lundi 28 avril 2025

La propriété, c'est le vol

Non, ceci n'est pas un billet anarchiste.

C'est pire.

Figurez vous que des choses traversent parfois mon cerveau, le matin au café, quand je contemple les toits de Paris.

Vue des toits du nord de Paris depuis celui de mon bureau.

Certains jours j'ai une vue d'ensemble, paysage urbain labellisé "admiré par le monde entier", des monuments en veux-tu, en voilà, le jeu des nuages ou de leur absence dans le ciel, aux bonnes heures des bonnes bonnes saisons, le lever du soleil.

D'autres matins, je fais le tour des appartements autour. Il y en a un dans lequel je me verrai bien vivre, grande verrière vers l'est, il doit y faire un peu chaud en été mais une petite terrasse, des plantes, de la lumière, c'est ma came. Pas dans mes prix, mais mon genre.

Parfois, ça me saisit, ce rapport au "chez soi". A perte de vue et à 360 degrés autour de moi, des appartements dans des immeubles. Des petits boîtes dans des grandes boîtes. On y met nos vies, nos papiers importants, nos enfants et animaux. On y vit, mange et dort, on y meurt parfois. Ce "chez nous" devient l'épicentre de notre existence, l'endroit où on revient. On y rêve, on s'y ressource, on s'y sent en sécurité. Nos tanières. Bien à l'abri de la nature dans laquelle nous serions bien peu à pouvoir survivre, comme ça, en un claquement de doigts.

Il arrive parfois qu'on s'y fasse cambrioler, que le feu ou l'eau s'emparent de ce qui nous est précieux et c'est, dit-on, un immense traumatisme. Le coeur de notre intimité ravagé, par malveillance ou pas de chance, ça se conçoit aisément.

Et pourtant, ils sont si fragiles, nos cubes, si vains face à la puissance de la terre et de ce qui s'y produit. J'ai vu un documentaire, un jour, qui disait qu'il faudrait, en cas de catastrophe, une centaine d'années à la nature pour reprendre ses droits, y compris sur le béton. Je ne sais pas quelle était la crédibilité de ce doc, je ne me souviens pas de grand chose. Mais bon, notre cube refuge, celui qui contient tout de nous, si fragile que ça ? On s'endette, parfois, pour revendiquer une propriété sur ce cube plein d'air et de nos objets préférés... on paye des décennies durant pour acheter quelque chose qui est à la fois totalement matériel, une porte contre les bêtes sauvages, un toit contre les intempéries, c'est tangible, et à la fois si absurde ; de l'air dans une boîte qui sera détruite un jour, qui ne portera même plus l'empreinte de notre présence. Le tout pouvant être réduit à rien en une poignée de secondes, de minutes, peut-être.

Oui, je sais. C'est comme la vie, finalement.

Mais quand même, cette absurdité à troquer argent contre droits d'occupation d'un volume d'air délimité par des murs périssables, il y a des jours où ça me retourne le cerveau.

Heureusement c'est fugace, le reste du temps, je me souviens qu'il faut remplir le frigo, passer l'aspirateur, faire l'état des lieux des enfants rentrés ou sortis, des conneries des chats, de l'arrosage des plantes, des machines à faire tourner et de l'électricité qu'il faudrait refaire, un jour, si j'étais riche. La déco aussi, tant qu'à être debout. Et puis, ma maison, c'est là que sont mes livres, alors abstraction ou pas...

dimanche 27 avril 2025

Carte postale

Il y avait du bleu, du gris, du jaune.

Il y avait du vent, de la pluie, du soleil, du sable, des galets, de l'eau salée à perte de vue.

Il y avait des copains à retrouver, d'autres à découvrir, des câlins à se faire, un enfant à remettre sur pied, puis à sécher, un gentil chien à la maison et un drôle de chien à la place, des gabians en masse.

Il y avait du bon dans les assiettes et dans les verres, des choses à apporter, d'autres à rapporter.

Il y avait des rires et des choses sérieuses.

mercredi 23 avril 2025

Démarrage en trombe

Le départ en vacances a été un peu tonique.

Disons que l'enfant qui m'accompagne, récupéré de la fin de journée la veille, a, dès le réveil montré des signes de défaillance digestive. De type vomissage dans le couloir à 6h15 du matin. Nettoyage du couloir, du fils, on a quand même réussi à attraper notre train et au bout d'une heure....

Idem. Dans le train. Sachez-le, les jours fériés, tout ce qu'on obtient de la SNCF en pareil cas est un sac poubelle et un rouleau de papier absorbant.

Et la tête en biais des voisins de voiture à qui on a fait passer un inoubliable voyage.

Bref, on est arrivés à l'heure voulue au lieu voulu, le gamin a fait une sieste de quatre heures et on est allés se promener dans l'air vivifiant de la mer pour reprendre nos esprits.

C'est seulement en mettant mes chaussures pour la promenade que je me suis rendu compte que...

Baskets dépareillées
avr. 2025

J'ai dû être distraite par autre chose au moment de quitter la maison.

(C'est strictement le même modèle, seule la "déco" change, pas de gêne à déplorer, juste un éclat de rire)

dimanche 20 avril 2025

Ame d'enfant

"Il faut garder son âme d'enfant".

Longtemps cette injonction m'a laissée de marbre. Un peu inquiétée, même. Je n'avais pas l'impression d'avoir d'âme d'enfant, d'ailleurs, déjà petite, on me disait que j'avais des airs de sorcière au regard perçant, alors les enfantillages...

Si je me plonge dans mes souvenirs de jeux, il y a quelques montages de forts Playmobil avec mon frère, qui me reviennent. Ou quand on enregistrait le journal sur le magnétophone, avec le même. Des virées dans les bois, entre mômes du village. Les soirées pyjama avec mon amie V.

Mais pas vraiment de souvenirs de jouets / jouer.

Juste la hâte de lire. Je me souviens comment chez V., justement, j'ai découvert "Les cornichons au chocolat" alors que je n'ai aucun souvenir d'à quoi on avait joué avant ou après. Papoté, ça c'est sûr, mais jouer ? Ca consiste en quoi, jouer ?

D'ailleurs avec mes enfants j'ai été nulle à ça, m'assoir par terre et faire vroum vroum, c'est quasiment une impossibilité physiologique (pas la partie m'assoir par terre).

En revanche je leur ai lu des centaines d'histoires, je leur ai raconté le monde.

Et bim. A la faveur d'un petit séisme intérieur[1], j'ai compris.

Je n'ai jamais eu de problème à garder mon âme d'enfant, au point que ça n'était pas une question, puisque je n'ai jamais cessé[2] de faire ce qui me ravissait alors : prendre un livre et partir dans un monde que lui et moi on se fabriquerait.

Notes

[1] Absolument rien qui ne soit agréable, mais dans le genre qui met tout en bordel sur son passage, l'agréable.

[2] Sauf l'année qui a suivi la naissance de Cro-Mi, débordée, mal partout dedans dehors, j'ai cru en crever, de ne pas pouvoir lire.

vendredi 18 avril 2025

On change, on vieillit

J'ai dû me faire, ces jours-ci, un aveu qui ne m'a pas plu du tout.

Imaginez-vous bien que, depuis 49 ans — bientôt 50 —, je me promène avec cette sorte de résilience à toute épreuve : dure à cuire mais sensible quand même, capable de me remettre sur pied, blablabla, bullshit and so on.

Bon.

J'ai constaté que je gérais moyennement bien la tristesse, en ce moment.

Enfin, on se comprend. La paire d’années 2023-2024 est passée par là, terrifiante à plus d’un point de vue : crainde de perdre ma mère, perdre un ami, me jeter à corps perdu dans une nouvelle tranche de vie, galérer tellement à trouver le bon dosage de la bonne molécule que j’ai cru, parfois, ne plus jamais me sentir bien.

Vous allez vous foutre de moi, mais ça prend du temps de se remettre, figurez-vous. Y a pas un jour youpla, tout va bien à nouveau, ou presque.

Il y a du mieux qui gagne, petit à petit. Et puis des jours sans, avec ou sans raison évidente.

Et des jours tristes, parfois.

Pas un drame.

Avant, quand j’étais triste, j’étais juste triste. Je pleurais toutes les larmes de mon corps, s’il le fallait. Je traînais mon drama le temps qu’il fallait, en général quelques heures, quelques jours, et puis c’était reparti.

Maintenant, quand le flot monte, je sens mes épaules remonter jusqu’à mes oreilles, tout mon corps se crisper, et un cri du cœur qui dit : « Oh non, putain, ça revient. »

Une sorte d’onde de choc qui n’en finit plus de se propager en cercles concentriques — mais dans l’autre sens (je fais les images bizarres que je veux, c’est mon blog, bordel).

Fort heureusement, ça passe. De plus en plus vite, j’ai l’impression. Mais ne nous portons pas la poisse avec des constats trop optimistes.

On change ; je n’ai plus de super-pouvoir pour contrer la tristesse.

On vieillit ; les stocks d’insouciance sont de plus en plus bas chaque année. Raison de plus pour en fabriquer dès qu’on peut. Ne serait-ce que quelques secondes.

mardi 15 avril 2025

La courbe de digestion

Il y a une courbe de la digestion.

Sur le coup, trois stratégies possibles. Toutes perdantes. "Mal" réagir, s'offusquer, crier, reprocher. c'est la porte ouverte au "tu n'as pas d'humour, tu te prends au sérieux, tu interprètes" et à l'ouverture d'un conflit que je n'ai aucune envie de déclencher. Comme dans tout acte de terrorisme, il y a des victimes collatérales et le moins elles s'en prennent plein la gueule par ma faute, le mieux je peux me regarder dans le miroir.

Ne pas réagir. Faire comme si la flèche n'en était pas une, rire pour de faux, ignorer, répondre à côté ou très sérieusement. Faire la bête. C'est celle que j'emploie le plus souvent. En toute connaissance de cause ; faire comme si de rien n'était, c'est lui donner le droit de recommencer. De toute façon il le prendra. Il aura la satisfaction de son trait d'esprit, pas celle de me voir me tortiller de douleur sous son nez et de pouvoir enfoncer le clou.

Supprimer les contacts, ce qui reviendrait à ne plus en avoir, ou quasi pas, avec une de mes personnes préférées au monde.

Il y a quelques jours je faisais ce que je pouvais pour esquiver souplement. Autre chose à foutre, plus urgent, plus prioritaire. Après tout, on ne parle pas de coups ou d'agressions physiques d'aucune sorte. Mettons ça à la bonne hauteur sur l'échelle de la gravité.

Même la Bavarde, qui a utilisé ce carburant avec délectation pendant des années, soupire, lève les yeux au ciel et me regarde l'air de demander si je le crois ou pas.

Non point. Plus maintenant.

La courbe de la digestion, donc. J'encaisse la violence des mots, j'ai un peu pitié de lui. Puis j'ai honte pour lui des dommages qu'il fait aux autres, aux miens. Puis vient une colère triste. Ca, c'était cette nuit. Et la vie reprend son cours, lentement.

Qu'on ne me demande pas ce qu'est cette résistance à planifier la prochaine occasion, pour autant[1].

(Une photo sans aucun rapport et pour laquelle j'ai renoncé à la fois aux concepts d'horizontalité et de verticalité.)

Note

[1] Je sais, tout ceci est cryptique.

vendredi 11 avril 2025

Mes copains du métro

En finissant de rentrer de ma belle bleue, tout à l'heure, j'ai fait connaissance d'une bande d'enfants dans le métro. Une demi douzaine d'enfants vifs et joyeux, cornaqués par une dame entre deux âges.

Au fil des places qui se libéraient autour de moi, je me suis retrouvée cernée par une, puis deux, puis trois, puis une autre en biais. Celle assise à côté de moi admirait les pattes d'épaule de mon perfecto, qui lui auraient tout à fait convenu pour garder en place son sac à dos, a-t-elle fini par me confier. J'ai cru voir un œil jaloux sur mon propre sac à dos mais ceci est une autre histoire.

Elle m'a ensuite fait admirer les lunettes de soleil de sa camarade assise en face de moi ; forme de coeur, strass, la paire parfaite pour une gaminette de 7 ou 8 ans qui s'exclamait "tout le monde me regarde ! "

Miss Sac à Dos me dit alors "c'est la marquise de Carabas !"

Je lui ai aussitôt demandé des nouvelles du chat botté, qui ne lui disait rien a priori, mais lui est revenu en tête quand toute la bande s'est mise à lui rappeler l'histoire, ou en tout cas une version approximative.

Miss Sac à Dos trouvait d'ailleurs que le chat botté n'avait pas de cœur, à manger de délicieux petits mammifères.

C'est ainsi que toute la bande a fini par rigoler devant une photo de Maïa en train de bouffer le vert des poireaux qui dépassait de la poubelle. "Vous lui direz, qu'elle est bizarre, les chats, ça ne mange pas de poireaux". Je lui ai répondu que j'étais bien d'accord avec son approche diététique mais que le chat ne m'avait pas cru.

Ma station est arrivée et je les ai quittés en leur disant que j'étais très heureuse de les avoir croisés.

Ils m'ont fait de grands saluts et j'ai fini mon trajet ravie de nos échanges absurdes et drôles. J'aime, chez les enfants, cette capacité à s'engouffrer dans n'importe quelle conversation, je ne sais pas ce qu'il faudrait changer au monde pour qu'ils la gardent en vieillissant.

Maïa the vert de poireaux slayer
avr. 2025

vendredi 4 avril 2025

C'est l'attention qui compte

J’ai peu de goût pour les cadeaux-obligations, ceux dans lesquels on ne met rien de soi, où l’on se contente de cocher une case sur sa liste. Ceux derrière lesquels on se cache en disant : « C’est l’intention qui compte, hein ! »

Bah non. C’est l’attention qui compte.

Et ce n’est pas si courant, dans la vie, d’avoir justement l’idée de quelque chose qui plairait à l’autre. Il y a toujours une sorte de pari — des paris, même : celui de louper le coche, de ne pas avoir réussi à transmettre… l’intention.

L’autre jour, une amie me disait : « Offrir un livre, ce n’est pas un cadeau personnel. »

J’ai ri, parce que si.

Enfin non — pas si on attrape le premier bandeau rouge venu, au prétexte que l’autre aime lire.

Mais je pratique depuis longtemps avec ma mère — et assez assidûment ces derniers temps avec pas-ma-mère — une forme de communication très particulière, à base de : « Si tu es comme je crois que tu es, tu vas sans doute aimer ce livre qui m’a fait de l’effet. » Croyez-moi, c’est personnel. Pour moi, ça l’est, en tout cas.

J’adore quand surgit l’idée d’un cadeau pour quelqu’un. J’ai autant de joie à préparer mon méfait que, j’espère, la personne à qui il est destiné en aura à le recevoir. Et souvent, c’est ça aussi, le cadeau : l’attention particulière, la pensée qu’on a pour l’autre, ce que ça dit de notre histoire partagée.

En ce moment précis, je me consume d’impatience et d’excitation à l’idée de voir une idée qui a pris forme. Encore plus à la transmettre à celle ou celui à qui elle est destinée.

J’aime, quand je reçois une attention, sentir la pensée de celui ou celle qui offre derrière. Cette espèce d’urgence à savoir si l’effet est bien celui espéré. J’ai de la chance, j’en reçois, des gestes d’attention. C’est parfois totalement immatériel, parfois pas.

J’espère que la personne à l’autre bout sent que mon sourire persiste absurdement sur mon visage — entre autres symptômes que l’attention a touché juste.

« Et c’est quoi votre budget ? » On s’en fout.

Parfois, ça ne coûte rien : c’est un moment partagé, un lien qui mène à quelque chose qui va nous réunir en pensées.

Parfois, ça se monnaie. Et là, on fait comme on peut. Mais la corrélation entre prix et pensée est rarement le principal critère de pertinence.

La date peut être très accessoire, aussi. Chaque occasion fabriquée se suffit à elle-même. On se fout des anniversaires et autres dates imposées, non ?

Ce qui est essentiel, c’est de savourer, quand on a dans sa vie, des gens qui sont touchés par ce qu’on leur offre — et qui nous touchent et nous surprennent en retour.

C’est toi, le cadeau, ai-je souvent envie de dire.

Des tas de cadeaux à lire, parfois complètement à côté de la plaque, parfois des trésors qui nous resteront dans le cœur toute la vie. (N'essayez pas de lire les titres d'ici, petits curieux, de toute façon mes préférés absolus sont dans ma chambre !)

mercredi 2 avril 2025

Ma grand-mère est morte, je n'ai plus d'aïeux

Or donc voilà. Je l'ai vieillie d'un an hier en commençant à annoncer la nouvelle, ma grand-mère est morte hier à 103 ans trois quart. On est plus à ça près quand on en est arrivée là.

On ne va pas refaire son portrait. ll n'y a plus rien à en faire. Je flotte un peu. Pas du tout bouleversée, mais quelque chose a changé.

Juste dire qu'au milieu de milliers de choses qui n'ont jamais fonctionné entre nous (ouah, cet euphémisme), il y a un grand miracle qui est sorti d'elle et dont je suis sortie : ma maman.

Comme quoi on peut être une merveilleuse personne avec un modèle maternel défectueux.

Alors voilà, je crois que je vais m'arrêter là.

Merci pour ma maman.