Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

mercredi 29 mai 2024

Trop

Il ne se passe une semaine dans une vie de meuf sans qu'on vienne nous expliquer ce qu'on devrait faire, penser, être, comprendre. Généralement sans sollicitations de notre part.

Dans ces moments, j'ai des réactions assez variables. Globalement, quand ça vient d'une personne que j'aime bien (malgré tout) je laisse causer. Pour les pas proches, voire inconnus (oui, oui, les inconnus savent bien mieux que nous ce qui est bon pour nous) ça peut être beaucoup moins aimable. Ceux qui savent savent.

Là, dans ma vie, on arrive à quasi deux ans d'emmerdes de tailles conséquentes qui s'enchaînent ou se cumulent. Je commence juste à redormir presque bien quelques nuits par semaine. Donc je pleure, je me braque, je ne comprends pas toujours les trucs dans le bon sens, je suis à fleur de peau et chez les grandes choses sensibles dans mon genre, pas seulement des sens mais aussi des émotions, dotée d'un tempérament un peu volcanique, documenté dans ma famille comme "elle est gentille mais faut pas la chercher trop longtemps", je veux bien l'admettre, ça peut avoir quelque chose d'un peu spectaculaire.

Il y a des gens que ça impressionne, parfois. Et certaines des ses personnes, mettons ça sur le compte d'une vague inquiétude, me font part de leurs meilleures recommandations pour que ça aille mieux.

Est-ce que vous avez déjà recommandé à un allergique aux pollens d'arrêter de respirer pour esquiver les effets secondaires du printemps ? J'espère pour vous que non.

C'est à peu près aussi utile que de me suggérer de me calmer quand je suis en rogne, ou de réagir moins vivement quand une grosse émotion me traverse.

Du coup, de très sombres perspectives planent sur moi, sachez-le.

Je soupire à en décrocher le toupet de notre président.

Je ne suis plus tout à fait dans l'adolescence et je crois avoir démontré ma capacité à prendre et assumer des décisions de nature à me sortir des situations qui ne me conviennent pas. Je suis généralement plutôt capable de soutenir ma famille, mon propre popotin et un certain nombre de gens autour de moi.

Ces deux dernières années, il se trouve que j'ai été moins bonne auprès d'une très très chère qui sais pourquoi et comment et que ça n'empêche pas de m'aimer autant que je l'aime. Que j'ai été moins bonne pour me soutenir toute seule, récemment, parce que j'étais prise dans ce marathon d'emmerdes à gérer / digérer. Et malgré tout absolument capable de fonctionner, au quotidien. Que j'ai même été capable d'aller me nicher dans quelques paires de bras, à distance ou dans la vraie vie, d'aller dire mes vulnérabilités à quelques personnes qui m'ont fait l'amitié et la joie de me communiquer un peu de leur énergie. Trop dingue. J'ai même appris, dans quelques cas de doute, à faire confiance dans le fait que la personne en face me voulait du bien et n'allait pas cesser de me parler du jour au lendemain parce que j'étais moins rigolote que d'habitude. Ou à demander quand j'ai l'impression d'avoir foiré un truc plutôt que de vriller toute seule dans ma tête, de suppositions en hypothèses toutes plus fausses les unes que les autres.

La meuf serait capable de prendre soin de soi. D'avoir des jours vraiment dégueu, mais globalement, de rester debout. Et même, d'apprendre des trucs au passage. Dingue, non ?

On peut être sensible et pas du tout fragile. Voire : cette capacité à percevoir plein de choses qui passent plus inaperçu pour d'autres, il arrive que ça nous renforce, que ça nous tienne, que ça nous donne accès à des ressources insoupçonnées, que ça nourrisse nos instincts de survie. Faites confiance. Ca va aller. Même si à un instant T, ça ne va pas, et qu'on a parfaitement le droit de le dire sur le ton qu'on veut.

Etonnez-vous, après, que quand on tombe sur les rares personnes qui nous accueillent comme si ce qu'on est, c'est bien comme ça, ni trop, ni pas assez, ni "tu devrais", juste nous, avec nos qualités et nos chiantises, on leur en soit reconnaissant(e)s.

lundi 27 mai 2024

Jarvis, aspirateur fragile qui veut des cookies

On s'est équipés d'un aspirateur robot assez rapidement, quand, pendant le premier confinement, on a constaté que deux chats + quatre à cinq humains en permanence dans la maison, ça générait des poils et de la poussière à vitesse grand V.

J'avais opté pour un aspirateur spécial animaux mais pas particulièrement une marque réputée.

Ce truc a failli me rendre folle. Ses trajectoires improbables, sa tendance névrotique à aspirer à côté de la boule de poils ou du tas de miette qui n'attendaient que lui... J'en ai sorti la théorie que l'aspirateur robot, c'est merveilleux, seulement si tu ne le regardes pas faire.

Il a hérité du doux nom de Jarvis, sans doute parce qu'on venait de revoir un Iron Man ou l'un des Avengers. Bref, vous voyez l'ambiance super héros et adjuvants de qualité.

Las, cet engin si imprécis et néanmoins cher à mon cœur a commencé, l'été dernier, à donner quelques signes de faiblesse.

Il faut dire qu'on avait ajouté un chien à la liste de ses fournisseurs de trucs à aspirer. Burn out.

A la faveur d'un gros bon d'achat suite à la livraison épique de notre nouveau frigo, investissement fut fait dans un nouveau modèle, de la marque réputée qui va bien.

L'aspirateur n'a pas changé de nom mais a gagné quelques fonctionnalités, comme le fait de se vider tout seul. Et une forme "d'intelligence" (les guillemets sont importants car c'est tout sauf de l'intelligence) qui lui permet de paraître, parfois, sur un malentendu, un peu moins erratique que son prédécesseur.

Je le genre au masculin depuis le début et ça n'est pas un hasard. Jarvis est clairement un mec. Il passe son temps à chougner qu'il est coincé (sur un coin du tapis), qu'il a une pièce bientôt usée, que son sac ne va pas tarder à être plein, qu'il ne trouve pas sa base (pauvre chéri). Ou à se perdre au milieu d'un appartement de 78 m², batterie en berne, plus bon à rien.

Quand, une fois de temps en temps, par un miracle imprévisible, il arrive à boucler sans encombre sa tournée de maison quotidienne, je reçois une notif : "Jarvis a effectué une tâche correctement". Putain, voilà-t-y pas qu'il me réclame un cookie, ce con, not all robots, etc est la pensée peu charitable qui me traverse l'esprit à chaque fois.

En fait, il aurait dû s'appeler Marvin, le Jarvis. (Si tu ne connais pas Marvin, the paranoid android, va réparer tout de suite, tu me remercieras plus tard).

samedi 25 mai 2024

Passer les portiques

La dernière fois que l'objet du délit (enfin d'un minuscule tracas récurrent) était à la mode, nous vivions dans un monde qui semblait plus simple, ou moins technologique. Il n'y avait pas des mecs armés jusqu'aux dents partout, ni de portiques de sécurité à l'entrée des musées.

J'ai un historique lourd, ces derniers mois, avec les musées. A celui du jeu de Paume, je bipe constamment à l'entrée, même en leur laissant mon sac, mon manteau, mon casque... un jour ils vont me faire passer nue comme le jour de ma naissance, voire m'autopsier avant d'entrer, pour s'assurer que je n'apporte rien de dangereux sur moi. Bon, ils ont l'air détendus, ça les fait rire, en général. Moi ? Un peu moins. Disons qu'on en tire le meilleur parti.

A Beaubourg, je SAIS ce qui se passe.

Illustration en image.

Comme j'y vais un peu souvent, à chaque fois je leur propose de l'enlever AVANT le portique. A chaque fois, ils me répondent que non, non, ça va. A chaque fois, évidemment, ça bipe.

Là encore, ils sont plutôt détendus. Plus que l'agent qui, une fois (mais une seule), m'a refouillé le sac à l'entrée d'une salle en prévention de dégradations que je pourrais commettre sur une œuvre. Toutes les autres fois, affluence comparable, rien. Pourquoi ?

L'autre jour on y était avec des amis. Je me suis tournée vers eux fièrement pour dire "et c'est comme ça que j'ai fait entrer une bombe au Louvre, la semaine dernière".

Lomalarchovitch en rigole encore, je le recadre régulièrement sur le fait que c'est une blague à faire en milieu maîtrisé, seulement, j'ai très peur d'une convocation prochaine devant la justice.

Bref.

Je ne suis pas vraiment sûre que ça me rassure, tous ces portiques et contrôles.

vendredi 24 mai 2024

Qui peut vivre en colère si longtemps

Depuis quelques semaines, je suis, épisodiquement, fauchée par quelques heures "vraiment pas bien". Je n'ai pas été aussi mal aussi longtemps de ma vie entière, je crois, et ça me fait peur, beaucoup.

Ironiquement, il y a deux ou trois jours, j'ai prononcé à propos d'autres personnes la phrase "mais qui peut vivre en colère si longtemps sans se faire du mal ?"

C'est celle qui dit qui y est.

Ca m'a pris tout ce temps de piger que c'était la colère qui me vidait tant.

Elle est parfaitement légitime, et même nécessaire. Si je la laisse retomber, je serai encore pendant des années dans la même situation délétère.

Sauf que. J'ai la colère puissante et ravageuse.

Et pas besoin d'être plus épuisée que je ne le suis.

Bref, hier, j'avais très peur de ne jamais réussir à redevenir qui je suis. La personne qui ouvre les bras, le coeur, qui trouve de la place à la bienveillance...

Fort heureusement il y a dans ma vie des gens, proches ou pas, qui ont apporté des bouffées d'oxygène pour que, peu à peu, je reprenne mon souffle. Que je respire à nouveau un peu profondément. Et que je me retrouve au moins un peu, dans un coin, terrifiée, vidée, mais pas morte du tout.

Merci vous trois, l'un après l'autre.

43 jours.

mardi 21 mai 2024

18

A 17h25 aujourd'hui, ça fera 18 ans que je suis devenue maman.

Ce petit machin au crâne en pain de sucre qui m'a fait vivre un enfer pendant 36 heures (sans parler des fucking "jolis maux" de grossesse, je t'en foutrais, moi, du joli mal qui te ruine le corps, te squatte comme un parasite, bref) a 18 ans aujourd'hui, est responsable légalement de ses actes, va passer le code dans quelques jours, voter aux européennes, passer le bac et, si les oracles et ParcourSup le veulent, commencer médecine.

Vertigineux.

Il n'a plus du tout besoin de moi. Mais comme j'ai de la chance, il a toujours envie de m'avoir dans son paysage. Ce môme est si bien préparé à la vie, à se débrouiller, dans les bons et les mauvais moments, que j'en reste souvent un peu sidérée. C'est moi qui ai fabriqué ça, une cellule après l'autre ?

J'admire sa sagesse, sa détermination, son feu brûlant caché sous un poker face de malade, sa capacité de s'entourer de personnes incroyables, son organisation sans faille même dans le chaos, sa tendresse bougonne, son humour ravageur. J'aime tout de cet enfant, même quand il m'énerve.

Quand il fend sa carapace, il est capable de vous parler de votre regard qui transperce l'âme (enfin de mon regard, le vôtre, il s'en fout), sans que je sache si c'est un immense compliment ou une vacherie subtilement bien amenée. Enfin j'ai décidé que c'était un compliment.

Hier on a déjeuné ensemble et comme il est l'opposé de con et qu'il voit bien que ça remue, pour moi, en ce moment, il me lâche un : "Toi, tu partages tes émotions pour dire aux gens tout ce que tu vois de bien en eux, ou bien quand tu penses que ça ne va pas embêter trop le monde. Sinon tu les enterres au lieu de faire comme tu ferais avec moi, me dire qu'elles sont légitimes."

J'ai, comme il se doit, chialé sur mes pâtes aux truffes. Et lui ai offert la paire de Dr Martens dont il rêvait. Et une pour moi aussi parce que bon, ça se travaille, une réputation de mère géniale.

C'est lui qui me perce l'âme, d'être aussi bellement lui-même, envers et contre tout, voilà.