J'ai attrapé un Covid, un vrai, comme en 2O2O, trois jours horribles de forte fièvre, toux, maux de tête, les premiers informés (mes "cas contact", comme on disait alors) hilares, moi seule à la maison, personne pour compatir à travers la porte, pour faciliter quoi que ce soit.
Je me suis sentie seule à en crever, je vous le dis.
Et puis les suivants ont été plus compatissants (oui, il y a des cas en ce moment et le variant du moment tabasse, malgré la contamination précédente et les souvenirs de vaccins), la fièvre en moins, la toux plus légère. J'ai même pu lire, aujourd'hui (imaginez-vous : ne pas lire, ou pas plus de quelques pages, pendant trois jours, TROIS JOURS de suite, et étonnez-vous de mes pensées obscures).
J'ai bingé les premières saisons d'Urgences, pas revues depuis 3O ans, pour occuper les longues heures gémissantes.
Et bien croyez-moi, la vie dans la fiction n'est pas une chose facile.
Non parce que nous, on est là, à se lamenter, à savoir qu'on va crever de chaud et du fascisme à la fois, que le pire est à venir et que l'espèce humaine nous désespère - ainsi que l'amour.
Mais pendant ce temps-là, figurez-vous qu'il y a un pauvre mec qui a été à la fois l'interne du Dr Benton et le souffre-douleur de Dr House. Mais oui. Et ça m'avait totalement échappé lors des premiers visionnages de chaque.
L'état dans lequel les riches et puissants de ce monde a mis les réseaux sociaux, la fatigue militante, l'épuisement lié à l'exposition constante du pire du café du commerce, la dispersion des pensées qu'on aime lire/écouter a au moins un effet fort positif : des blogs ouvrent.
Parmi eux, j'attire votre attention sur l'un qui vient d'émerger (enfin vu la quantité de lecteurs qu'on a en commun, vous savez sans doute déjà, mais si vous ne saviez pas, ça serait dommage) : Le cri du goéland le soir au dessus des jonques.
Pour les non sudistes, on dit aussi gabian (pour goéland, pas pour jonque), et le gabian-goéland, on le sait, a un cri doux et mélodieux (arf) ce qui ne m'empêchera pas de vous assurer avec certitude que nous allons passer, avec ce blog, de bien belles heures de lectures érudites, jolies, drôles et pédagogues.
La fin du billet inaugural, si je n'ai pas réussi à vous inciter à cliquer, dit ceci : "Comme quoi il faut toujours faire attention : une image peut en cacher une autre."
C'est bon ? Convaincus ?
Méfiez-vous un peu quand même, je crains que ce blog ne déclenche de la connaissance supplémentaire, de la rêverie, de l'ouverture à des mondes lointains. Par les temps que nous vivons, ça risque de faire de vous des gens dangereux.
Je ne sais plus si j'ai déjà raconté ici[1], il y a, juste de l'autre côté de la rue par rapport à mon bureau, un appartement qui me fait rêver.
On le voit depuis notre toit-terrasse, avec sa grande baie vitrée, sa terrasse confortable, je lorgne dessus comme si j'avais les moyens d'une pareille envie. J'y installerais bien livres et orchidées pour y couler des jours contemplatifs, exposée plein Est.
Comme vous le voyez maintenant, cet appartement est au dernier étage, légèrement plus bas que nous, et bénéficie d'une vue assez chouette sur... moi quand je glande fais une pause au soleil ou bois mon premier café de la journée. Enfin on doit voir deux ou trois trucs, au loin, de type architectural, quand même.
Il y a peu j'ai constaté qu'il était habité.
Par un mec qui doit penser qu'il n'a aucun vis-à-vis, se lève vers l'heure de mon café, et déambule à poil chez lui comme s'il était seul au monde.
Je le sais parce que l'autre jour, je regardais distraitement dans sa direction quand je l'ai vu passer, puis repasser, pui re repasser, très à l'aise.
Il n'est même pas si ugly que ça, le naked guy. Un corps d'humain pas très jeune, ni très mince, mais heureux d'offrir sa peau à l'air, voilà.
Depuis ce matin, je sais que c'était aujourd'hui son jour de changement de draps et qu'il vit avec un autre monsieur (qui lui se vêt quand il se lève).
C'est fou, ce qu'on apprend des gens, quand on regarde distraitement au loin.
Note
[1] Si vous saviez à quel point j'oublie ce que j'écris sur mes blogs, vous seriez atterrés.
Bon. Quelques-uns d'entre vous ont ricané quand j'ai annoncé avoir craqué le truc de la table de nuit incapable de contenir une pile à lire digne de ce nom.
De fait, c'est une victoire : non seulement je peux en accueillir bien plus qu'avant, mais en plus je peux faire des piles verticales si l'alignement horizontal ne suffit plus ; les capacités d'extensions sont encore prometteuses.
Evidemment, les choses étant ce qu'elles sont, une réaction en chaîne se créé. Au fur et à mesure que je les lis, ils migrent de la pile à lire aux étagères.
Qui sont pas loin d'être pleines, malgré mes efforts pour anticiper et garder un peu de place.
Donc, ça bouge.
Je dépose régulièrement des livres à la boîte à livres, ou à la bouquinerie à l'intérieur du marché. Il y a un petit piège, qui consiste à ne pas repartir chargée de livres trouvés sur place, dans lequel je tombe régulièrement.
Et puis, si la plupart du temps je m'en fous, je suis en ce moment assez peu satisfaite du rangement des étagères (pourquoi ? aucune idée, je ne dois rien avoir de mieux à penser). Donc je fais des essais et je déplace des piles. Ca me permet de constater que la femme de ménage ne fait la poussière que sur les surfaces absolument complètement vides. Donc : pas sur le devant des étagères, car il y a des livres dedans. Bref).
Je crois que je suis à peu près arrivée à un truc qui fonctionne dans ma chambre ; si vous voulez voir qui je suis, allez inspecter les bouquins qui y sont rangés.
Dans le salon, pas du tout.
J'attends donc stoïquement de m'en foutre à nouveau.
Et je zieute les endroits de l'appartement où je pourrais caler une ou deux Billy de plus, quand la crise des étagères pleines reviendra (un non problème qui fait ma joie depuis quasi 5 décennies).
Autant vous dire que les choses ne vont pas dramatiquement mal.
Une sorte de "et la santé bien sûr" des jours hors fêtes.
Régulièrement, quand on est une meuf, la notion de "prendre soin de soi" englobe plus ou moins consciemment l'idée de soin du corps. Massage, coiffeur, manucure, etc.
Pour n'étonner personne, c'est une vision du soin de soi qui me fait remonter les épaules au niveau des oreilles, grincer des dents et fuir en courant. Je veux dire : dans le meilleur des cas, ce genre d'activités m'ennuient profondément.
Ca n'est même pas une question de contact ; c'est plutôt une question de choix de la personne qui nous touche (et éventuellement de genre d'activité. Je veux dire, le mec idéal m'ennuierait puissamment s'il lui prenait l'idée saugrenue de me faire une manucure).
Si on élimine les "soins de soi" qui nécessitent une autre personne (se lover au creux de bras aimés, ça demande un nombre de paires de bras supérieur à un, pour être pleinement satisfaisant à mon sens. Je sais que certaines personnes s'entourent elles-mêmes de leurs bras et que ça doit être vaguement bon pour le système nerveux, moi ça me donne l'impression d'être pathétique à me rappeler que personne n'a envie d'ouvrir les siens pour moi. Sauf Cougarillon quand je fais une sale tête mais il est contractuellement obligé. Bavarder au fil des mots, je peux faire seule mais c'est mieux à deux, ou plus), me restent : du temps à rêvasser, du temps pour lire, pour écouter de la musique. Aller voir un film, bon, de préférence, prendre des photos, même pas très bonnes.
La bonne nouvelle c'est que c'est assez facile à réaliser avec un budget raisonnable.
Pas comme "aller voir ailleurs comment y sont les gens", qui est une activité qui me fait du bien aussi mais dans des conditions moins simples et moins accessibles.
La mauvaise c'est que j'ai mis si longtemps à m'en rendre compte.
Matin griffu : je n'ai pas assez dormi (beaucoup pas assez, je suis habituée à un peu pas assez). Je me sens épineuse et facile à blesser.
Matin seule : aucun enfant n'a dormi à la maison. Me voici prête tôt.
Alors matin promenade, descendons un arrêt avant pour marcher un peu, prendre une dose de soleil, passer par un autre itinéraire que d'habitude. Pas pressée d'arriver.
Et toute griffue et épineuse que je suis, je finis par dégainer de quoi fixer une ou deux ou trois images. Souvent pas très nettes, j'attrape au vol, je cadre à peine, souvent je ne m'arrête même pas. On s'en fout, c'est pour ma carte postale intérieure, on verra bien, au pire je jette, au mieux de l'indulgence. Le sourire me vient, enfin. Pas trop large, mais suffisant.
Ce matin donc, entre Place de Clichy et le bureau via Blanche, j'ai vu ça.
Dans mon entourage il y a des gens à mémoire supersonique. E. et S. sont capables de se souvenirs de faits lointains avec une acuité saisissante, B. restitue au mot près des phrases entendues il y a des mois. Alors moi, avec ma mémoire des détails plus ou moins utiles, des émotions et impressions, je me sens assez banale, en comparaison.
Mais quand même, et je l'en remercie, ma mémoire est une bonne alliée de mon existence. Elle vient de me ressortir de nulle part la date de l'anniversaire du mec qui était mon amoureux quand j'avais 16 ans, un peu moins de deux heures avant qu'il ne soit trop tard pour le lui souhaiter[1]. Hashtag la classe.
Je sais que je vais avoir horreur de pouvoir de moins en moins compter sur elle en vieillissant, de façon assez probable.
La mémoire c'est particulier, on croit, comme pour tout, que les autres font comme nous, nombrils de notre monde que nous sommes, que c'est assez universel mais il en est autant de formes que de personnes. Si on ajoute à ça une drôle de façon de réécrire nos souvenirs pour boucher des trous, masquer des traumas, faire de la logique artificielle... Il y a des souvenirs de la vie familiale partagés dont je suis bien incapable de vous dire si c'est mon père ou moi, ou aucun des deux, qui a la "bonne version" ; s'il existe une telle chose, évidemment.
Or donc, j'ai cru, longtemps, que la mémoire était ce qui servait à créer une histoire commune sur la base de souvenirs. Et à se rappeler les trucs importants.
J'ai passé ensuite un moment à assimiler l'idée que les souvenirs communs n'étaient donc pas forcément si communs que ça. Et va définir ce qui est important. C'était tellement important de me souvenir du numéro de téléphone de la maison, quand j'étais enfant, que je le connais encore par coeur, alors que je suis infoutue de mémoriser ceux, parfaitement actuels et potentiellement cruciaux, de mes enfants. On repassera.
Finalement, ces histoires de mémoire, ça m'a menée à un endroit assez inattendu. Imaginez un jour croiser le chemin de quelqu'un qui a une version extrêmement personnalisée de la mémoire. Pleine d'une infinité de choses fort utiles mais qui peine à retenir des informations récentes.
C'est déconcertant, un peu.
Et puis, ça pose des questions un peu absurdes. C'est toujours absurde, ce qui se noue dans nos têtes, quand on est confronté à un fonctionnement très différent du nôtre, surtout si aucune des deux parties en présence n'a le contrôle sur quoi que ce soit. Une fois qu'on établit que la personne en face se souvient quand même de qui vous êtes, il faut déconstruire aussi tout ce qui nous sert de repère, souvent. Ca oblige à un sévère face-à-face avec sa Bavarde.
Peut-être que ça n'est pas parce qu'on ne se souvient pas d'un truc évoqué au cours d'une conversation que c'est un manque d'intérêt. Peut-être qu'il y a des réponses qui ne viendront pas se coller en face des questions d'une façon attendue et conventionnelle. Peut-être que là n'est pas le plus important. Peut-être que c'est une autre façon de s'apprendre.
Peu à peu la Bavarde s'apaise, se tait, ou presque. Surtout quand on ajoute à la confiance une bonne dose de pragmatisme qui vous fait contourner les sujets à potentiel douloureux par une bonne vieille expression de besoin des familles. C'est étonnant, d'ailleurs, d'en arriver à dire simplement "moi, ce qui me va le mieux, c'est ça". Les nœuds qui se dénouent c'est vraiment un truc qui vaut la peine de vieillir, je vous le dis.
Et puis les gens qui n'ont pas de mémoire ont un avantage fantastique, on peut leur dire une connerie énorme, il suffit d'attendre le lendemain et pouf. Le truc a disparu. Magique. (Ne faites pas ça chez vous, c'était juste pour rire).
Des nœuds de lacets qui se dénouent. Enfin ils ne se dénouent plus depuis qu'Anna m'a appris ce matin l'existence du nœud de cordonnier, mais on s'en fout, c'est juste une métaphore.
Note
[1] On s'est recroisés il y a relativement peu, sinon ça ferait 33 ans que je lui souhaite à la bonne date, rien d'anormal !
Hier soir, j'ai déposé le peut-être futur docteur N au milieu d'un champ d'avions.
Ou, plus clairement, on a pris la bagnole et affronté deux heures de bouchons pour arriver à son hôtel, proche de son lieu d'examen pour aujourd'hui et demain, à Villepinte (son parc des expos, rien d'autre, enfin pas qu'il m'ait été donné de découvrir).
C'est assez chouette dans une vie de parent d'enfant grandi de pouvoir se rendre utile.
Je m'explique, ce môme a bossé comme un damné depuis le mois de septembre, sur des sujets auxquels je ne comprends pas grand chose. Alors à part me laisser raconter ses cours pour l'aider à mémoriser et un appui logistique, je ne lui suis d'aucune aide ; il est désormais dans une tranche de vie où il est désormais seul face à son destin. Oui, je suis dramatique si je veux.
Alors quand le RER B est en grève et me donne l'occasion de faire un truc pour lui, je me précipite. Histoire de. C'est dur, l'impuissance.
Bref, on a écouté de la musique, il a laissé ruisseler une part de stress sur moi. Je l'ai accompagné jusque dans sa chambre, on a regardé quelques avions nous passer juste au-dessus.
Et puis je l'ai serré dans mes bras, lui ai dit que je l'aimais et l'ai laissé seul avec ses dernières révisions. Comme un grand qu'il est. Alors qu'on se souvient tous de ce moment où il n'était qu'un petit mammifère au creux de mon bras, avant-hier, à peine.
Son sens de l'organisation a largement dépassé le mien (qui n'est pourtant pas en toc).
Je suis époustouflée par sa maturité devant la charge de travail, son endurance, sa résolution. Moi, à 18 ans, j'étais très occupée à lire beaucoup de livres, écouter beaucoup de musique et essayer beaucoup de garçons. Et même maintenant... sans parler de cette fibre scientifique tout à fait inédite dans la famille.
Bref, cet enfant force mon admiration.
Alors je me rends utile comme je peux et surtout : je lui fais confiance. Il n'a tellement plus besoin de moi pour savoir quoi faire. Il me reste à l'aimer.
Edit du 7 mai : jour 1 globalement bien passé, jour 2 en démarrage, gros dodo en vue dans quelques heures.
Il fait, depuis quelques jours — et jusqu’à l’orage prévu dans quelques heures — un temps d’été à Paris.
Ajoutons à la météo un jour férié, et l’ambiance de la ville devient digne d’une station balnéaire. Les filles et les femmes portent des tenues plus joyeuses, plus virevoltantes ou plus courtes, la démarche légère de celles qui peuvent enfin offrir un peu de peau au soleil. Les garçons et hommes sont heureux de les contempler, car tout le monde — enfin, tout le monde qui en vaut la peine — le sait : c’est la joie des femmes qui les rend belles. (Sans parler des femmes qui contemplaient les femmes, les hommes qui s'enjaillaient à mater les hommes et tout ce que l'arc-en-ciel propose).
En tout cas, c’est une jolie façon de raconter cette atmosphère légère et détendue qui flottait sur la capitale hier.
Si seulement on arrivait à s’en souvenir le reste de l’année…
Paris et sa proche banlieue, peuplées de trop de gens, de trop de stress : on y est bousculés ou bousculants, maltraités ou maltraitants. Bref, on s’en prend plein la figure dès qu’on met le nez dehors. Et c’est bien compréhensible : chacun, chacune, protège un petit bout d’espace vital, court après le temps qui manque.
Impossible de faire taire le oumpf grognon et la pensée désagréable à l’égard de notre congénère, bien appuyé sur notre épaule dans le métro, ou pesant de tout son honnête poids sur nos orteils. Ou puant — du corps ou de l’âme.
Presque tous les jours, je laisse passer ces pensées peu aimables, et me contrains ensuite à formuler in petto : « Allez, il/elle fait comme il peut. »
Pas par angélisme, mais parce que si on commence à considérer que tous les autres sont l’ennemi, c’est mal barré.
Et puis l’éducation, les codes, ne sont pas si universels que ça. L’attention à l’autre varie d’un individu à l’autre. Les dernières décennies nous ont installés dans un individualisme féroce. C’est pénible pour tout le monde — et que celui ou celle qui est irréprochable en toutes circonstances me jette la première pierre. Pour un véridique et ultime connard, il y a une immense majorité de gens qui font ce qu’ils peuvent avec qui ils sont, et voilà. Curieusement, ça rend la vie plus simple de ne pas monter dans les tours à chaque micro-agression urbaine.
Et pour récompense, si on regarde attentivement, tous les jours, on voit des gens qui montent le niveau. Qui disent bonjour au chauffeur du bus, retiennent le coude d’une dame vacillante sous la force du freinage, aident à porter une valise, à soulever une poussette plus ou moins garnie. Alors c’est comme tout : on retient surtout ce qui va mal — ce retard épouvantable à cause d’un arrêt interminable dans une rame bondée entre deux stations, ce chauffard qui nous aurait écrasé plutôt que de ralentir… Mais je vous jure, il y en a plein, des chouettes gens, dans cette foule. C’est doux de les regarder. Et c’est pas mal d’essayer de les imiter, une fois de temps en temps.
Ça, et savourer les journées de grâce — comme hier. Voir une belle expo en bonne compagnie, partager Paris et sa banlieue avec des gens de bonne humeur, sourire au beau temps et à la lumière. Ce genre de journée où la principale préoccupation est de savoir si on se prend ou non un casse-croûte au caviar (non, je rigole).
Sans naïveté ni candeur, sans œillères, mais ouverts à l’idée que ce n’est pas toujours l’enfer. Loin de là.