C'était le novembre de mes 14 ans.
Jusque-là j'avais vécu une enfance heureuse entourée d'adultes aimants. Pas de trauma générationnel, pas de vrais soucis qui me soient parvenus. Ok, un petit frère un peu chiant, mais tout allait bien, je n'avais jamais pensé que ça ne puisse plus exister de cette façon.
Ce jour-là je sortais du lycée, la voiture de ma mère était garée devant[1].
Ravie de l'aubaine et d'esquiver deux bus et une bonne marche entre les deux, je lui demande si on peut raccompagner une copine. Elle me répond non. Un truc assez inhabituel chez ma mère.
J'ai dû insister un peu comme une reloue de 14 ans, bouder aussi, monter en voiture.
Et là le ciel m'est tombé sur la tête.
Mon papy était mort.
Mon papy, c'était le père de mon père. L'une de mes personnes préférées au monde entier.
Il faut dire, mon papy, il avait grandi sans père, à la dure, élevé par une enseignante et militante syndicale. Ses enfants, mon père, mon oncle, ma tante, ont passé de copieux moments à m'expliquer à quel point il n'était pas comme ça avec eux, comme père. Mais pour moi, c'était le père Noël, celui avec qui j'allais au marché à Donzy et qui m'offrait un chocolat chaud au bistrot pour prolonger le moment[2]. Qui m'a appris à cirer mes chaussures, choisir le fromage, trouver des champignons et mon chemin en forêt.
Il a passé des centaines d'heures allongé par terre, pour se mettre à ma courte hauteur, à écouter des histoires ou des chansons qui devaient lui paraître insupportables sur mon mange-disque, à discuter, à inventer le monde.
Il a créé pour moi une bulle d'enfance qu'il n'a jamais eue et je suis infoutue de gratter les pieds des champignons avec mon Opinel sans verser une larme à sa santé, plus de 35 ans après.
Même les odeurs de sa pipe froide et de ses chiens crados me manquent, c'est dire.
Alors voilà, à 14 ans, j'ai appris en quelques secondes, sur le siège avant d'une Clio rouge, que la vie pouvais s'arrêter, brutalement, sans sommation[3].
Que ceux qu'on préfère parmi tous les autres pouvaient soudain ne plus exister.
C'est un sujet sur lequel je suis priée de ne pas trop m'exprimer en famille, vite rabrouée d'un « c’est la vie » (my point, exactly).
C'est aussi un moment clé de ma vie.
La perte. La fin de l'insouciance.

Notes
[1] Quelle vie aventureuse on menait, ma mère venait me chercher, ça n'était pas prévu, et je la voyais ! Sans téléphone portable ! Sans email ! Comme quoi on se débrouillait un peu avec notre vision de loin et notre odorat, du temps de la préhistoire !
[2] Le bistrot qu'on voit dans le film d'Ozon, « Quand vient l'automne »
[3] Pas tout à fait aux yeux des adultes, il se savait malade, l'a annoncé le plus tardivement possible, mes parents nous ont beaucoup "protégés" de ça, je n'ai même pas eu le droit de venir à l'enterrement, bref. Une toute petite sommation.












