Au royaume du glucide les féculents sont rois

J'ai longuement hésité à publier ce billet sur le blog privé. Pas envie que des personnes mal intentionnées viennent fourrer leur nez dans cette intimité qui est la mienne en ce moment.

Ce qui me fait pencher vers le public est un encouragement, qui date déjà un peu, de Krysalia.

Krysalia a cette grande qualité de partager ses expériences, dans tous les domaines dans lesquels elle en a, avec une grande générosité. Elle m'a donc soufflé que ça serait bien que je parle de ce que je vis et comment.

Le partage étant, dans mes valeurs, plus important que de me laisser pourrir par la toxicité des malveillants, me voilà partie, donc, et sur la partie publique qui plus est.

Il y a donc un peu plus d'un mois qu'on m'a collée dans la case "diabète gestationnel". A un cheveu près. Un pouillème de cheveu, même. Ça fait rigoler jaune à l'hôpital sur le mode "pas de chance ma pauvre".

Sois diabétique et tais-toi

Il faut savoir qu'il suffit d'une valeur au dessus des seuils pour vous projeter dans l'univers magique des doigts troués. Pas de re test, pas de deuxième chance, que vous dépassiez d'un peu ou de beaucoup, c'est même tarif, sans négociation.

A partir du moment où le verdict tombe, on a droit à une session d'information sur ce qu'il est bon de manger et surtout pas bon du tout de manger (surtout en quantités abusives). Et à manipuler l'outil du diable qui vous pique le bout des doigts afin d'y faire venir la goutte de sang que vous analyserez ensuite comme une grande grâce au lecteur idoine. Mesures à faire 6 fois par jour, avant de manger, puis deux heures après jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Il y avait dans la salle avec moi plusieurs autres femmes, une quinzaine environ (à une session par semaine, du coup, le tout rapporté au nombre de naissances dans l'hôpital, j'ai du mal à me dire qu'il n'y a QUE 4 à 6 % de femmes touchées, dans mon entourage aussi, on est assez au-dessus, ou alors je suis entourée d'un groupe de "pas de bol" ?). Pour la plupart c'était panique à bord à l'annonce des "interdits". Visiblement le fait de consommer du fait maison est un gros avantage sur le rééquilibrage alimentaire nécessaire. Pour certaines, c'était leur liste de courses entière qui devenait, du jour au lendemain, sinon interdite, au moins à réduire.

Pour ma part, c'est plus simple. Réduire un peu les portions de féculent, mettre un légume systématique à chaque repas, alors que j'avais tendance à voir l'équilibre comme quelque chose qui se fait sur la journée, voire la semaine. Oui mais là, c'est pas pareil, ma bonne dame, vous êtes enceinte ! Je ne mange pas très sucré, pas d'énormes sacrifices à faire sur les desserts et les confiseries.

Le brief piquage de doigts est assez élémentaire, mais s'annonce compliqué à faire fonctionner avec nos horaires. Plus question d'attendre mon Enchanteur pour dîner vers une heure du matin les nuits de week-end, ça me semble insurmontable de remettre le réveil deux heures plus tard pour vérifier. Et vu la quantité de réunions qu'on enchaîne au bureau, ça n'est pas toujours hyper simple non plus. Mais bon.

Et vu de l'intérieur, ça donne quoi ?

Finalement ce qui est le plus dur à accepter, pour moi, c'est de devoir penser sans arrêt à la bouffe. J'ai mis longtemps à m'assainir de ce côté là, Zermati et Apfeldorfer m'ont fait le plus grand bien. Or justement, là, il faut réintroduire de l'injonction, de l'interdit.

Les réactions extérieures sont un peu violentes. Du genre "Oh ben un petit régime ça ne fait jamais de mal" (en fait, si, un régime, c'est même très très mauvais pour la santé, vu comme une restriction alimentaire stricte, mais c'est un autre sujet). Ou bien "c'est toujours ça de pris pour après l'accouchement. Pas de bol, j'ai pris peu de poids jusqu'à présent (à vrai dire, c'est le bébé et ses périphériques qui ont pris), du coup, bon. Pas le sujet.

La pensée magique alimentaire est tellement bien ancrée chez plein de gens, et ma grand-mère en particulier, les fausses bonnes recommandations sont légion.

Mais bon. Résister à ça, je sais. Pas depuis très longtemps mais je sais.

Ce qui m'est compliqué c'est de devoir penser à prendre des compléments pour moi de façon à ce qu'on mange à peu près pareil à table on mange des pâtes, j'ajoute un oeuf ou un blanc de poulet, un gazpacho), de penser à vérifier deux heures après, de penser à respecter des intervalles juste comme il faut entre les repas, à prendre un goûter au bureau alors que bon, c'est pas comme si j'avais des tonnes de boulot, etc.

Et puis ce geste, s'il n'est pas très douloureux, n'est pas non plus anodin. Je me fais mal pour me faire du bien ? Pas mon genre.

On a beau savoir que c'est à durée limitée, et même avec des ressources de relativisation assez notables, faut s'y faire et c'est pas drôle.

Malgré tout, Zermati à la rescousse

Fort heureusement, dans ce chemin que j'avais parcouru en découvrant l'approche Zermatienne (!), il y a de quoi accrocher un peu de soutien.

Pour ceux qui ne connaissent pas, prendre la méthode à la lettre est absolument interdit en matière de diabète, gestationnel ou pas ! Il s'agit de manger absolument ce qu'on veut mais de s'arrêter précisément à satiété, en se concentrant sur ses sensations pour arriver au plus près du moment où on a plus faim.

Rien à voir avec une injonction de manger une protéine, un produit laitier, un peu mais pas trop de féculents, un légume vert par repas, et puis des fruits mais pas plus de trois par jour (et ça dépend de quel fruit), et plus de ceci et moins de cela, donc. L'inverse absolu, même.

Pour autant, dans mes apprentissages, j'ai puisé principalement deux trucs qui s'appliquent.

1/ pour ne pas être frustrée par la réduction de la portion de pâtes, là où j'aurais envie d'une grosse assiette mais que seuls 150g sont autorisés, sous réserve que la glycémie soit bonne, etc, déguster. Savourer. Respirer à fond, mâcher longuement chaque bouchée, décortiquer les goûts, s'en repaître. C'est impressionnant comme on découvre des goûts, on se fait des vrais "shoots" de bonne bouffe en mangeant en "pleine conscience", comme ça s'appelle. Du coup, au bout des 150g, on a bien profité et pas eu l'impression d'être puni de quelques rapides bouchées.

Pas évident à acquérir, mais ça se pratique et permet d'ailleurs de se rendre compte qu'on est satisfait bien avant la fin de l'assiette, pour la plupart d'entre nous.

2/ ne rien céder au plaisir. Quitte à devoir manger des choses imposées, je m'impose, moi, de les aimer. Alors certes, l'offre à la cantine rend l'exercice un peu compliqué les midis ouvrables. MAIS. Manger plusieurs jours de suite un légume ou une soupe qui me plaisent ne me pèsent pas, alors que deux rondelles de courgettes à l'eau me plongent en plein marasme. Du coup je concentre ce qui ressemble le plus à une contrainte sur des choses que j'adore, dont je ne me lasse pas et qui me font plaisir.

Curieusement, ça passe beaucoup mieux.

Au bout du tunnel

Avec tout ça ça m'a pris un bon mois de "digérer" (hahaha) la nouvelle, de m'y faire. Je râle encore. Je rue parfois. Je hais l'injonction, vous saviez ? ;-)

Et encore je sais que c'est temporaire. Et encore mes mesures sont à 95 % très en dessous des seuils limites (j'essaie de ne pas y voir une preuve de plus que je suis une erreur de casting du diabète gestationnel). Du coup, j'ai la recommandation bienveillante, dès que j'ai une semaine "sans faute" de faite, de passer à deux jours de mesures par semaine au lieu de 7. Mes bouts de doigts attendent avec impatience.

J'ai aussi la chance de ne pas avoir besoin d'insuline, d'arriver à bien observer ce qui me fait du mauvais effet ou pas. De vivre ça au plus confortablement, malgré tout.

Mais en conclusion, si vous vivez ça, vous aussi, vous avez toute ma compassion. Et si vous êtes un proche de quelqu'un qui est confronté à ce dérèglement passager de la gestion du sucre, pas la peine de rationaliser, de sortir des "le bon côté des choses c'est que tu vas pas finir énorme à la fin", ou "un petit régime, ça va, par rapport à la santé de ton bébé, c'est pas la mer (la mère ?) à boire".

C'est un diagnostic un peu violent qu'on se prend dans la gueule, et pas un truc qu'on oublie une fois qu'on a gobé son cachet quotidien, d'autant qu'il n'y a pas de cachet quotidien. Et tout le plaisir qu'on peut avoir à fabriquer une nouvelle vie ne change pas le fait que c'est notre corps qui prend cher. C'est comme de dire : les nausées c'est pas grave à côté de la magie d'une nouvelle vie. Ça n'est tout simplement pas le sujet, et ça n'a rien à voir.

Et que ceux à qui ça ne plait pas aillent bien se faire cuire le cul, bien sûr ;-)

Commentaires

1. Le mardi 13 mai 2014, 17:11 par Tetsuo ou le commentateur hyper constructif

Et est-ce que telle Aurore, tu t'endors après t'être piqué le bout du doigt ?

(je sais, la question et encore plus la réponse sont capitales...)

2. Le mardi 13 mai 2014, 19:19 par krysalia

des coeurs sur toi ♥
tu as fort bien relevé la violence qui est envoyée vers les diabétiques, qu'ils soient gestationnels, insulinodépendants ou les autres. "haha, plus de gâteaux pour toi", "bah tu verras du coup un petit régime, hein, ça te fera pas de mal * insère ici un coup de regard de haut en bas s'attardant avec une moue dédaigneuse sur la rotondité de ton cul...*".

je ne sais pas pourquoi mais je le constate tous les jours, le diagnostic de diabète est un de ceux qui atteint particulièrement l'image de soi. Dans notre société où les injonctions contradictoires ou névrotiques au sujet de la bouffe (et les croyances débiles !) sont effectivement légion, c'est encore pire. On n'entend qu'un mot "régime", et on te donne tous les conseils, de "dangereux" dans le style Dukan à "idiot" dans le style Cohen, aucun adapté à la maladie mais personne ne veut l'entendre. les envoyer se faire cuire le cul étant la moindre des gentillesses à leur souhaiter :D.


un truc éventuellement pour les fois ou ton enchanteur rentre tard : manger un repas calibré que tu connais bien, dont les produits ne varient pas, et dont tu connais l'effet calibré aussi sur ta glycémie. c'est pas parfait mais au moins, il y a peu de chances que ça crée un désordre, si tu as besoin ou envie de manger avec lui !

Bravo d'avoir mis tout ça en mots, je suis sûre que plein de gens peuvent s'y reconnaître. et bon courage, bientôt la quille (et la semi quille avec ce contrôle semi permanent qui te pèsera moins)!

3. Le mardi 13 mai 2014, 23:11 par Lola

Ben moi je suis très partagée à commenter, vu la précédente injonction à aller me faire cuire le fondement suite à l'épineux sujet de l'allaitement.
Mais bon, je suis passée par là, justement, le diabète gestationnel, avec le diagnostique foireux à 0,02 audessus du seuil autorisé. Et les doigts qui morflent, pas cool pour une pianiste, hein. Et les horaires à la con, scusez moi d'interrompre mon récital je vais juste me piquer...et apporter dans sa valise du riz complet et demander à l'hôtel de le cuisiner parceque en tournée, pas simple le fait-maison.
Alors un truc qui marchait bien, c'était de sortir faire le tour du bloc d'immeubles après chaque repas. Super résultat de glycémie 2h après. Et en plus ça relançait la circulation et évitait les crampes de milieu de nuit. Et pour grignoter je prenais des amandes, ça passait impec. Voilà, c'est effectivement bien prise de tête, mais la seule bonne nouvelle, c'est que le lendemain de la naissance tu pourras t'envoyer tout ce que tu veux comme smoothies etc...
Bon courage. Sincèrement.

4. Le mercredi 14 mai 2014, 07:44 par lilou la teigne

Qu'une chose à dire pas cool ton truc, et bon courage pour la suite.
bisous

5. Le mercredi 14 mai 2014, 08:54 par Sacrip'Anne

Tetsuo hélas pas tellement, vu la gueule de mes nuits en ce moment, ça aiderait !

Krysalia des cœurs aussi ! Merci pour le tuyau. Là je suis dans une phase où je dois non seulement contrôler mais aussi rendre compte, du coup... j'espère pouvoir l'appliquer bientôt !

Lola ah mais faut pas vous sentir obligée. Mais c'est comme ça que ça se passe, quand on arrive quelque part en brandissant ses certitudes et en les plaquant sur des gens qui ne vous ont rien demandé. Parfois ça pique en retour.

Sinon, la marche aide oui. Pour peu qu'on ne soit pas alitée obligatoire, victime d'une sciatique ou de douleurs ligamentaires, entre autres :D

Lilou bien des bisous ma belle.

6. Le mercredi 14 mai 2014, 09:39 par Luce Luciole

Oui, c'est une étrange médecine que celle de se faire du mal pour se faire du bien. Je me demande si dans le développement historique de notre médecine, y'aurait pas un lien avec la culture judéo catho de la souffrance et de la culpabilité ...

En tout cas, aujourd'hui, bien des maladies en passe par là pour se soigner.

Je me demande aussi, pourquoi il n'est toujours pas évident pour le commun des mortels que le bien-être de la mère est indispensable pour le bien être du fœtus et même pour le bien être de leur relation à venir... Parce que, c'est dans son corps à elle qu'il squatte le petit, je vois pas comment sa souffrance lui rendrait service. Ah oui, mais j'oubliais, bien sur, le bonheur du sacrifice. Tiens ce serait pas encore un truc judéo catho ?

Ben y a pas à dire, on a du chemin à faire... Pour ton chemin à toi je te souhaite bon courage (même si je sais que t'en as) et beaucoup de patience, parce qu'il en faut et que c'est pas facile ! Des bisous !

7. Le mercredi 14 mai 2014, 11:27 par Sacrip'Anne

Coucou ma Luce ! Ah ben "tu accoucheras dans la douleur", et toutes ces sortes de choses, c'est signé, oui !

Bon, là, faut pas exagérer, c'est désagréable, mais pas hyper douloureux. Sauf que c'est désagréable 6 fois par jour. Sans parler des malchanceuses qui se tapent les injections d'insuline en plus.

J'ai d'autant plus de compassion pour les malades chroniques du diabète, je sais qu'on doit "s'habituer", mais que c'est pesant, bon sang...

(Bien des bisous et je te fais un mail un peu long quand je peux, mais là je suis débordée au bureau et épuisée à la maison, un bien mauvais équilibre !)

8. Le mercredi 14 mai 2014, 14:04 par Floh

Toi, tu sais, je ne te dirai jamais assez combien je t'admire d'être à ce point capable de transformer toutes ces situations délicates en choses positives.
Tu es une vraie inspiration, et ça me laisse juste sans voix de te lire aussi lucide et sage...
Je t'embrasse fort, et pis c'est tout :heart:

9. Le mercredi 14 mai 2014, 15:48 par Sacrip'Anne

T'es mignonne Floh. Parles en à Noé qui se tape mes soupirs et mes râleries, à mes parents à qui je parle glucides avec application toutes les semaines en mode monomaniaque, tu va me redescendre vite du piédestal !

(Mais inspirante, c'est flatteur) !

10. Le jeudi 15 mai 2014, 12:44 par Raphaëlle

Tiens ça me rappelle des choses, moi aussi j'étais à un cheveux du seuil :)

La liste des aliments autorisés m'avait somme toute assez faite rire sur la partie "fruits" not. Y'avait inscrit 1/2 pomme ou 3 prunes ou 4 cerises ou 1 fraise... Je m'étais dit qu'une chose était sure, je n'allais pas m'etouffer avec (alors que les commentaires "ah mais c'est génial de perdre du poids pendant sa grossesse", "un petit régime ça peut jamais faire de mal" eux, me sont restés en travers de la gorge). Bref, on en a déjà parlé je crois ;)

Bon courage et plein de gros bisous(ça fait pas monter les taux ça :))(et oui, on devient d'autant plus compatissants avec les "vrais" diabétiques, le diagnostique vient d'être posé sur ma mini voisine de 3 ans, j'ai envie de hurler).

11. Le jeudi 15 mai 2014, 16:13 par Sacrip'Anne

Raphaëlle, ah oui, fouquitte pour ta petite voisine :( Pour les fruits, y sont bien plus généreux à mon hôpital, je te les recommande :D

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