Quand j'avais 18 (ou 19) ans, lors d'un voyage chez ma tante au Québec, nous sommes allées à Tadoussac voir les baleines. Il y avait moins de précautions que maintenant, les sorties se faisaient en zodiac, au plus près de ces gigantesques créatures, on parlait moins de ce que ça leur faisait à elles que du plaisir qu'on y prenait nous.
De fait, c'est l'un des souvenirs les plus puissants, les plus émouvants de la vie. Nous en avons vu une de très près, tellement près qu'elle était sous notre bateau, perpendiculaire.
Résultat ? Un peu de frayeur (que se passe-t-il si on l'agace ?), mais surtout une émotion qui est venue m'attraper un peu par surprise, comme une conscience accrue d'être minuscule et très temporaire en ce monde, face à cette immense baleine, sous mes yeux comme venue du fond des âges.
Depuis on a un peu progressé sur ce genre de tourisme, je crois qu'on se préoccupe un peu plus de la préservation de leur environnement. Comme si on en avait pas déjà massacré l'essentiel.
Dans la liste de mes rêves, il y a(vait) aussi : être pote avec un éléphant. Je crois que j'ai un truc avec les animaux colossaux. Je suis dingue d'eux, j'adore qu'on les trouve intelligents, qu'on raconte qu'ils nous trouvent mignons, qu'on leur prête des caractères de drama queens. Au delà de l'anthropomorphisme et des approximations pseudo scientifiques, j'aimerais bien avoir un copain éléphant. J'ai déjà des copains chats, pourquoi pas un éléphant (à condition qu'il ne saute pas à pieds jointe sur moi quand je lis, comme les deux velus qui partagent mon existence, ou qu'il ne me donne pas des coups de boule furieux pour me dire qu'il m'aime et qu'il voudrait une place entre le plaid et moi, n'est-ce pas Maïa ?).
Mais bon, voilà. L'éléphant il n'habite pas tout près. Et j'ai, maintenant, très présent à l'esprit le fait qu'on lui a piqué son habitat naturel, compromis sa bouffe, empoisonné l'existence en lui tournicotant autour. Je trouve ça assez insupportable. Et puis j'essaie de ne pas prendre l'avion. (Et puis je n'ai pas de thunes pour de grands voyages, de toute façon).
Alors je reste chez moi et je rêve d'éléphants. Et de tant d'autres choses. Je voyage en train, parfois en voiture quand on est plusieurs dedans.
A quelque chose, malheur est bon. Mon empreinte carbone calculée récemment à la faveur d'un atelier au bureau est de 5,3t de CO2e par an, celle du français moyen (pas celui de Cabu, la moyenne de celle des français) de 9,1 tonnes. Peut nettement mieux faire, mais fait mieux que beaucoup.
Les matins désabusés, je me dis que ça ne sert à rien, que de toute façon on a le pied sur l'accélérateur et qu'on va tous crever, quoi qu'il en soit. Et que ça sera tout aussi difficile pour ceux qui ont essayé de faire un peu mieux que pour les autres. (Et même : pire ?) Si celles et ceux qui ont les moyens d'inverser la tendance, de nous épargner famines, guerre civile, désastres s'en foutent, pourquoi je m'en ferais ?
Et puis je pense au copain éléphant dans ma tête, je me demande si à une personne près, ça change la donne, pour lui. Sans doute que ça ne se calcule pas comme ça.
Peut-être qu'un jour j'aurai plus de sous, et que ça sera encore possible. Ou alors qu'un mec plus malin que les autres ne me laissera pas le choix de mettre ce rêve de côté, peut-être qu'au final, un jour, je serai la pote d'un éléphant. Si le mec en question veut bien m'offrir le Leica D-Lux 8 qui me fait de l'œil, pour qu'on rapporte des souvenirs, aussi ? Non, j'abuse ?
Il y a des rêves auxquels on doit renoncer, tous, au cours de nos vies. D'autres qui sont accessibles et qu'on ne réalise pas parce qu'ils semblent égoïstes, inconsidérés.
J'ai l'impression, parfois, ça va vous faire rire, d'être trop raisonnable. Puisque tout le monde s'en fout et que presque personne n'est prêt(e) à renoncer à son plaisir immédiat, pourquoi je m'emmerde ?
Commentaires
Ah moi aussi j’ai un amour pour les animaux colossaux comme tu dis. Quand j’étais sous chimio j’ai souvent rêvé d’éléphants. Je crois que ça avait un côté protecteur. D’ailleurs en rigolant je me suis dit que j’allais commencer une collection , une copine m’en a offert un petit, bleu et mignon et voilà ma collection c’est arrêté là. J’aime a croire qu’ils ont en eux une sagesse dont nous sommes dépourvu, et cette croyance me rassure…
Quand à la question du « qu’est ce qu’on s’emmerde puisqu’on est tout seul à s’emmerder? » Ben parce que quand on a pas de thunes on a des valeurs 🤪
Luceluciole et si j'étais en train de masquer la frustration de ne pas pouvoir derrière des valeurs (en partie parce que l'idée de mon ami éléphant qui crève de l'humanité, ça me fait vraiment pleurer) ?
On est tous d’accord pour dire que l’éléphant, c’est le doudou en or ! Juste derrière le dauphin qui pour moi est le doudou de platine 🥰🐬
(sinon je ne vais pas polluer tes commentaires avec ce que je pense de ta privation de voyage… Long story short : ça ne sert à rien, mais ça permet d’avoir bonne conscience… Je vais finir par en faire un billet chez moi je crois, parce que ça me dégonde un tout petit peu quand même …)
Orpheus justement, j'en parlais l'autre jour dans la même phrase que "nager avec des dauphins".
En l'occurrence, l'avion n'est pas le seul problème de l'équation : aller envahir l'espace d'animaux humains ou non pour mon bon plaisir, utiliser pour mon confort des ressources pas forcément également réparties, ça me pose problème. C'est marrant d'ailleurs car on a jamais bon : dans le questionnaire pour évaluer l'empreinte carbone, tu as un "malus" si tu as des animaux de compagnie. Ok mais les miens, je les ai adoptés, donc en fait les laisser crever, c'est mieux pour la planète ? Mais la maltraitance animale alors ? Le brevet de pureté est impossible, chacun fait comme il peut / veut.
Et "ça ne sert à rien, mais ça permet d’avoir bonne conscience" :
1 - si seulement ça suffisait à avoir bonne conscience. Je ne vois pas comment avoir bonne conscience dans ce monde, en fait.
2 - ça ne sert à rien selon qui ? ça ne sert à rien si trois personnes le font, en effet, et c'est bien le fondement de ma question : pourquoi je me fais chier avec des questions morales alors qu'on est si peu à le faire ? Mais du coup quand je dis que ça ne sert à rien d'essayer de gueuler sur internet contre les fachos qui prennent toute la place, là, j'ai tort ? Ca ne sert à rien si on est trop peu, et on est beaucoup trop peu. Alors quoi ? Ca sert quand ça nous arrange et pas quand ça ne nous arrange pas ? Là encore, j'ai du mal à trouver le moment où j'ai bonne conscience.
3 - "Pollue" tant que tu veux, j'essaie de ne pas trop faire la leçon aux autres et je suis toujours curieuse des arguments des autres. Et puis de toute façon quoi que j'écrive en ce moment il y a un mec qui vient me dire que c'est de la merde, alors vas-y, fais toi plais' !
Mais pendant que t'es debout, explique moi comment je me démerde, pour le Leica, tant qu'à faire !
Bon bah je dois aussi confesser, les baleines ça me rend tout chose !! Ces jolis énormes mammifères dont on se sent si proche, moi aussi ça me bouleverse !! Les voir seulement du bord de la plage à la Réunion est un de mes plus beaux souvenirs.
Quant au Grand Eléphant nantais que tu montres, bah je le vois presque toutes les semaines vu que c'est mon voisin, et je ne suis pas encore lassé de ça !!! Tu viens quand tu veux pour qu'on aille lui faire coucou ensemble. :D :D
Meuh non, bichette, je dis pas que tu écris de la merde… loin de là… je vais tacher de me sortir les doigts et gratter ce papier avec les graphiques en pièce-jointe qui vont bien… même que tu pourras répondre quand même que c’est de la merde… :p
😘
Matoo c'est sur la liste de mes envies, de revenir à Nantes, oui !
Orpheus nan mais après je vais me plaindre de ne pas avoir les thunes, c'est chiant.
J'aime beaucoup votre texte. Merci de l'avoir écrit et donné à lire.
Ce n'est pas commun, ce tropisme pour les grosses bêtes sacrées :). Une de mes connaissances est addict aux cochons d'Inde, ça grignote sa vie, elle tourne dans sa roue en becquetant frénétiquement des tiges de céleri, des rondelles de carottes, des peaux de pomme et ronge même les franges de son canapé. Je préfère les affreux à pattes de velours et pupilles variables, même si leurs faux airs de panthère me font craindre de périr dévorée par un fauve échappé d'un zoo.
J'ai fait le test pour mon bilan carbone, c'est pas catastrophique mais c'est pas glorieux non plus : 6.5 tonnes/an.
Comme Matoo, j'ai ce souvenir ému d'avoir vu des baleine (à la Réunion), tout le monde sur la plage était émerveillé (sauf les cons qui faisaient semblant pour pas passer pour des insensibles ou des cons).
Tu es mûre pour Bucket list of the Dead: 100 choses à faire avant de devenir zombie.
(Commence par le lire : c'est plein d'énergie. Et rien que pour la tête des gens en train de voir une vieille lire un manga, ça vaut le coup).
Madame Chapeau merci !
Creatinine il faut bien finir d'une façon ou d'une autre !
Laurent c'est fou de puissance, hein ?
Alice merci pour la reco !
Je t'envie cette rencontre avec une baleine <3 <3 <3
rire !
Milky plus de 30 ans après, ça m'habite encore. J'ai eu la chance de pouvoir en parler avec Moukmouk qui les connaissait bien, les baleines et qui m'a appris plein de choses à leur sujet par la suite, en plus. J'aimerais te faire vivre mon souvenir à distance...
Creatinine rire de concert.
On vit mieux quand on est cohérent avec ses valeurs, même si on peut douter parfois.
Ce qui n'empêche pas non plus de se lâcher la grappe de temps en temps. Perso j'ai du mal à le faire mais je finis toujours par le faire, ne serait-ce que pour mon mec et famille (= valeurs de base aussi pour moi). A mon avis les deux attitudes sont bonnes pour la santé mentale, mais c'est fatiguant de chercher tout le temps ou mettre ce p.. de curseur! De toute façon on n'est bon à rien pour nos valeurs si on est épuisés et comment convaincre qui que ce soit si on a une tronche de zombie qui s'est trop empêché trop de vivre? Je vois bien qu'une attitude trop "intégriste" ne convainc que les gens qui ont la même démarche que moi, par biais de confirmation sans doute..mais bon, je vais pas dire aux gens que c'est super d' avoir gentiment jeté son pot en plastique dans la bonne poubelle et que du coup c'est pas grave s'ils se gavent de bœuf transgénique à l'huile de palme dans leur avion qui les emmène au bout du monde plusieurs fois par an ! Et puis donner l'exemple peut quand même avoir un impact, j'en suis sûre, même si on le ne saura jamais vraiment.
Je comprends qu'on puisse avoir de l'affection pour les éléphants ou les baleines... Perso j'ai toujours aimé les félins (bon, je suis devenue allergique aux chats et chiens depuis, malheureusement). En vieillissant, je me suis prise d'affection pour les chouettes et les tortues (la vieillesse approchant, sans doute!!) et je parle aux plantes, on a les amis qu'on peut..
Bienvenue par ici, Asa. Les félins, ça va, j'en ai sous la main. Souvent, littéralement.
Sur les animaux, j'ai évidemment un faible pour les oiseaux avec pas mal de raisons qui me viennent en tête, mais depuis la lecture de La longue route de Moitessier, j'avoue que les mammifères marins, dauphins ou baleines me fascinent également. Mais je ne vais pas énumérer la liste des favoris, bête à poils ou à plumes…
Les non-humains chers à Descola et les milieux dans lesquels ils évoluent sont autant de repères jalonnant mes positions sur ma participation au bazar ambiant. En bref, je fais au mieux avec ma conscience, mais je tente autant que faire se peut de préserver ce qui est encore possible. Non sans écart et incohérence, comme tout le monde.
Tomek de toute façon, on ne peut pas ne pas être contradictoire (par exemple : avoir à sa charge un animal domestique pèse sur l'empreinte carbone, donc de ce point de vue il vaudrait mieux le laisser crever dans la rue. Oui mais la maltraitance animale ?)
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