Si, comme moi, vous avez grandi dans une maison où on écoute de la musique, vous savez qu'il y a la musique qu'on découvre tout au long de sa vie, et celle avec laquelle on a été fabriqués.
Il y a un paquet d'artistes, plutôt rock et pop anglaise côté maman, folk et blues côté papa, qui se sont mélangés à mon ADN. Pour résumer à l'essentiel (et pardon à tous ceux et toutes celles que je ne citerai pas dans ce billet, une autre fois, promis), je suis la fille des Beatles et de Bob Dylan [1].
Ca n'est donc même pas une question de j'aime ou j'aime pas. C'est une question de chaque cellule de moi qui reconnaît leur musique, l'intégrale pour les Beatles, surtout la trilogie folk pour l'autre. J'ai été chercher la suite toute seule. Bon, quand on sait l'influence de l'un sur les autres, puis les "échanges" mutuels entre les deux parties plus tard, pas de contresens majeur non plus.
Quand j'ai grandi, en plus de reconnaître instinctivement "le son" dès les premiers accords et de l'incapacité à savoir si ça pouvait être autrement que faire partie de moi, je me suis intéressée aux textes de Dylan.
Disons le clairement, ses trois premiers albums m'ont appris plus sur les mouvements contestataires dans les Etats-Unis des années 60 que n'importe quel cours d'histoire par la suite.
Il y a des gens qui n'aiment violemment pas Dylan et je crois que je comprends pourquoi. De toute façon je n'ai pas tellement besoin de validation pour aimer ce que que j'aime et ce que les autres n'aiment pas ne m'enlève rien. Disons que pour ceux dont je suis le plus proche, ça me fait doucement rigoler : s'ils m'aiment bien, moi, ils aiment alors ce qui, dans son boulot depuis 64 ans m'a amenée à être moi. J'espère qu'ils ne s'en sentiront pas outrés si jamais ils découvrent cette terrible vérité.
Dylan, il m'a aussi appris un goût de la liberté, une envie, que je n'exerce pas aussi bien que lui, de faire les choses selon nos propres termes. A se soustraire à certaines contraintes inutiles, dont, parfois, plaire. Etre là où on veut être et pas là où nous attend.
Voilà. Je ne suis pas une technicienne ou une érudite de l'œuvre de qui que ce soit, alors je ne vais pas vous dire si la famille folk a eu raison de le conspuer quand il a mis de l'électricité dans sa guitare, si l'accident de moto était la fin de sa "vraie" carrière où juste un accident comme on en vit tous dans nos vies. Je ne vais pas vous dire ce qu'il faut avoir écouté pour se faire un avis. Faites comme bon vous semble.
J'ai été voir "A complete unknown" hier, j'ai rarement vu plus belle déclaration d'amour. Probablement, tout ce qui s'est ou va se dire et s'écrire sur ce film va m'exaspérer, les chroniques et critiques, particulièrement en matière d'art, à de rarissimes exceptions près, me mettent facilement dans des états de colère avancée (et parlent rarement de l'œuvre dont ils parlent, si vous avez remarqué).
Donc, ce qu'en pensent "Le casque et l'enclume", comme dirait mon père, les Inrocks ou Télérama, je m'en cogne.
Moi j'ai été faire une visite de 2 heures 20 dans une branche de ma famille. Certains sont d'intergalactiques trous du cul, et dans le même souffle des gens essentiels à la musique des six dernières décennies. J'étais heureuse de retrouver Pete Seeger, Woodie Guthrie, Joan Baez, Johnny Cash... et bien sûr Bob Dylan. Je suis restée jusqu'à la fin du générique, pas par principe cinéphile (je fais, ou pas, selon le film et ma difficulté à en sortir), juste pour savourer la dernière note et leur présence jusqu'au dernier moment (j'ai été mind-blown quand j'ai découvert que Chalamet et Norton faisaient les parties musicales, incroyables performances.)
J'ai un souvenir très récent de Dylan. Que je n'ai jamais été voir en concert, parce que ce mec prend un malin plaisir à te la faire à l'envers et que je ne lui donnerai pas ce plaisir.
En novembre dernier j'étais dans les premiers rangs de la fosse de Bercy pour écouter Nick Cave et ses Bad Seeds. C'était une baffe majeure de mon existence, je ne suis pas sûre d'avoir totalement compris ce qui s'est passé. La charge émotionnelle était dantesque. Nick Cave fait partie de ces artistes "acquis" qui ont rejoint dans mon cœur ceux "innés". Je ne sais pas si vous êtes aussi sensibles à ce que peut vous faire l'art que moi, mais voilà, ce concert, il m'a ouvert une porte vers un bout de moi, un bout de l'univers, je ne sais pas comment expliquer mais c'était un des moments importants de ma vie.
Quelques jours après, alors qu'on peinait à se remettre, les 20 000 émerveillés, Dylan a twitté qu'il avait aimé le concert. L'idée qu'on (commun des mortels) ait appris sa présence en même temps que Nick Cave me fait rigoler à voix haute. C'est à la fois du trollage de génie et une sorte de délicatesse de ne pas aller dans les loges d'un groupe extenué par une longue tournée qui finit aussi magistralement sa dernière date (ne parlons pas d'âge, s'il vous plaît).
Visiblement, Nick Cave, ça lui a fait un truc.
Moi aussi. Avoir ressenti au même endroit, au même moment, la même grâce musicale, avoir expiré mes émotions en même temps que Nick et Bob (et quelques autres), c'est sans doute un peu midinette, ou bien cinglée bonne à enfermer, mais c'était comme un bonus en plus d'un cadeau magnifique.
Je finis ce billet en écoutant "I want you", sourire aux lèvres. J'ai souvent ce couplet en tête en ce moment. I want you / I want you / I want you so bad / Honey I want you.
(Aucun rapport apparent entre Bob Dylan et ce type dans la rue, juste, j'écoutais "Like a rolling stone" au moment où je la prenais et ça allait bien ensemble. Et oui, il m'arrive de me souvenir précisément quelle bande son allait avec un instant de ma vie, va falloir faire avec).
Note
[1] Belle performance.
Commentaires
Superbe point de vue, lever de rideau sur toute une musique que je ne connais pas. Ou mal.
Tu me donnes envie d'aller voir le film et d'écouter et lire Dylan, que j'ai évité jusque-là. Baez, j'ai grandi avec, curieusement, une interférence d'un cousin qui vivait pleinement ses seventies. Cash, c'est venu par les enfants (merveille quand la musique revient en boomerang via nos descendants). Les Beatles, je les connais bien. Certaines chansons me sont essentielles, il en est même une que je verrais bien diffusée pour mes funérailles, un rock endiablé qui donne la pêche.
Créatininec'est rigolo, la question de la musique pour son enterrement a été justement abordée par Nick Cave la semaine dernière (en forme de blague) (enfin j'espère). Pour le mien, je sais exactement à qui demander la playlist :)
Ici, c'est Paul Simon et Mark Knopfler avec qui j'ai grandi, et mon aîné a complètement pris le virus aussi :-)
Anna j'ai Simon et Garfunkel dans l'ADN aussi :)
Pas Simon seul ? Il a des chansons en solo que j'aime d'amour (et sa voix est incroyable pour un mec de son âge !)
J'aime Paul Simon seul, Anna mais celles qui sont tissées dans mon ADN comme Dylan ou les Beatles, ce sont les chansons des deux ensemble.
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