"Et puis il faudrait que je dorme", ai-je terminé mon coup de fil hebdomadaire à mes parents, en énonçant le programme du week-end.
Hier soir (samedi), je suis rentrée ravie de ma journée, son déjeuner en particulier (on y reviendra), mais un rien frustrée par mon choix de film. Alors je me suis dit en me débarrassant de mes fringues qu'on verrait aujourd'hui, selon la météo, cette saleté de douleur étrange et de mon énergie disponible si je pourrais me rattraper un peu.
Une autre contrainte de taille à prendre en compte : le temps de préparation du bœuf bourguignon qui accompagnera quelques uns des repas de notre semaine.
Mais comme l'avenir appartient à celles qui se lèvent tôt, j'ai non seulement pu me faire un copieux petit déjeuner en lisant (œufs brouillés et Kafka sur le rivage de Murakami, on ne peut pas toujours être dans la grande souffrance), d'éplucher et couper des carottes, champignons, échalotes, de couper en "papillon" des morceaux de bœuf et mettre le tout à cuire.
Restait la météo (dégueulasse), la douleur (tenable), ma flemme, dont j'aurais parié qu'elle me renverrait sous la couette illico. Et non, l'envie a été plus forte, j'ai sauté dans un jean d'homme[1] et un pull, marché sous la pluie et ma capuche[2] jusqu'à la gare et sauté ou à peu près dans le train qui me recrachait, 13 minutes plus tard, sur le quai à Saint-Lazare.
J'avais eu le temps de constater que j'avais oublié ma liseuse, oubli d'autant plus fâcheux qu'elle entre parfaitement dans les poches de mon jean. 11h20, pour une séance à 11h30, je peux tenter la FNAC. J'aurais pu tenter un message catastrophé à mon inspirateur de lectures principal : "J'ai ma CB, une Fnac en visuel et 8 minutes pour acheter un livre, je prends quoi ?". Dans ce genre de situations de crise aiguë, il est capable de répondre en un temps record, comme de laisser mes mots s'éteindre dans un silence assourdissant.
Comme je n'ai pas marché sous la pluie pour attendre bêtement la réponse d'un homme dans un rayon de la Fnac, je me dis que tant pis, j'ai l'appli de ma liseuse sur mon téléphone si vraiment, je dépéris pendant le trajet retour (13 minutes, rappelons-le. Vous avez sérieusement pensé que je pouvais me retrouver totalement à poil de lecture pendant un laps de temps si important ? Au pire j'aurais pris le générique en photo pour le lire ligne à ligne au retour).
Me voici donc avec mes contemporains, cinéphiles du dimanche matin, entassés sous le tout petit auvent du ciné pas encore ouvert. Quelqu'un commente l'heure : 11h17.
Quoi ?
L'heure a-t-elle reculé à mon insu ?
Je vérifie ma montre qui indique 11h22 puis mon téléphone, plutôt dans la team 11h17[3].
Putain j'avais largement le temps d'aller à la Fnac. Merde.
Au moment où je fais cette découverte, je me rends compte que j'ai non seulement une montre en avance mais aussi oublié de mettre une culotte. Je scrute les gens autour de moi pour voir s'ils me regardent bizarrement parce qu'ils savent. A priori non. Je rigole toute seule à l'idée que l'un des vieux messieurs à cataracte de cette noble assemblée est peut-être le connard de l'autre jour, ahaha, devine quoi, abruti, j'ai pas de culotte !!
(On se calme.)
Le rideau de fer finit par s'ouvrir, je m'offre un café dégueulasse et m'installe sans lecture dans la salle 2. Que personne n'ose m'accuser de manque de courage.
Fuori a tenu ses promesses, me voici deux heures et quelques plus tard, réconciliée avec mes choix, sur le pavé parisien toujours très humide. J'attrape un sandwich à Saint Lazare à l'heure où les bonnes gens en sont au café d'après le poulet rôti dominical, saute dans un train, coupe le feu provisoirement sous le bœuf bourguignon. Une manœuvre importante car il est quasi insoutenable d'être réveillée de sa sieste par l'odeur prometteuse d'un plat qui mijote. Or, là, tout de suite, j'éparpille mes fringues, me glisse sous la couette pour une petite sieste. J'avais dit qu'il fallait que je dorme.
J'émerge deux heures plus tard, comme quoi, il fallait que je dorme pas pour rire. Le feu est de nouveau sous la cocotte qui mijote, la maison sent bon, j'ai pris un long bain avec Kafka et de la mousse, constaté que j'ai 4 ou 5 billets en cours d'écriture dans ma tête et à peine le temps d'en gribouilleR un très vite avant le retour de Lomalarchovitch.
Dont acte.
Quand je pense qu'il en est certains pour trouver que j'ai une vie calme.
Notes
[1] Pas le jean d'un homme dont j'aurais jeté le cadavre dans le port de Gennevilliers, un jean de coupe homme, acheté pour la taille de ses poches, pour les jours où j'ai envie de sortir sans rien, sac, tote bag ou quoi que ce soit d'autre.
[2] C'est pour vous la secte du zeugme !
[3] Je possède une montre automatique fort jolie mais qui tend à avancer de quelques secondes par jour. Et comme la boutique qui la vend est rive gauche je procrastine ma visite chez eux pour me plaindre. On a les raisons de procrastiner qu'on peut, que voulez-vous.








