Nous sommes donc un matin de juin 2016. Aux Fossés-Jean, quartier (très) populaire de Colombes.
J'ai croisé la directrice de l'école de ma fille, alors qu'elle sortait de sa voiture et que j'allais chercher la mienne. On échange trois mots, elle me dit que c'est compliqué, à l'école, qu'il y a une poignée de gamins incontrôlables qui perturbent les classes. Qu'on ne peut pas faire grand chose, qu'on a pas prise sur eux.
De fait, ce n'est pas la première fois qu'on constate la très faible implication des parents dans l'école : galères répétées pour trouver des parents accompagnateurs, une volontaire (sur 120 familles) pour organiser la fête de l'école... pour la partie la plus agréable. Mais aussi : parents ignorant les mots dans le carnet, les rendez-vous, ou alors ils viennent pour insulter la directrice, l'enseignant. Ou font oui oui de la tête mais semblent perdus.
"On a plus de mixité", me dit la directrice. Les familles les moins pauvres partent du quartier.
Faut dire, faut avoir un certain sens militant pour mettre ses enfants dans cette école dont les bâtiments se disloquent.
La municipalité nous répond, inlassablement "il y a 38 écoles à Colombes". Et il faut bien un dernier sur la liste, position que nous tenons fièrement depuis des années.
La municipalité argue que grâce à elle, les travaux de rénovation du quartier démarrent. La précédente dirait que c'est grâce à leur travail, la précédente que...
En attendant les équipements diminuent, les familles fuient, la misère sociale s'installe.
Qu'avons-nous fait pour en arriver là ? Nos politiques urbaines, sociales, montrent des limites, ça craque de partout.
Et la prise de conscience ? Niveau municipal, c'est à pleurer. Nous sommes la ville où, si un enfant vient à la cantine sans avoir été inscrit, il y a une pénalité. Jusque là, pourquoi pas ? Prix unique, 5 euros. Plus cher, donc, que le prix d'un repas (j'ai un QF de 6 et je dois payer un tout petit peu moins de 4 euros, donc pour la majorité des familles, ça peut même être le double). Et cerise sur le gâteau, il faut huit élèves "de dernière minute" minimum pour que la cantine centrale ajuste le nombre de repas livrés.
Récapitulons : un enfant vient à la cantine pour une raison bonne ou mauvaise alors qu'il n'a pas été inscrit dans les temps. Il va donc payer prix du repas + 5 euros pour avoir, potentiellement un morceau de la ration de ses camarades. Qui eux-même n'auront pas la quantité prévue pour leur repas alors qu'ils sont régulièrement inscrits.
Alors sur un plat de ratatouille pour 150 élèves, ça va, s'il s'agit de yaourts ou de portions indivuelles, ça devient plus compliqué.
Vous savez ce qu'a répondu la municipalité quand l'opposition s'est indignée de ces 5 euros sans nuances ? "C'est la justice sociale selon nous".
Ça doit se retrouver avec un peu de patience sur les vidéos des conseils municipaux de l'an passé.
Du coup quand ils nous font leur grand numéro sur les efforts pour notre quartier (qui doit représenter un petit quart des habitants de la ville), comprenez qu'on y croit pas trop, voire qu'un rictus crispé s'installe sur notre visage.
Mais vous savez quoi ? C'est de notre faute, on est les pauvres. On a pas mérité d'être riches et d'avoir la qualité de service public qui va avec. On a pas mérité des fenêtres qui ferment (ou ouvrent) dans une école étanche. On a pas mérité des réflexions sur l'urbanisation et le maintien d'une saine mixité, qui était pourtant une des grandes réussites de ce quartier il y a encore quelques années.
Et puis on s'en fout. On construit du neuf, le tramway arrivera au pied de la rue. Alors pendant quelques années ces nouveaux habitants plus riches mettrons leurs enfants dans le privé. Puis petit à petit on virera la misère sociale à coup de pression financière et de maltraitance dans d'autres villes, les plus riches gagneront, et là on reconstruira une école flambant neuve pour faire plaisir à cet électorat tout neuf, j'imagine.
Tant pis pour les mômes sacrifiés entre temps.
Tant pis pour le constat effarant qu'il y a des enfants de moins de 10 ans incontrôlables, et qu'on ne peut pas juste dire que c'est la faute des parents.
Tant pis pour la remise en question.
Après nous le déluge (et en plus on est en zone inondable).
Sauf si entretemps la colère des pauvres, de ceux qu'on maintient la tête sous l'eau en les traitant d'assistés devient plus forte. Et là qui vivra verra, la tête de qui sur quelle pique...
J'ai mal à mon quartier, j'ai mal à mes valeurs.
J'ai mal aux systématiques réponses des élus "c'est pas nous c'est les autres".
J'ai mal au monde.
Commentaires
Tellement vrai, tellement triste... Ça ressemble aux USA.
Moukmouk pour le moment il y a encore l'argument des "aides" diverses, mais ne nous cachons pas derrière ça : notre politique sociale fabrique beaucoup d'exclusion, quel que soit le parti qui la mène.
CHERE SACRIP 'ANNE,
je me suis permis de t ecrire, apres avoir lu , des annees durant
tes impressions chez otir,
salauds de pauvres, pourrait-on dire
Vous n'avez pas les bons costards pour imposer vos idées, quelle dommage.....ironie à l'état pure.....c'est pas mieux par ici grâce à l'euro 2016 tout va aller mieux parole de polichinelle.
On s'enfonce de plus en plus dans le médiocre mais tout va bien.
Des bises combattantes
zanvele bienvenue ici :) Et oui, hein. Si on pouvait être riches (mais alors qui seraient les pauvres des riches, hein, qui ?)
lilou et encore, je fais partie des riches chez les pauvres et je survivrai probablement aux évolutions du quartier... Bises aussi.
Ton texte exprime ce que nous vivons dans les quartiers, l’abandon des élus qui se désintéressent de populations transparentes à leurs yeux, sourds à nos demandes, laissant pourrir les choses, vieillir les équipements… Il y a de quoi être dégoûtés, et toute l’énergie passée à mouliner dans l’espoir d’entraîner un petit mouvement nous revient parfois dans la figure.
Mais même si on n’arrive qu’à très peu, il y a un honneur à se battre...
samantdi ah ça, l'honneur, ils ne nous le prendront pas.
Beau texte, je souscris à 100%
Ce matin, au détour d'un tweet, j'ai vu ça et je me suis à pleurer comme une andouille ! :-*
Noé heureusement, il ne manquerait plus que tu sois d'accord avec eux :-D
C'est désolant, révoltant. Et après, au niveau national, on se demande comment on peut engendrer des terroristes. Le raccourci est peut-être un peu facile, mais franchement, laisser se décrépir tout un quartier ne peut pas être anodin sur sa population.
Tomek je suis parfaitement d'accord avec toi, fabriquer de l'exclusion et ensuite s'étonner que des gens soient dans une colère destructrice face au monde qui les à tenus à l'écart est dangereuse à l'extrême.
J'ai pas de réponse toute faite mais j'ai lu ce matin une interview d'Alexandre Jardin qui a créé le mouvement d'initiative citoyenne Bleu Blanc Zèbre et ça donne un peu la pêche.
Je suis fonctionnaire territoriale depuis plus de 2O ans et je vois bien la mort annoncée et réelle du service public, il faut entreprendre autrement.
Faire comme le colibri !!
Laurence on a cherché à les contacter sur un projet Tous bons élèves et ils nous ont totalement ignorés :(
J'ai du mal à me résoudre à faire complètement autrement : comment garantir l'égalité de traitement des citoyens, alors, si chacun invente un truc de son côté ?
Je n'ai pas de réponse mais je crois que tant qu'on cherche, il y a de l'espoir ...
Après l'égalité ....mais tu as complètement raison.
Laurence continuons à chercher :)
Lorsqu'une société commence à s'intéresser plus aux choses matérielles à acquérir qu'aux personnes qui la constituent, c'est le début d'une société totalitaire.
Otir tu as sans doute raison.
C'est tellement triste et révoltant (j'ai lu ce billet il y a quelques jours déjà) que je reste sans voix.
Anita heureusement nous avons aussi de petites bonnes nouvelles, mais c'est... révoltant, désespérant, épuisant...
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