Il y a une trentaine d'années, j'adorais faire des portraits.
C'était, pour moi, la quintessence de la photographie, capturer un bout d'âme, ce quelque chose qui fait qu'une personne est qui elle est. Agrémenté de notre œil sur ladite personne.
Sur le chemin, j'ai trouvé des bifurcations totalement inattendues.
La première, complètement personnelle ; il y avait des personnes que j'aimais pourtant mais je n'arrivais pas à restituer en photo ce que je voyais d'eux. Ou, pour le dire nettement, ils étaient systématiquement loupés sur mes photos. Moches, la gueule en biais, le regard torve.
Comme je vous vois, vous êtes en train de vous marrer, mais c'était un petit trauma de cerveau pour moi : comment une personne que je peux trouver belle dans mon coeur peut sortir moche sur ma photo ?
Sans rapport avec leurs traits, la construction de leur visage. Vraiment ce qui s'appelle faire ressortir le pire des gens, mais en photo. Pas une fois, dix fois, tout le temps, absolument systématiquement.
J'ai mis des années (comprendre : des décennies) à comprendre un truc totalement psychanalytique. Il arrive que mon œil photographique ait quelques pas d'avance sur mon cerveau, qu'il me montre quelque chose que je devrais savoir, en somme.
Depuis je suis terrifiée à l'idée de prendre en photo des gens que j'aime, de peur que le résultat me dise des choses que je n'ai pas envie de savoir[1].

L'autre chemin inattendu, en tout cas à l'époque, c'est le smartphone et le fait que tout le monde ait un appareil photo dans sa poche, en permanence. L'autoportrait est devenu selfie, s'est multiplié avec ses effets secondaires, les duckface, les sourires figés toutes dents dehors, bref, il est devenu très compliqué de prendre quelqu'un au naturel.
Là où avant, patience et bavardages réussissaient à me permettre d'attraper des portraits serrés que je trouvais suffisamment réussis pour mes ambitions, même chez les plus rétifs, c'est devenu un art bien plus complexe, de mon point de vue en tout cas. Ou vu de mon mode opératoire d'antan.

Alors me voilà à attendre la prochaine occasion de passer du temps avec des gens, assez pour que l'appareil se fasse oublier, que la tension s'apaise, (personne, à ma connaissance, n'aime se faire prendre en photo quand ce n'est pas son métier), pour voir…
Note
[1] Oui, comme tout le monde j'ai des névroses un peu connes, des mini superstitions douteuses. Voilà. C'est comme ça.
Commentaires
I can relate!
Franck ah mais putain ça me soulage de ne pas être seule !!! Dans mes bras, camarade !
Tu me donne envie tiens, Il faudrait que je reprenne ma série de portrait de main ;-) ou celle des portraits panoramiques :-)
Gilsoub c'est contagieux, ce truc qui tourne !
Ce qu’il y a de bien avec les gens moches pas photogéniques, c’est qu’on n’est jamais déçu du résultat ! 🤓
Orpheus ce qu'on appelle "moche" ça peut souvent être super intéressant, en photo ou pas :)
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