas compliqué, il y en a un de plus cette année. Et même si c'est un mois qui continent aussi des dates d'anniversaires de gens que j'aime et qui sont encore bien là, c'est devenu difficile à traverser. En ressenti, là, au moment où j'écris, on doit en être au 40 novembre, ou peut-être 41, bref, pas la joie.

Pendant la période des enfants petits, j'ai joué le jeu du sapin, du père Noël et de toutes ces choses qui font gling gling. Mais c'est pas compliqué, plus les années passent, plus ça devient un truc contre lequel je me révolte violemment.

Je n'ai rien contre le fait d'être avec des gens proches pour manger de bonnes choses ensemble et se faire des cadeaux, hein. C'est juste cette course à l'armement de la déco, du meilleur cadeau, du menu parfait, du bonheur codifié à date fixe... ça me hérisse. Je ne suis même pas catholique, en plus, alors la naissance du petit, vous pensez.

Moi, là, mon énorme fantasme de Noël, ça serait de partir. Loin, au moins un peu. Il y aurait une maison confortable, je verrais la mer par la fenêtre[1]. S'il faisait beau, j'irais me promener à pas lents le long de la plage. Il y aurait du bon à manger sans effort de préparation. Il y aurait de la musique à briser l'âme. Il y aurait des livres, partout, des bouquins-copains de toujours, de nouveaux à découvrir, des qui font battre le cœur. Des films à foison. Un canapé dans lequel se vautrer de toutes les façons possibles (non, je ne sais toujours pas me tenir correctement).

Et peut-être que si je regardais du coin de l'œil dans le miroir, au-dessus de la cheminée qui flambe, je verrais des ombres passer et je me rendrais compte que je n'y suis pas toute seule, finalement.

Note

[1] D'ailleurs, c'est fou que personne n'ait jamais compris, dans ma vie, que pour me guérir d'à peu près tout, il suffit de m'emmener à la mer. C'est encore mieux si c'est la Méditerranée et qu'on peut manger des panisses, mais n'importe quelle mer me répare suffisamment pour affronter le monde à nouveau. Et non, personne, jamais, ne m'a dit "Allez viens, je t'emmène voire la mer, elle et mes bras autour de toi, ça va aller".

mercredi 6 décembre 2023

Aligner les mots

J'en ai, des billets à écrire, sur ma pile ! On se croirait en 2003 ! J'ai même dû me livrer à un petit arbitrage pour savoir qui devait passer en premier, c'est vous dire. Et finalement, en toute logique (et les faits vous le prouvent à l'instant où vous lisez ces mots [1]), c'est celui-ci qui s'impose bon premier, puisque c'est de ce que je vais y raconter que découlent plus ou moins directement les autres.

J'écris beaucoup, en ce moment. Enfin j'écris beaucoup normalement puisque c'est une partie de mon job, mais en plus du boulot, j'écris aussi des trucs-zé-machins pour moi.

Me voici relancée avec Alexeï et mon vieux comte Russe. Pour le moment je découds un peu et réassemble / complète ce que vous connaissez déjà, pour les joueurs invétérés et lettrés de l'été 2000. Pour garder la voix d'Alexeï sous les doigts, sans même parler de notre ami Rrrrrromanov, mais aussi pour continuer à infuser le reste, sur lequel j'ai plein d'idées et d'envies mais qui n'est pas encore suffisamment au clair dans ma tête. Besoin d'y rêver encore un peu.

Alors ne vous réjouissez pas trop vite, hein. J'écris sourire aux lèvres mais je me chie dessus à l'idée de quiconque en déchiffre péniblement 5 lignes et me toise avec mépris en me renvoyant à mes saines lectures qui, ELLES, valent la peine d'être lues. Donc là, pour moi, il est question de voir si je peux en faire une histoire achevée. Et j'essaie de ne surtout pas penser au reste. Une chose à la fois (ça n'a l'air de rien mais pour quelqu'un qui a la crainte permanente de ne pas être assez bien, de décevoir, une chose à la fois c'est un énorme lâcher prise, croyez-moi.)

Et puis il y a mes pièges à moi. Après des décennies à me comporter en bonne élève, principalement parce que c'était une stratégie efficace pour me laisser un peu de marge excusable à être qui je suis, je reviens à l'état sauvage et naturel qui est le mien. J'ai "un peu" de mal avec la contrainte, dirons-nous. Et les consignes inflexibles. Du coup il faut trouver le bon équilibre entre avancer et ne pas m'auto braquer (oui, je sais faire ça très bien). Mais comme aligner des mots est à peu près le truc qui me fait le plus de bien ces jours-ci, forcément, j'ai plein d'idées de bouts de machins qui fourmillent et je me retrouve à tirer des fils pour des petits trucs qui seront sans doute bien logés ici. Rien de foufou, hein. Mais ça faisait longtemps que je n'avais pas trois billets en cours dans ma tête. Peut-être moins ancrés dans le quotidien. On verra.

Bon, en revanche, je déteste toujours autant me relire, et pour cette phase là je n'ai pas beaucoup d'autres solutions que de forcer ma nature.

Note

[1] Est-ce que les mots se comportent, comme les électrons, différemment selon qu'on les regarde ou pas, ces drama queens ?

jeudi 15 décembre 2022

Dis maman, pourquoi le monde est méchant ?

Or donc je démarre ma journée de travail avec le dos en colère et un début de lumbago bien senti. Ma mère se fout de moi par SMS en me disant qu'elle lit justement un bouquin où un fermier irlandais se plaint de son "lambago". Je la trouve un peu cruelle mais je ris car elle m'a donné la vie. Je m'installe au mieux, bosse deux ou trois heures, me lève péniblement pour aller chercher trois amandes et deux noix dans la cuisine et là, Lomalarchovitch, 8 ans et demi, malade et donc désœuvré à la maison, me pose la question : "dis maman, pourquoi le monde est méchant ?"

Il me pose la question au moment où j'ai sorti la tête d'un marathon de boulot et enfin fini de rattraper mon retard de lecture de l'obsession des Jours sur le procès des attentats du 13 novembre. Et où je m'attaque à mon retard de lecture des papiers de Robert McLiam Wilson sur le procès des attentats de Nice (qui vient de s'achever, mais une grosse partie de l'humanité était trop occupée à taper sur des casseroles à cause de milliardaires qui jouent au ballon en short en méprisant l'idée seule de l'indécence de leurs conditions de jeu pour qu'on en parle assez).

Bref, mon fiston m'a cueillie dans un de ces moments où ma foi en l'humanité est encore pire que d'habitude. J'aime pas mal d'humains, individuellement, mais pas trop l'humanité dans son ensemble, persuadée depuis longtemps qu'elle est capable du pire. Dont acte.

Alors je tente un peu de philosophie ("certains comme Jean-Jacques Rousseau pensaient que l'homme était bon par essence, et que c'est la société qui le pervertit, mon chéri") mais même lui n'a pas cru une seconde en mon poker face de mère en mode pédagogue. Il a raison, je n'ai jamais pu encaisser Rousseau. J'étais team Voltaire, moi, ça m'a valu des débats sororicides avec mon amie du temps de la fac.

Une seconde j'effleure l'idée du "c'était mieux avant". Et juste avant d'ouvrir ma grande bouche me revient en tête que pendant mon enfance, on parlait de l'IRA et de l'ETA fort souvent au journal télévisé, et puis les attentats de Saint-Michel, le World Trade Center,Toulouse, les annus (avec deux n, on ne parle pas de mon Boku aujourd'hui) horribilis 2015 et 2016, et ça c'est juste une seconde de flash back dans mon cerveau. Je ne peux même pas imaginer sa tête si je remonte aux Croisades et à l'Inquisition Espagnole.

Je devais avoir l'air parfaitement con avec les yeux dans le vide à chercher quoi lui dire, quand il est fort heureusement passé à autre chose. Le gâteau qu'il va faire pour soigner son rhume d'homme et mon lumbago. Il jette son dévolu sur la recette de brownie de mon ancienne collègue et amie Niamh. Qui est, comme il se doit, écrite en anglais puisque Niamh est plein de choses dont : anglo-irlandaise. Et évidemment il a perdu le bout de papier où il avait noté ma traduction à la volée.

Me voici donc à convertir des degrés Farenheit en Celsius et à lui expliquer les merveilleuses concordances entre la cuiller à café et la teaspoon (à ne pas confondre avec la cuiller à moka). OK c'est un truc un peu basique à traduire mais c'est évidemment ce moment qu'il choisit pour lire par dessus mon épaule et me demander pourquoi il m'a toujours entendu dire "Nive" alors que j'écris Niamh en titre de la recette.

Non, je ne parle pas gaëlique, mais j'ai suffisamment bossé avec elle pour passer le cap de la dissonance cognitive à écrire amh pour que ça se prononce v. En revanche quand on doit en même temps taper la recette en VF et philosopher sur l'étrange idée que des humains inventent des systèmes différents pour mesurer la même chose, ça commence à faire beaucoup.

Bref, je finis par lui imprimer sa recette en attendant le moment où il va revenir à la charge avec d'autres questions métaphysiques. Comment je vais lui dire que je n'ai pas le début d'une idée de pourquoi on peut devenir le mal absolu, qu'il y a des inhibitions telles à faire sauter pour pouvoir se dire à la cool qu'on tuerait bien quelques centaines ou milliers de personnes, là, pour se défouler. Quand il décide d'appeler sa grand-tante. A qui il apprend actuellement qu'Alfred Nobel a inventé la dynamite et était fabriquant d'armes, ce qui est super bizarre pour un inventeur de prix dont celui de la paix.

J'ai une demi-heure de répit.

Et après on se demande pourquoi le monde est méchant. Vous avez déjà essayé de répondre à toutes les questions d'un môme, vous ???