Sacrip'Anne

« Oui, je sais très bien, depuis longtemps, que j’ai un cœur déraisonnable, mais, de le savoir, ça ne m’arrête pas du tout. » (Colette)

dimanche 7 décembre 2025

Un dimanche parmi d'autres

"Et puis il faudrait que je dorme", ai-je terminé mon coup de fil hebdomadaire à mes parents, en énonçant le programme du week-end.

Hier soir (samedi), je suis rentrée ravie de ma journée, son déjeuner en particulier (on y reviendra), mais un rien frustrée par mon choix de film. Alors je me suis dit en me débarrassant de mes fringues qu'on verrait aujourd'hui, selon la météo, cette saleté de douleur étrange et de mon énergie disponible si je pourrais me rattraper un peu.

Une autre contrainte de taille à prendre en compte : le temps de préparation du bœuf bourguignon qui accompagnera quelques uns des repas de notre semaine.

Mais comme l'avenir appartient à celles qui se lèvent tôt, j'ai non seulement pu me faire un copieux petit déjeuner en lisant (œufs brouillés et Kafka sur le rivage de Murakami, on ne peut pas toujours être dans la grande souffrance), d'éplucher et couper des carottes, champignons, échalotes, de couper en "papillon" des morceaux de bœuf et mettre le tout à cuire.

Restait la météo (dégueulasse), la douleur (tenable), ma flemme, dont j'aurais parié qu'elle me renverrait sous la couette illico. Et non, l'envie a été plus forte, j'ai sauté dans un jean d'homme[1] et un pull, marché sous la pluie et ma capuche[2] jusqu'à la gare et sauté ou à peu près dans le train qui me recrachait, 13 minutes plus tard, sur le quai à Saint-Lazare.

J'avais eu le temps de constater que j'avais oublié ma liseuse, oubli d'autant plus fâcheux qu'elle entre parfaitement dans les poches de mon jean. 11h20, pour une séance à 11h30, je peux tenter la FNAC. J'aurais pu tenter un message catastrophé à mon inspirateur de lectures principal : "J'ai ma CB, une Fnac en visuel et 8 minutes pour acheter un livre, je prends quoi ?". Dans ce genre de situations de crise aiguë, il est capable de répondre en un temps record, comme de laisser mes mots s'éteindre dans un silence assourdissant.

Comme je n'ai pas marché sous la pluie pour attendre bêtement la réponse d'un homme dans un rayon de la Fnac, je me dis que tant pis, j'ai l'appli de ma liseuse sur mon téléphone si vraiment, je dépéris pendant le trajet retour (13 minutes, rappelons-le. Vous avez sérieusement pensé que je pouvais me retrouver totalement à poil de lecture pendant un laps de temps si important ? Au pire j'aurais pris le générique en photo pour le lire ligne à ligne au retour).

Me voici donc avec mes contemporains, cinéphiles du dimanche matin, entassés sous le tout petit auvent du ciné pas encore ouvert. Quelqu'un commente l'heure : 11h17.

Quoi ?

L'heure a-t-elle reculé à mon insu ?

Je vérifie ma montre qui indique 11h22 puis mon téléphone, plutôt dans la team 11h17[3].

Putain j'avais largement le temps d'aller à la Fnac. Merde.

Au moment où je fais cette découverte, je me rends compte que j'ai non seulement une montre en avance mais aussi oublié de mettre une culotte. Je scrute les gens autour de moi pour voir s'ils me regardent bizarrement parce qu'ils savent. A priori non. Je rigole toute seule à l'idée que l'un des vieux messieurs à cataracte de cette noble assemblée est peut-être le connard de l'autre jour, ahaha, devine quoi, abruti, j'ai pas de culotte !!

(On se calme.)

Le rideau de fer finit par s'ouvrir, je m'offre un café dégueulasse et m'installe sans lecture dans la salle 2. Que personne n'ose m'accuser de manque de courage.

Fuori a tenu ses promesses, me voici deux heures et quelques plus tard, réconciliée avec mes choix, sur le pavé parisien toujours très humide. J'attrape un sandwich à Saint Lazare à l'heure où les bonnes gens en sont au café d'après le poulet rôti dominical, saute dans un train, coupe le feu provisoirement sous le bœuf bourguignon. Une manœuvre importante car il est quasi insoutenable d'être réveillée de sa sieste par l'odeur prometteuse d'un plat qui mijote. Or, là, tout de suite, j'éparpille mes fringues, me glisse sous la couette pour une petite sieste. J'avais dit qu'il fallait que je dorme.

J'émerge deux heures plus tard, comme quoi, il fallait que je dorme pas pour rire. Le feu est de nouveau sous la cocotte qui mijote, la maison sent bon, j'ai pris un long bain avec Kafka et de la mousse, constaté que j'ai 4 ou 5 billets en cours d'écriture dans ma tête et à peine le temps d'en gribouilleR un très vite avant le retour de Lomalarchovitch.

Dont acte.

Quand je pense qu'il en est certains pour trouver que j'ai une vie calme.

Paris sous la pluie, mais pas aujourd'hui.

Notes

[1] Pas le jean d'un homme dont j'aurais jeté le cadavre dans le port de Gennevilliers, un jean de coupe homme, acheté pour la taille de ses poches, pour les jours où j'ai envie de sortir sans rien, sac, tote bag ou quoi que ce soit d'autre.

[2] C'est pour vous la secte du zeugme !

[3] Je possède une montre automatique fort jolie mais qui tend à avancer de quelques secondes par jour. Et comme la boutique qui la vend est rive gauche je procrastine ma visite chez eux pour me plaindre. On a les raisons de procrastiner qu'on peut, que voulez-vous.

vendredi 5 décembre 2025

Des portraits

Il y a une trentaine d'années, j'adorais faire des portraits.

C'était, pour moi, la quintessence de la photographie, capturer un bout d'âme, ce quelque chose qui fait qu'une personne est qui elle est. Agrémenté de notre œil sur ladite personne.

Sur le chemin, j'ai trouvé des bifurcations totalement inattendues.

La première, complètement personnelle ; il y avait des personnes que j'aimais pourtant mais je n'arrivais pas à restituer en photo ce que je voyais d'eux. Ou, pour le dire nettement, ils étaient systématiquement loupés sur mes photos. Moches, la gueule en biais, le regard torve.

Comme je vous vois, vous êtes en train de vous marrer, mais c'était un petit trauma de cerveau pour moi : comment une personne que je peux trouver belle dans mon coeur peut sortir moche sur ma photo ?

Sans rapport avec leurs traits, la construction de leur visage. Vraiment ce qui s'appelle faire ressortir le pire des gens, mais en photo. Pas une fois, dix fois, tout le temps, absolument systématiquement.

J'ai mis des années (comprendre : des décennies) à comprendre un truc totalement psychanalytique. Il arrive que mon œil photographique ait quelques pas d'avance sur mon cerveau, qu'il me montre quelque chose que je devrais savoir, en somme.

Depuis je suis terrifiée à l'idée de prendre en photo des gens que j'aime, de peur que le résultat me dise des choses que je n'ai pas envie de savoir[1].

Sacha Lomalarchovitch me fait une belle grimace.

L'autre chemin inattendu, en tout cas à l'époque, c'est le smartphone et le fait que tout le monde ait un appareil photo dans sa poche, en permanence. L'autoportrait est devenu selfie, s'est multiplié avec ses effets secondaires, les duckface, les sourires figés toutes dents dehors, bref, il est devenu très compliqué de prendre quelqu'un au naturel.

Là où avant, patience et bavardages réussissaient à me permettre d'attraper des portraits serrés que je trouvais suffisamment réussis pour mes ambitions, même chez les plus rétifs, c'est devenu un art bien plus complexe, de mon point de vue en tout cas. Ou vu de mon mode opératoire d'antan.

Deux messieurs au café du Musée Van Gogh à Amsterdam. Vieux couple ? Amis ? Chouettes, en tout cas.

Alors me voilà à attendre la prochaine occasion de passer du temps avec des gens, assez pour que l'appareil se fasse oublier, que la tension s'apaise, (personne, à ma connaissance, n'aime se faire prendre en photo quand ce n'est pas son métier), pour voir…

Note

[1] Oui, comme tout le monde j'ai des névroses un peu connes, des mini superstitions douteuses. Voilà. C'est comme ça.

mercredi 3 décembre 2025

La vieille dame me salue

Il y a souvent, au café qui me nargue chaque jour de bureau parisien à la sortie du métro, une dame âgée, assise seule.

J'avoue la guetter du coin de l'œil, l'envie me travaille de l'attraper en photo par la fenêtre.

Hier matin je sortais du métro et mon appareil de mon sac, commençais à chercher mon bon réglage, et puis, levage de nez, me voici à la regarder me regarder, elle, un sourire éclatant aux lèvres.

Je lui ai souri en retour, elle m'a fait un grand "bonjour" de la main.

Voilà pour ma discrétion légendaire, on dirait que, si j'ai repéré ses habitudes, elle a repéré mon manège.

J'ai failli lui demander, par geste, moi dans la rue, elle dans le café, si je pouvais la prendre en photo. J'ai hésité un quart de seconde, mon envie initiale était de la prendre naturelle, et puis je n'étais pas prête pour cette conversation muette, même si très amicale. Alors je suis partie et j'ai fait d'autres photos.

Depuis, j'y pense et je me dis que ça serait chouette, d'avoir son regard vers moi, aussi, ce moment de connivence matinale. Pas l'idée initiale mais quelle idée n'évolue pas ?

Demain. Peut-être.

La façade du bar "Demain Peut-être" un tout autre jour qu'hier.

lundi 1 décembre 2025

Couleurs

Comme j'ai plus de temps que quand mes enfants étaient petits, et que quand je devais gérer un mec, j'en consacre beaucoup à questionner la pratique photographique.

C'est bizarre d'avoir presque toujours eu un appareil entre les mains, de dix ans à maintenant, et de commencer à vraiment entrer dans le sujet sérieusement à cinquante. Enfin peut-être que ça a en partie à voir avec le temps et la liberté mentionnés ci-dessus.

Quoi qu'il en soit, me voici comme une poule qui a trouvé des bretelles sur le fameeeeeux sujet couleur / noir et blanc.

Il y a des gens qui, pour prendre comme pour regarder des photos, ont des avis hyper tranchés sur le sujet. Souvent en faveur du noir et blanc. Et ça s'entend : c'est graphique, intemporel, ça permet d'avoir facilement des contrastes très intéressants (j'adoooore les contrastes).

Mais la couleur, c'est aussi de la chaleur. Une information. Une indication, un univers en soi.

Alors j'ai fait des versions couleur / N&B de quelques photos qui s'y prêtaient pas mal. Dans l'ordre chronologique de prise de vue...

...avec un musicien dans le métro...

Un musicien dans le métro qui s'accompagne à la guitare, version couleur. Un musicien dans le métro qui s'accompagne à la guitare, version N&B

...avec un de mes chats...

La silhouette noire de Maïa, illégalement le cul posé sur la table, au fond, une des Billy du salon, pleine de livres. Version couleur. La silhouette noire de Maïa, illégalement le cul posé sur la table, au fond, une des Billy du salon, pleine de livres. Version n&b.

...avec des gens qui prenaient le café au pied du bureau ce matin...

Un homme parle avec des gens en train de prendre un café en terrasse, ce matin, en bas du bureau. Version couleurs. Un homme parle avec des gens en train de prendre un café en terrasse, ce matin, en bas du bureau. Version N&B.

Et ça ne m'avance pas beaucoup. Je trouve des choses intéressantes aux deux versions. Je sais dire : j'aime cette version parce que et celle là en raison de, mais pas quelle est ma préférée.

Petite tribune féministe au passage. Il y a bien sûr plein de femmes qui font de la photo de rue, moins qui en font des vidéos. Je le déplore franchement mais je comprends pourquoi : globalement la question d'oser photographier des inconnus peut être tétanisante pour tout le monde, mais beaucoup d'hommes disent "au pire, les gens disent non et tant pis, ça n'est qu'une photo". Or, ce que j'entends et perçois en tant que femme c'est que la confrontation, toujours possible, est rarement aussi simple que pour un homme. On a peur pour notre matos, pour notre intégrité physique, plus que les hommes. Wait. Ca me rappelle un truc, mais quoi ? Les cours de récré et leur occupation majoritairement masculine ? La rue, idem ?

Bref, les meufs qui font des photos, je ne peux pas guérir votre timidité native mais je peux répéter : on peut sortir en groupe. S'en prendre à plusieurs filles c'est déjà plus difficile qu'à une seule. Voilà (ceci est un message personnel à Llu avec qui j'ai toujours plaisir à flâner, alors flâner en prenant des photos, hey, quelle bonne idée. Ou alors toi le son, moi l'image ?!)

Et aussi un sujet pour lequel il a été facile de trancher. Le ciel, ce matin : même pas eu l'idée vaguement bizarre de le passer en noir et blanc.

Le lever de soleil, ce matin. Un drôle de job de s'approcher des couleurs perçues par mon oeil mais je suis assez contente du résultat et puis c'est bien tout ce qui compte.

Il y a des jours où c'est compliqué de trouver une chanson qui ait un semblant de lien avec le texte, même capillotracté.

mardi 25 novembre 2025

Est-ce que je vis en Absurdie ?

Il y a peu et pendant une paire de semaines, à l'arrêt de bus qui a ma préférence près de la maison, il fallait, en raison de travaux, se faufiler entre deux barrières, sauter par-dessus un tas de boue pour se hisser dans le véhicule (sauf quand il s'arrêtait 10 mètres avant, auquel cas il fallait sauter par-dessus un tas de boue puis se faufiler entre une barrière et le bus).

La semaine dernière, j'ai découvert en arrivant à l'arrêt qu'il n'était pas desservi, pour cause de travaux. Il s'agit d'une ligne qui n'a pas tout à fait le même trajet à l'aller qu'au retour, en raison de sens interdits. Il se trouve également qu'entre le matin et le soir j'ai vue sur l'intégralité du tronçon non desservi.

Or, je vous le dis tout de go, pas l'ombre d'une raison pour laquelle ce cher vieux bus serait dévié.

Nevertheless, il l'est.

De là à imaginer que dans un monde un peu absurde, les gens des bureaux en charge des travaux aient envisagé une gêne, daté ça à un moment, que la régie de transport ait adapté le service en fonction et que, finalement, les travaux étaient faits plus tôt et sans rien gêner ou presque, mais en oubliant de prévenir et que la déviation soit restée programmée... il n'y a qu'un pas.

(Oui, je suis dans la présomption, je n'ai pas l'ombre d'une preuve. Mais en a-t-on besoin quand on vit en Absurdie ?)

Ceci n'est pas mon bus, n'en déplaise aux plus moqueurs, mais c'est l'endroit précis où je le prends (ou l'attends !)