mardi 6 mai 2025

Sur le seuil

Hier soir, j'ai déposé le peut-être futur docteur N au milieu d'un champ d'avions.

Ou, plus clairement, on a pris la bagnole et affronté deux heures de bouchons pour arriver à son hôtel, proche de son lieu d'examen pour aujourd'hui et demain, à Villepinte (son parc des expos, rien d'autre, enfin pas qu'il m'ait été donné de découvrir).

C'est assez chouette dans une vie de parent d'enfant grandi de pouvoir se rendre utile.

Je m'explique, ce môme a bossé comme un damné depuis le mois de septembre, sur des sujets auxquels je ne comprends pas grand chose. Alors à part me laisser raconter ses cours pour l'aider à mémoriser et un appui logistique, je ne lui suis d'aucune aide ; il est désormais dans une tranche de vie où il est désormais seul face à son destin. Oui, je suis dramatique si je veux.

Alors quand le RER B est en grève et me donne l'occasion de faire un truc pour lui, je me précipite. Histoire de. C'est dur, l'impuissance.

Bref, on a écouté de la musique, il a laissé ruisseler une part de stress sur moi. Je l'ai accompagné jusque dans sa chambre, on a regardé quelques avions nous passer juste au-dessus.

Et puis je l'ai serré dans mes bras, lui ai dit que je l'aimais et l'ai laissé seul avec ses dernières révisions. Comme un grand qu'il est. Alors qu'on se souvient tous de ce moment où il n'était qu'un petit mammifère au creux de mon bras, avant-hier, à peine.

Son sens de l'organisation a largement dépassé le mien (qui n'est pourtant pas en toc).

Je suis époustouflée par sa maturité devant la charge de travail, son endurance, sa résolution. Moi, à 18 ans, j'étais très occupée à lire beaucoup de livres, écouter beaucoup de musique et essayer beaucoup de garçons. Et même maintenant... sans parler de cette fibre scientifique tout à fait inédite dans la famille.

Bref, cet enfant force mon admiration.

Alors je me rends utile comme je peux et surtout : je lui fais confiance. Il n'a tellement plus besoin de moi pour savoir quoi faire. Il me reste à l'aimer.

Edit du 7 mai : jour 1 globalement bien passé, jour 2 en démarrage, gros dodo en vue dans quelques heures.

vendredi 2 mai 2025

Des gens

Il fait, depuis quelques jours — et jusqu’à l’orage prévu dans quelques heures — un temps d’été à Paris.

Ajoutons à la météo un jour férié, et l’ambiance de la ville devient digne d’une station balnéaire. Les filles et les femmes portent des tenues plus joyeuses, plus virevoltantes ou plus courtes, la démarche légère de celles qui peuvent enfin offrir un peu de peau au soleil. Les garçons et hommes sont heureux de les contempler, car tout le monde — enfin, tout le monde qui en vaut la peine — le sait : c’est la joie des femmes qui les rend belles. (Sans parler des femmes qui contemplaient les femmes, les hommes qui s'enjaillaient à mater les hommes et tout ce que l'arc-en-ciel propose).

En tout cas, c’est une jolie façon de raconter cette atmosphère légère et détendue qui flottait sur la capitale hier.

Si seulement on arrivait à s’en souvenir le reste de l’année…

Paris et sa proche banlieue, peuplées de trop de gens, de trop de stress : on y est bousculés ou bousculants, maltraités ou maltraitants. Bref, on s’en prend plein la figure dès qu’on met le nez dehors. Et c’est bien compréhensible : chacun, chacune, protège un petit bout d’espace vital, court après le temps qui manque.

Impossible de faire taire le oumpf grognon et la pensée désagréable à l’égard de notre congénère, bien appuyé sur notre épaule dans le métro, ou pesant de tout son honnête poids sur nos orteils. Ou puant — du corps ou de l’âme.

Presque tous les jours, je laisse passer ces pensées peu aimables, et me contrains ensuite à formuler in petto : « Allez, il/elle fait comme il peut. »

Pas par angélisme, mais parce que si on commence à considérer que tous les autres sont l’ennemi, c’est mal barré.

Et puis l’éducation, les codes, ne sont pas si universels que ça. L’attention à l’autre varie d’un individu à l’autre. Les dernières décennies nous ont installés dans un individualisme féroce. C’est pénible pour tout le monde — et que celui ou celle qui est irréprochable en toutes circonstances me jette la première pierre. Pour un véridique et ultime connard, il y a une immense majorité de gens qui font ce qu’ils peuvent avec qui ils sont, et voilà. Curieusement, ça rend la vie plus simple de ne pas monter dans les tours à chaque micro-agression urbaine.

Et pour récompense, si on regarde attentivement, tous les jours, on voit des gens qui montent le niveau. Qui disent bonjour au chauffeur du bus, retiennent le coude d’une dame vacillante sous la force du freinage, aident à porter une valise, à soulever une poussette plus ou moins garnie. Alors c’est comme tout : on retient surtout ce qui va mal — ce retard épouvantable à cause d’un arrêt interminable dans une rame bondée entre deux stations, ce chauffard qui nous aurait écrasé plutôt que de ralentir… Mais je vous jure, il y en a plein, des chouettes gens, dans cette foule. C’est doux de les regarder. Et c’est pas mal d’essayer de les imiter, une fois de temps en temps.

Ça, et savourer les journées de grâce — comme hier. Voir une belle expo en bonne compagnie, partager Paris et sa banlieue avec des gens de bonne humeur, sourire au beau temps et à la lumière. Ce genre de journée où la principale préoccupation est de savoir si on se prend ou non un casse-croûte au caviar (non, je rigole).

Sans naïveté ni candeur, sans œillères, mais ouverts à l’idée que ce n’est pas toujours l’enfer. Loin de là.