Comme certains d'entre vous le savent, je me suis présentée, suite à des appels du pied désespérés de la directrice de l'école et du maître de Cro-Mignonne, aux élections de délégués des parents d'élève.

Il faut dire qu'il n'en restait plus que deux, l'an dernier, et dont la vision large était visiblement contestable et contestée.

Du coup on a mis sous pli du matériel électoral et avec mon camarade tête de l'autre liste (pas de concurrence farouche, hein, on est quasi tous élus et avant même le premier conseil d'école, on bosse déjà ensemble), nous avons tenu le bureau de vote un petit matin de début octobre frisquet.

C'est le moment de dire que les questions d'analphabétisme et illettrisme me touchent depuis fort longtemps tout en me faisant bien sentir ma totale impuissance à faire quoi que ce soit. Du temps où, professionnellement, j'ai lourdement insisté pour organiser des conférences de sensibilisation à ce sujet, on m'a dit que c'était la chasse gardée d'un syndicat en particulier.

Et maintenant quoi ?

Parce que là, le pourquoi de notre quartier, notre école, sont un peu traités par dessus la jambe par la nouvelle municipalité saute aux yeux. Une bonne partie des parents d'élèves sont illettrés en français. Pas nécessairement dans leur langue natale, mais en français, oui, donc ce sont les enfants qui lisent, potentiellement, les informations qui leur parviennent. Ou pas. Ou mal.

Une autre partie est analphabète, dans toutes les langues.

Vu comme ça prend aux tripes de voir, sur les enveloppes, Monsieur qui a recopié sur Madame (y compris le prénom parce qu'il ne sait pas écrire le sien ni distinguer le prénom du nom, dans le recopiage), les écritures tremblantes, enfantines, celles, justement, écrites par les enfants pour suppléer...

Vu comme ça prend aux tripes je ne peux même pas imaginer ce que ça fait dans la vie de tous les jours, où tout est écrit, tout doit s'écrire, partout, tout le temps, les stratégies d'évitement, de compensation, l'humiliation constante, le sentiment d'infériorité, le sentiment d'être si facilement manipulable par ceux qui savent, le patron qui te fait signer d'une croix en bas du contrat [1], si à la merci du monde, si petit face aux administrations papivores.

Bref, ça me fait monter des larmes aux yeux et je voudrais bien avoir une BONNE idée de comment apporter quelque chose à ceux qui voudraient apprendre, au moins un peu.

Et je ne sais pas bien quoi.

Note

[1] je l'ai appris dans une étape pro précédente, c'est une pratique super courante notamment dans les entreprises de nettoyage, étonnant, non ?

Commentaires

1. Le mardi 4 novembre 2014, 10:26 par Franck

Réinventer l'écrivain public, qui a passablement disparu de nos villes et campagnes, déjà pour l'immédiat.

Ensuite je connais un gens (à défaut de plusieurs), qui a donné pendant quelques temps des cours de français pour adultes, c'est une autre idée; maintenant il faut tout de même posséder un minimum de pédagogie, voire, dans certains cas, maitriser un peu la langue maternelle de l'apprenti, avoir un local, du temps…

Bref rien de simple…

Internet a ceci de bien qu'il masque les défauts d'écriture, à défaut de l'orthographe ou de la grammaire (saleté de correcteur, toussa…), et pouvoir faire de chez soi, dans la sphère privée, de plus en plus de démarches administratives est une excellente chose je trouve, surtout que l'informatique permet facilement de proposer des formulaires dans une langue différente (voire d'utiliser un traducteur automatique, qui dans ce cas ne s'en sort pas trop mal).

C'est en fait un très vieux problème : je pense aux patois et langues régionales parlés dans les campagnes et les villes il y a quelques décennies, le français n'étant pas la langue habituelle.

Mais bon, on finira bien par s'entendre tous sur cette planète, sauf que ça va prendre un peu plus de temps que prévu :-)

2. Le mardi 4 novembre 2014, 10:30 par fredoche

Dans une autre vie, j'ai appris à lutter contre ça, dans le cadre associatif et dans le cadre gouvernemental (mais pas en France, hein).
C'est pas facile, il faut de la volonté des deux côtés, et des moyens. Mais j'ai vu des résultats qui aujourd'hui encore me réjouissent.
Tiens, d'ailleurs, un lien très bien fait pour comprendre ce que c'est que l'illettrisme : http://www.dechiffrezdeslettres.fr/

3. Le mardi 4 novembre 2014, 10:37 par Stéphane Deschamps

Moi, dans une certaine mesure, je crois que tu leur apportes déjà en étant là et en leur expliquant ce qui se passe et en lisant pour eux.

Dans une vie antérieure je faisais des courriers administratifs (quand j'étais Secrétaire d'Administration) et ma cheffe (l'Attachée d'Administration) me disait que je ne devais pas interpréter le texte de loi par écrit, car l'écrit, en droit administratif, est opposable à l'administration.

Bref.

J'ai fini par recevoir, en 4 ans, des centaines de personnes à qui j'expliquais la loi.

De l'écrit à l'oral, se poser, parler, et donner des réponses. C'est déjà bien et c'est à notre portée.

(PS : accessoirement mon bureau minuscule avait néanmoins une chaise pour accueillir le public, ce qui semblait bizarre aux bureaux environnants). :)

4. Le mardi 4 novembre 2014, 10:42 par isabelle

Du temps ou je bossais en restaurant , j'en employais des gars et des filles ne maitrisant le français écrit
A chaque embauche , je leur lisais le contrat , leur expliquais le sens , les vacances , le salaires , le planning .
En insistant qu'ils viennent me demander à la moindre question
En leur donnant les consignes à l'oral mais aussi par écrit car certains apprenaient à lire .
En leur trouvant des formations pro avec un coach qui venait 2h par semaine au boulot pendant un an pour leur apprendre a lire
En aidant au remplissage des papiers administratifs demandés ( ça je le fais encore au boulot et ailleurs )
se dire qu'il faut essayer de toutes les façons et commencer par de petites choses

5. Le mardi 4 novembre 2014, 11:08 par L'impatiente

vite fait en passant j'ai entendu des émissions super super chouette sur ça http://www.projet-voltaire.fr/ sur FranceCu, et je pense qu'ils ont tous pleins d'outils pour aider ceux qui veulent aider.

Des bisettes au passage, pleins

6. Le mardi 4 novembre 2014, 11:56 par Sacrip'Anne

Franck tiens, on recrute un écrivain public, au CSC en bas de chez nous :) Mais ça reste du "faire pour", et je fais partie de ceux qui pensent qu'il est encore mieux d'apprendre à faire.

Tu as raison sur l'ancienneté et sur l'ordinateur. On devrait faire du vote par email à l'école :D

fredoche tu fais bien de souligner qu'il faut de la motivation bipartite ! Merci pour le lien !

Stéphane je t'imagine dans ton micro bureau avec une chaise visiteur et ça te ressemble tellement, et tellement joliment. :)

isabelle ah mais s'il n'y avait que des patrons comme toi, y aurait plus de méchants, alors comment on ferait ? ;-) (bravo pour l'exemple et l'exemplarité, pour de vrai)

L'impatiente merci pour le lien (qui me fait rire pour de toutes autres raisons, je te raconterai !)

7. Le mardi 4 novembre 2014, 12:20 par Raphaelle

Y'a des pays, pas si éloignés que ça (Portugal par ex), ou sur les papiers officiels, une case est prévue "ne sait pas lire" ou tu peux cocher si pas possibilité de signer. J'avais jamais fait attention à ce genre de choses avant de connaitre ma belle mère. C'est très perturbant (pour moi) de toucher du doigt cette réalité là. Et pareil, je ne sais pas trop quoi faire.

Sinon rien à voir mais je suis aussi aux "parents d'élèves" et j'aurais beaucoup de choses à en dire :p

8. Le mardi 4 novembre 2014, 12:23 par mirovinben

Aller dans un pays qui écrit autrement donne une idée extrêmement pédagogique de ce que peuvent vivre au quotidien illettrés et analphabètes.

9. Le mardi 4 novembre 2014, 14:03 par Gilsoub

J'ai un ami Libannais, en France depuis 30 ans, fraichement nationalisé et dont le français si il n'est pas trop mauvais au parlé (en plus de l'arabe, anglais, arménien parlé couramment) était juste très mauvais en écrit et lecture. Il bosse en chef de rayon dans un supermarché ce qui pouvait poser problème. Un jour un collègue de travail lui à fait remarquer qu'il avait plein de droit à la formation et que justement il existait des cours pour les étrangers. Il as suivis cette formation pendant 4 mois, un jours par semaine (8h) et je peut te dire qu'il a fait d'énorme progrès. Juste personne ne lui avait dis que cela était une possibilité des droit à la formation individuelle auquels tout salarié à droit...
Si tu veux que je me renseigne sur le noms de l'organisme qui l'a formé...

10. Le mardi 4 novembre 2014, 14:09 par Sacrip'Anne

Raphaëlle je crois que c'est une réalité d'autant plus violente quand on est soi-même éduqué, lettré...

Quant aux parents d'élèves, premier conseil d'école jeudi, suspense !!!!

mirovinben et une grosse claque d'humilité au passage :D

Gilsoubcomme on dit, à partir de la 5e langue, on apprend quasi tout seul :D

C'est pas tant l'organisme (il y en a plusieurs, selon différentes formules) que de circuits. Il y a énormément de mères au foyer, de pères au chômage, dans mon quartier. Et "l'empowerment" ne leur est pas inculqué par la société, je crains...

11. Le mardi 4 novembre 2014, 14:32 par mume

Du temps où je rentrai en mon logis evryen tard le soir, je voyageais avec des gens rentrant eux aussi quelque part... @-I
Un quelque part dont ils ne pouvaient lire le nom sur les tableaux lumineux du RER. 8-)
Il m'a fallu du temps pour comprendre... :gasp:
Après je suis passée en mode explicatif en comptant le nombre de trains après celui ci ou celui la.
La musique des annonces, suppléer la lecture par les "oreilles" pas facile dans le bruit ambiant perpétuel.
Le tout avec un grand sourire, un compliment sur la couleur du costume...pas la maitrise de notre langue mais tellement d'autres choses à valoriser en quelques instants.
Un mouchoir en papier, une clope, un bonbon pour le gamin braillard dans la poussette (22h..) l'enfant récupéré chez une tante à la mode de Bretagne. :sick:
Je me couchais en savourant "ma chance" ...

12. Le mardi 4 novembre 2014, 15:33 par Sacrip'Anne

__mume_, je te reconnais bien là ! C'est chouette de savoir savourer sa chance, fût-elle relative. Combien de gens traitent les autres par le mépris...

13. Le mardi 4 novembre 2014, 17:58 par lagune

Bien souvent il y a des cours d'alphabétisation organisés par les structures d'animation / culturelles, style MJC, centres socio-culturels... Encore faut-il que ces personnes y aient accès: entre le courage de dire et y aller, savoir que ça existe, oser aller dans un lieu collectif et public.... Parfois des éducateurs"de rue" peuvent accompagner vers. Ça peut aussi être des assistants sociaux.
Ce sont juste des pistes...

14. Le mardi 4 novembre 2014, 18:14 par julio

Cela me parle ! Quand nous somme arrivé en France et surtout quand nous avons emménagé à foussemagne c’est mon frère tout petit qui aidé ma mère avec le courrier. Puis aujourd’hui ça continu, il rouspète mais il si colle. Quand les vieux espagnoles réclame leurs retraites ou qu’ils ont besoin d’un document administratif bien c’est pour lui. La dernier en date une de mais tante qui n’avais conservé aucun document, ni carte de séjour ni carte de travail ni numéro de sécurité social etc. ;)

15. Le mercredi 5 novembre 2014, 09:09 par Sacrip'Anne

lagune c'est compliqué de relier ceux qui ont besoin à ceux qui peuvent aider, finalement. Et compliqué de franchir le pas du besoin au fait d'y répondre. Merci pour les pistes :)

julio c'est une histoire commune à bien des enfants d'immigrés, et fort heureusement, les enfants sont aussi, parfois, de fort bons guides vers le fait d'apprendre mieux la langue nouvelle. :)

16. Le vendredi 7 novembre 2014, 10:52 par Fabrice

Comme souvent, j'arrive en retard…
Tu évoques dans un com le CSC en bas de chez toi. J'y ai fait de rares interventions avec celle qui s'occupe (ou s'occupait, je ne sais pas si elle travaille encore là-bas) des cours d'alphabétisation.
Je trouve ça très enrichissant (pour nous, les chanceux de naissance) de mettre le nez dedans, de voir ces personnes d'origines variées qui ont envie/besoin d'apprendre à écrire et lire.
C'est sûr, faire la démarche est compliquée, savoir vers qui aller, suivre les cours quand on bosse du matin au soir (ou du soir au matin)… J'ai beaucoup d'admiration pour ces personnes, certaines que je voyais progresser super vite, d'autres pas du tout, mais qui venaient et ne lâchaient rien.
Certains profitent aussi de l'apprentissage de leurs enfants pour progresser.
Je trouve super qu'ils votent, car leur réflexe pourrait être de masquer leurs lacunes et ne pas se mêler de ce qui est leur faiblesse (vis-à-vis du monde qui les entoure, mais aussi de leurs propres enfants qui les dépassent dans ce domaine).
Bon… Tout ça pour dire, gros sujet sur lequel je suis capable de te pondre des pages (faut dire que j'y passe aussi quelques heures dans mes journées).
Tant qu'à faire, je pourrais aussi faire long sur les parents d'élèves, mais bon…

17. Le vendredi 7 novembre 2014, 14:04 par Sacrip'Anne

Fabrice je pensais à toi en vivant le truc et en écrivant le billet, en espérant que tu viendrais y mettre ton grain de sel.

Plus loin que : ça ne les freine pas, il y a un certain nombre de parents qui votaient avec une évidente fierté. Parce que devine quoi, aux vraies, ils n'ont pas le droit. Ça fait à la fois chaud au cœur et mal au bide.

Pour les parents d'élèves, j'étais, devine quoi, en train de te faire un mail ;-)

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : https://sacripanne.net/trackback/2375