Je suis un des "Knights who say Ni!" (ou chevalier du Ni, pour les amateurs de la VF).
La moindre perte de gourvernance ou de capacité à faire ce que je fais d'habitude m'est une torture. Je commence à trouver que oui, c'est un peu moins pratique avec les bras et les jambes en moins (en l'occurrence, c'est plutôt de niveau d'énergie disponible dont on parle).
Bref, quand ça ne va pas, je passe en force, je convoque je ne sais où, mais dans un truc que je tiens probablement de ma mère, une ressource supplémentaire. Je roumègue, je m'entête et je me laisse rarement arrêter sur le chemin d'une chose qui me tient à cœur.
Depuis quelques semaines je ronchonnais intérieurement que je lisais moins vite que d'habitude (et ça m'ennuie copieusement car ma "pile"[1] de lectures en attente, elle, tend à augmenter à la même cadence que d'habitude.
J'ai mis ça sur le dos de beaucoup trop de trucs à penser. Des soucis, des trucs plus joyeux mais envahissants aussi, de la logistique à anticiper.
J'ai mis ça sur le dos de la fatigue assommante qui me tient compagnie ces derniers mois (je lis, je m'endors, rince and repeat).
Et hier soir je me suis rendu compte, et j'en rigole en vous le disant, qu'en fait ma vue a baissé et que mes lunettes ne sont plus à ma taille, si j'ose dire.
La défaite de la vieillerie.
Après vérification, il semblerait que ça fasse deux ans que je n'ai pas mis les pieds ni les yeux chez l'ophtalmo.[2]
Celles et ceux qui ont toujours porté des lunettes se rendent bien compte des armes qu'on rend quand il faut naviguer dans un monde qu'on ne voit pas assez bien. J'ai toujours eu une excellente vue et de très bonnes dents, de mon côté (je n'ai, à ce jour, toujours pas la moindre carie, vous auriez dû penser à ça avant de faire des enfants avec n'importe qui. Le patrimoine dentaire qu'on lègue est loin d'être anodin).
C'est d'autant plus ironique que je me suis copieusement moquée de celui qui vivait avec moi à l'époque où il a été frappé, nettement plus jeune. Moi, ça allait, jusqu'au jour où dans un ascenseur parisien, je me suis retrouvée face à une affiche que je ne pouvais pas lire, faute de pouvoir reculer. Ca doit faire deux ou trois ans que j'ai dû céder à l'appel des verres progressifs et que l'augmentation de la taille de la police sur ma liseuse ne suffit pas toujours.
Et porter des lunettes, excusez moi, c'est d'un banal, mais c'est la merde. C'est toujours : plein de buée, à risque de prendre la pluie et donc d'avoir des gouttes énormes sur les verres par lesquels on aurait envie de voir le monde. c'est jamais à l'endroit où on pense les avoir posées[3].
Le pire c'est que, esthétiquement, ça ne me gêne pas du tout, j'aurais même tendance, parfois, à trouver que c'est une bonne occasion de laisser s'exprimer ma fantaisie accessoiriste naturelle. Mais je maudis le jour où j'ai opté pour ces lunettes qui se teintent au soleil : par beau temps, je suis grillée dès que je descends du roof top.
Bref. Je lutte en vain contre cette déchéance mais la vie gagne. Dans mes bons jours j'aurais tendance à penser que c'est un signe de santé suffisante.
Notes
[1] Une partie très conséquente étant dématérialisée, je ne sais pas si le mot pile s'applique, mais enfin bon, vous voyez, ne vous faites pas plus de mauvaise foi que vous n'êtes déjà !
[2] Et oui, maman, j'ai rendez-vous trèèèèès bientôt !
[3] J'ai écrit cette phrase uniquement pour saluer au passage la mémoire de ma grand-mère qui avait son emplacement n°1, n°2, n°3 etc où chercher. Au cinquième, une légère lassitude pouvait se faire sentir. De mon côté je ne cherche jamais mes lunettes, laissez-moi encore ce petit rempart.