J'ai la chance, dans le grand groupe humain porteur de handicaps et / ou de maladies invisibles, d'en avoir dégotté une qui n'est "pas pire" à gérer, une fois qu'on est arrivé à trouver le bon dosage dans le traitement.

Ne vous méprenez pas, tant qu'on y est pas arrivé, c'est un enfer. Un enfer dans lequel on se sent rarement compris.

Parce que tout le monde a déjà été "fatigué".

Du coup une fois que vous avez dit que vous êtes chroniquement fatigué(e) et qu'en plus vous dormez mal, on vous plaint cinq secondes, et éventuellement on vous enchaîne sur le bébé matinalement éveillé, ou le chat du voisin qui a miaulé et qu'on est soi-même un peu crevé, ce matin, qu'on irait bien se recoucher ou faire une sieste.

Or, il n'y a pas de mots pour décrire ce fond du trou des très grandes fatigues. Ça parlera à ceux qui me connaissent le mieux, je crois être une personne capable de rebond, d'optimisme et de faire au mieux avec ce qu'on a. Et certains jours au plus profond de l'hypothyroïdie, il m'est arrivé de pense que quand je serai morte, au moins je n'aurais plus à faire avec cette fatigue.

Autant vous dire que ça fait un peu bizarre quand on a pas trop l'habitude de subir des pensées sombres au long cours. Sans parler des choix peste ou choléra qu'on fait pour survivre, comme réduire à néant sa vie sociale parce que zapper l'une des rares siestes possibles, c'est pas envisageable. Rien à voir, donc, avec le fait d'être "normalement" fatigué par une vie d'adulte.

Mais, pour moi, ça va mieux, beaucoup mieux, je retrouve ma vie et l'entrain qui l'accompagne généralement avec grand plaisir, et un petit sentiment d'irréalité accompagne les souvenirs des pires moments. Comment ça a été possible (et merci la chimie).

Il n'en reste pas moins que je garde en mémoire le déni que font les autres, souvent très involontairement, de ce qui vous arrive.

Ça ne se voit pas donc ça s'oublie vite.

Quand j'ai dit à mes chefs et + 1 et + 2 que j'avais un japonais, ils m'ont fait part de leur grande compassion, et puis basta, par exemple. Comme je suis du genre combatif, j'ai fait ce que je devais et considérablement puisé dans des maigres ressources pour faire le job, minimiser les impacts sur mon travail. Mais ça m'a coûté (et ça a dû coûter à mon amoureux). Sans parler des fois où je suis arrivée au bureau en me disant que chouette, la fatigue ne m'avait pas encore tuée sur la route.

Bref, à aucun moment on ne m'a proposé de voir avec les RH ou la médecine du travail si on pouvait aménager des choses pour que je reste une salarié qui fait bien son boulot sans me tuer à la tâche. Pas parce que je suis dans une entreprise où on s'en fout, juste parce que bon, être fatigué, hein, tout le monde l'est. Ce n'est pas une maladie. Sans déconner.

Ça a tenu, tant mieux. J'ai réussi à en rire, parfois, à faire avec, la plupart du temps. A ne pas être trop en colère avec les comparaisons douteuses.

Je suis combative, ça m'a servi. Ça m'a peut-être aussi pris des ressources que je regretterai un jour, on verra bien. Ça m'a tenue, très certainement, aussi, cet engagement vis-à-vis de moi à bien faire mon boulot.

Mais je pense à tous ceux qui portent un handicap ou une maladie invisible, et pour qui la vie professionnelle et le suivi d'un traitement contraignant, à heures fixes, ou à effets secondaires (ou le contrôle de leur état, par exemple, pour les diabétiques) devient une mission impossible, ou bien une mission qui bouffe une énergie dont on a besoin par ailleurs.

Et je trouve ça injuste.

Les maladies et ou handicaps invisibles, c'est un peu la double peine.

J'ai de la chance, la mienne ne met pas en cause ma survie ou ma mobilité. Mais ce n'est pas le cas pour tous et je leur adresse ici de fraternelles pensées.

Commentaires

1. Le jeudi 5 novembre 2015, 16:30 par Lila

Je suis migraineuse depuis l'adolescence. Ce n'est pas comparable en terme de maladie, c'est beaucoup moins grave/gênant. Mais je vis aussi cette incompréhension. Quand je dois justifier une absence au boulot parce que j'ai eu une migraine. Ou quand (c'est arrivé il y a peu) l'amoureux ne va pas bosser parce que je dois m'occuper des 2 enfants, que j'ai une migraine et que je ne peux pas le faire. Parce qu'avoir "mal à la tête" ce n'est pas un motif suffisant. Ca arrive à tout le monde, comme être fatigué. Difficile d'expliquer que ça n'a rien à voir. Que parfois ça m'empêche littéralement de me lever. Ou que je suis physiquement incapable de supporter le moindre bruit. Que ça m'a déjà envoyé aux urgences. Heureusement, ce n'est pas quotidien (3-4 fois par an, pour les grosses crises). Alors moi aussi j'ai une pensée pour tous ceux qui portent un handicap ou une maladie invisible !

2. Le jeudi 5 novembre 2015, 16:39 par Sacrip'Anne

Lila, oh la la, ma pauvre. Ça doit être assez compliqué, oui (parfois je soupire dans ma tête en me disant : ceux qui savent savent). D'une certaine façon je trouve ça plus chiant que la fatigue hashimotienne : au moins ça se traite chroniquement, aussi !

3. Le jeudi 5 novembre 2015, 16:57 par Dame Ambre

Ça me parle tu penses. Toute cette fatigue que je ne cherche même plus à expliquer mais dont on ne sait jamais si on se relèvera, toute cette douleur qui tue et que je ne veux plus partager. Parce que tout le monde est fatigué à un moment, parce que tout le monde a mal à un moment. Et que non, ce n'est pas entendu, ce que je viens de dire. Je crois que le vocabulaire n'existe pas, surtout.

C'est quand j'ai eu l'oxygène, que comme toi, j'ai émergé et c'est incroyable cette sensation, ce brouillard qui se lève n'est-ce pas :) Bon ce n'est pas miraculeux au point que je revis normalement, mais presque et ce presque, il vaut bien tout le reste. Et cela me fait tellement plaisir, quand j'entends/je lis qu'un traitement à fonctionné, et que c'est dépassé, pas très loin mais dépassé.

Je suis très heureuse pour toi :)

4. Le jeudi 5 novembre 2015, 17:52 par Noé

Moi qui ai vu la chose de près, qui ai essayé de te soutenir plus que de t'enfoncer, ça fait du bien de te voir la tête hors du trou. Te voir t'enfoncer dans ce cauchemar d'épuisement, sans pouvoir rien y faire, ne fut pas simple ! :heart: :-*

5. Le jeudi 5 novembre 2015, 19:43 par Elo

Merci pour cet article, si vrai.

Il y a aussi les maladies invisibles, et qu'on doit taire, même une fois diagnostiqué, sous peine d'être catalogué à tout jamais dans une case dont on ne sortirait pas. Mon mari a un poste important dans une boîte et il est bipolaire. Il prend son traitement, et gère à peu près sa maladie. Mais je sais, moi, les phases de dépression où il s'extirpe du lit avec difficulté, les idées noires sans cesse ressassées, le désespoir et l'avenir soudain inutile. Et la nécessité de donner le change, de faire semblant que ça va. Il fait bien son boulot,ses chefs sont contents de lui. Mais parfois il est héroïque, et personne ne le saura, hormis lui et moi.

Alors bravo à toi pour cet héroïsme aussi. :)

6. Le jeudi 5 novembre 2015, 23:58 par Buchy

C'est vrai que tout le monde a ses moments moins - moins.
C'est d'autant plus dur si personne ne se préoccupe de ton état, au boulot comme dans la vie. Tu es si incroyablement vivante, difficile de voir à quel point tout est compliqué. J'admire ton partage à toute épreuves et ton amour des autres jamais démenti.
Et bien sûr ton courage :)

7. Le vendredi 6 novembre 2015, 06:32 par lilou la teigne

Les maladies invisibles sont celles qui sont les plus dures, tu te retrouves toujours face à certaines personnes qui ne comprennent pas. Et puis tu n'as pas forcement envie d'expliquer encore et encore.
Je connais et je pense savoir aussi tout l'énergie que tu as du avoir pour faire avec;
Je suis contente que tu vois enfin le bout du tunnel.
Des bisous madame courage

8. Le vendredi 6 novembre 2015, 09:22 par Sacrip'Anne

Dame Ambre moi aussi je suis contente pour toi que ça soit au moins un peu plus léger. Je crois que le pire c'est quand on lit sur la tête des autres "non mais quelle drama queen, celle là". Même en s'en foutant, c'est dur de s'en foutre.

Je t'embrasse.

Noé, merci beaucoup pour ton soutien logistique. Pour que le mieux dure, j'ai besoin que tu ailles dire deux mots au mec qui ronfle la nuit tellement fort qu'il me réveille ! :heart: :-*

Elo bravo à lui et à toi d'en être si consciente :)

Buchy et encore, je pense que ça l'est tellement plus pour des gens qui ont moins un tempérament extraverti. En tout cas ça fait du bien quand ça se tasse un peu (même si la semaine de sommeil a été pourrie, je n'ai QUE cette fatigue de fin de semaine et de pas assez dormi !). Merci !

lilou, je me dis que vivre avec une maladie bien visible et bien invalidante, qui fait qu'on te discrimine, qu'on te met dans des cases, qu'on te cache ou qu'on te fuit, ça doit pas être coton non plus. Mais bon. Résilience, tout ça.

Je t'embrasse fort aussi, ma vaillante.

9. Le vendredi 6 novembre 2015, 11:32 par Pablo

Non mais, merci la chimie (sommes-nous quelque chose d'autre que chimie, dans le fond ?) ; merci les produits artificiels (y compris les hormones de synthèse), car tout ce qui est naturel n'est pas forcément bénéfique (quoi de plus naturel que ton japo) ; merci la biotechnologie et merci la manipulation génétique. (L'usage qu'en font ou puissent faire certaines multinationales et l'industrie pharmaceutique... ça c'est une autre affaire !). C'était mon intervention politiquement incorrecte et parfaitement inutile de la semaine. Bon week-end !

10. Le vendredi 6 novembre 2015, 14:45 par Sacrip'Anne

Pablo toi aussi !

11. Le vendredi 6 novembre 2015, 22:56 par Pablo

0:-) :heart:

12. Le mardi 10 novembre 2015, 07:56 par Valérie de haute Savoie

Ma mère a eu un épisode d'épuisement total dû a un gros problème cardiaque diagnostiqué depuis et lui redonnant cette énergie vitale. Je sais combien l'on peut cataloguer trop vite un malade dans la case chochotte ou siphonné. Je ne prends jamais à la légère une fatigue anormale (j'ai tanné ma mère pour qu'elle aille voir un médecin), je suis contente pour toi que l'on t'ai trouvé le bon dosage et je croise les doigts pour qu'il le reste :)

13. Le mardi 10 novembre 2015, 09:52 par Junko

Cet épisode de grande fatigue et d'incompréhension de l'entourage me rappelle l'année où j'ai eu une mononucléose. Bah oui, une très grande fatigue est plus ou moins le seul symptôme, mais bon ce n'est pas grave, il n'y a pas de remède, il suffit d'attendre que ça passe et ça porte un nom plutôt rigolo "la maladie du baiser". Et quand je me suis endormie sur la table d'épuisement le jour du concours, certains ont cru que j'avais simplement fait la fête la veille comme tant d'étudiants... On est heureux quand on en sort. Et je suis vraiment heureuse pour toi que tu aies réussi à trouver un accord avec ton corps. Après il est vrai aussi que les personnes souriantes et optimistes sont peut-être perçues, à tort, comme moins fragiles alors on ne les prend pas forcément autant au sérieux. J'espère sincèrement que ton Japonais ne va pas se remontrer cruel avec toi à l'avenir.

14. Le mardi 10 novembre 2015, 11:33 par Sacrip'Anne

Pablo on se prépare pour le jour férié, maintenant, ici !

Valérie potentiellement il peut rebouger, mais probablement pas avant un long moment ! Merci !

Junko c'est rigolo, je viens d'écrire qu'à tout prendre, je suis contente que depuis des années, quitte à choisir, ma thyroïde ait opté pour la bonne humeur fréquente plutôt que le métabolisme en béton :) Même si bon, les deux, j'aurais pris, hein !

Quoi qu'il en soit, merci ! Et je pense à ton concours et au "poids de la réputation", dans ce genre de situations. En mode "venant d'elle, fallait-il s'attendre à autre chose ?"

Bref. Les gens qui savent quoi penser à notre place, tout ça.

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